Montréal, 15 décembre 2008 • No 262

 

OPINION

 

Michel de Poncins écrit les flashes du Tocqueville Magazine et est l'auteur de quelques livres.

 
 

PRIVATISER L’ÉDUCATION

 

par Michel de Poncins

 

          La grève qui eut lieu le 20 novembre 2008 avec environ 200 000 enseignants battant le pavé dans toute la France, montre une fois de plus en grandeur nature l’anomalie du concept même d’éducation nationale. Au lieu de s'attaquer aux vrais problèmes, les commentaires journalistiques se sont étendus sur la querelle du prétendu service minimum que le pouvoir Sarkozyste veut imposer par la loi; au risque d’indisposer les fidèles de ce pouvoir, il faut affirmer que c’est une imposture.

 

          D'abord c'est admettre le principe de la légitimité des grèves dans une activité aussi essentielle que l'enseignement, ce qui est inacceptable. Ensuite, c'est vouloir que l’activité d'enseigner soit remplacée par une activité de garde des enfants, ce qui est le contraire du vrai service. Enfin, comme le font remarquer certains maires, quel que soit le parti auquel ils se rattachent, c'est donner aux maires une responsabilité qu'ils ne peuvent pas exercer avec du personnel qui n'est pas compétent.
 

Fixer les idées

          Pour fixer les idées, voici quelques chiffres approximatifs de la prétendue éducation nationale française – qui est probablement l'une des dernières armées soviétiques du monde: 12 millions d'élèves, 870 000 enseignants, 174 000 non-enseignants, 67 000 établissements scolaires, 59 milliards d'euros de dépenses.

          Sur le plan historique, il est clair que la nationalisation de l'éducation est, grosso modo, l’effet de la Révolution dite française. Avant ce tragique événement, l'éducation était quasiment libre sur tout le territoire. Les parents en étaient responsables, ce qui correspond à l'ordre naturel d'une société bien organisée. Bien entendu, beaucoup de systèmes divers et variés existaient pour les aider comme des précepteurs pour ceux qui le pouvaient ou des écoles, avec notamment, celles des Frères des Écoles chrétiennes qui se sont illustrées dans cette activité pendant longtemps.

          La Révolution, et l’Empire qui l’a consolidée, ont brisé cet ordre naturel des choses en conduisant progressivement à un monopole totalitaire étatique. Les monopoles étatiques sont un non-sens et détruisent toute possibilité de progrès. S’est ajoutée et généralisée au fil des temps l’idée meurtrière de l’égalité – égalité d’accès, égalité de service, égalité de budget et, la dernière variante, l’égalité des chances. Les hommes ont été créés tous différents par le Créateur et l’inégalité qui existe entre eux est un des plus puissants moteurs du progrès. Les observateurs attentifs savent que l'égalité absolue ne peut conduire qu'à la ruine.

          Pour bien montrer pourquoi il faut privatiser l'éducation, il est utile d'abord de constater les effets de sa nationalisation.

          La structure est absolument gigantesque et l'organisation centrale de la gouvernance ne peut se réaliser que par une pluie incessante de lois et de réglementations retombant en cascade jusqu'à la base au travers d’innombrables échelons entrecroisés. Pour tout homme sensé, il est clair que cela ne peut marcher. L'exemple typique est celui de l’enseignement de la lecture, le système produisant régulièrement des générations d'illettrés. Des offensives sont lancées de temps à autre pour détruire le principe de la méthode globale qui est à l'origine de la catastrophe; les offensives se perdent dans les sables et les générations passent avec la production régulière d’illettrés, en route parfois vers le chômage.

          Il s'ajoute – et c'est probablement l’un des aspects de l'exception française – la prépondérance des syndicats qui étendent leur marée noire sur toute l'organisation. En fait, le ministre est une sorte de pantin qui s'agite dans son coin, le véritable pouvoir étant exercé par les chefs syndicalistes. Ces chefs retirent personnellement gloire et richesse de la situation; un grand nombre de maîtres sont détachés à leur profit et une foule d'avantages matériels leur sont accordés. Quand les enseignants se plaignent du manque de maîtres, la presse se garde de souligner qu'une grande partie d'entre eux sont neutralisés dans des activités syndicales.

          La gestion de ces maîtres éprouve d’immenses difficultés et tourne à la tâche impossible: comment décider d'un point central situé à Paris s'il est besoin d'un professeur d'histoire à Carcassonne et comment décider les mutations nécessaires dès lors que les syndicats interposent leur barrage favorisant en chemin leurs propres adhérents?

          Parmi les syndicalistes se trouve un groupe très actif et cohérent de trotskistes, ce qui se reflète dans les enseignements et jusque dans les livres scolaires. Par exemple, dans le domaine historique, ces livres véhiculent des informations et idées tout à fait inexactes et parfois scandaleuses. Sur le plan économique et dès le secondaire, l'enseignement du marxisme et de l'économie dirigée tient une place majeure. L'entreprise est souvent représentée avec des vues négatives sur le patronat et aucune indication sur la place éminente des entreprises dans la création de la richesse.

          Bien entendu, suite à la gauchisation accrue de la société, les écoles dans leur enseignement, même en direction des plus jeunes, se livrent à de véritables incitations à la débauche. Il est triste mais véritable de constater que cette situation abominable à certains égards se perpétue de ministères en ministères, les gouvernements de la fausse droite ne faisant pas mieux que ceux de la vraie gauche et même quelquefois rajoutant à la catastrophe.
 

« Il faut rappeler que chaque entreprise nationalisée, dans quelque domaine que ce soit, conduit à la ruine: ruine financière ou ruine de la qualité ce qui revient au même. Nous y sommes et depuis longtemps. »


          Pour couronner le tout, il faut rappeler que chaque entreprise nationalisée, dans quelque domaine que ce soit, conduit à la ruine: ruine financière ou ruine de la qualité ce qui revient au même. Nous y sommes et depuis longtemps.
 

La nécessité de la privatisation

          Voyons maintenant la privatisation éventuelle qui, hélas, n'est pas à l'ordre du jour mais à laquelle il faudra bien un jour arriver. Quelques faits méritent d’être rappelés.

          En 1981, d’immenses manifestations rassemblèrent des centaines de milliers de personnes à Paris et en province pour faire reculer François Mitterrand dans son projet de nationaliser les écoles prétendues libres à l'époque. Bien sûr, l'on sait qu'après la victoire dans la rue les responsables de ces écoles prétendues libres ont en fait capitulé devant le pouvoir. Mais l’immensité des manifestations montre que le public est largement prêt pour une évolution absolument nécessaire dans ce domaine. Nous disons bien que ces écoles ne sont que « prétendues » libres, car dès lors qu’elles acceptent quelque subvention que ce soit de l'État elles perdent leur liberté.

          Il y a, fort heureusement, un assez grand nombre d’écoles vraiment libres sur tout le territoire français. Il se trouve qu’il en est qui appartiennent à des capitalistes et tant mieux pour leurs propriétaires et leurs élèves. D’autres sont des écoles confessionnelles et tant mieux aussi. Les unes et les autres arrivent à fonctionner bien que, malheureusement, les parents qui y placent leurs enfants soient soumis au matraquage fiscal imposé par le pouvoir pour le fonctionnement de l'éducation nationale – ce fait n'est pas une simple anomalie, mais une odieuse escroquerie d'État, s'ajoutant à d’innombrables autres. Même remarque pour l'école à la maison qui se développe assez largement bien que difficilement et est l’objet de la suspicion des caciques de l’éducation nationale.

          Voyons maintenant, pour illustrer la nécessité de la privatisation, le cas de l’Université de Stanford en Californie. C’est de cette université que sont nées, à proximité, la Silicon Valley, puis l’informatique, puis l’Internet. Il n’est pas exagéré de dire qu’elle est à l’origine indirecte d’une foule d’autres progrès techniques et scientifiques. Il y a 9 000 professeurs et chercheurs. 13 000 étudiants y travaillent. Pas de faux étudiants comme ceux qui encombrent les universités françaises. Pas de préoccupation d’une fausse égalité. L’objectif permanent est l’excellence. Les professeurs ainsi que les élèves ne sont pas abandonnés à eux-mêmes, mais soumis à une surveillance précise par la direction.

          Pas de financement étatique et les études coûtent très cher. C’est normal, car un service de qualité ne peut être que cher. Les étudiants qui le peuvent paient leurs études. Ceux qui ne le peuvent pas font des emprunts. D’autres sont serveurs dans des restaurants ou remplissent des jobs d’appoint dans la vallée où cela ne manque pas. Dans les restaurants et sociétés diverses, ils sont bien accueillis par les autres membres du personnel, tout le monde trouvant cette pratique normale.

          Il n’y a jamais de grève et la semaine de 50 heures est courante. Le capital investi est très important; le patrimoine bien géré n’a pas souffert de la crise des subprimes.

          Stanford est gouvernée par un conseil de surveillance de 27 personnes. Le président détient avec son personnel le pouvoir complet – choix des professeurs, choix des élèves, choix des matières, délivrance des diplômes, etc. Le budget est de 500 millions de dollars environ; rien ne résisterait, sur le plan budgétaire ou sur le plan intellectuel, s’il se produisait une quelconque faiblesse dans la gestion de cette immense entreprise.

          La moindre comparaison avec les universités françaises sur tous ces aspects est, sauf très rare exception, littéralement pitoyable.
 

La seule solution

          Pour un connaisseur lambda des entreprises humaines, il est évident que la privatisation de l'éducation est la seule solution à ce véritable drame national que nous connaissons. Elle aboutirait à des décisions prises à la base par des autorités responsables et, compte tenu de toutes les particularités du terrain, à un ajustement rapide et permanent des possibilités aux besoins.

          Il s'ouvrirait une saine et légitime concurrence entre les bons établissements et les mauvais. En particulier, les écoles où l’on enseignerait la vérité ne tarderaient pas à triompher par rapport à celles où l'on diffuserait le mensonge.

          Si un gouvernement « libérateur » finissait enfin par arriver, il s’engagerait énergiquement dans cette voie et dirait la vérité aux Français.

          Il pourrait commencer par donner la liberté totale aux universités et vendre celles qui sont vendables. Pour les autres niveaux, il organiserait sans tarder le bon scolaire qui fonctionne fort bien dans certains pays.

          Enfin, n’oublions pas une observation courante: toute privatisation dans quelque domaine que ce soit réduit de moitié les dépenses et améliore la qualité.

          La marge de manoeuvre, dans ce domaine comme en d’autres, est donc, contrairement à la propagande, immense.