Montréal, 15 janvier 2009 • No 263

 

Jérémie T. A. Rostan est agrégé de philosophie et enseigne actuellement la philosophie aux États-Unis.

 

 

OPINION

LA CRISE FINANCIÈRE A-T-ELLE EU LIEU?

 

par Jérémie T. A. Rostan

 

          Pour le dire très simplement, la crise financière actuelle est une crise du crédit. Premièrement, parce qu’elle est apparue avec la multiplication des défauts de paiement; deuxièmement, parce que cela a entraîné d’importantes pertes chez des acteurs du secteur bancaire, lesquelles ont eu pour effet de diminuer le flot du crédit et de mettre un coup d’arrêt à l’activité économique.

 

          Du moins, telle est la version officielle. Une première correction, souvent faite sur ce site, consiste à dire que cette crise est en réalité monétaire: c’est la politique de baisse du taux d’intérêt menée par la Réserve fédérale qui s’est avéré insoutenable.



          Mais, depuis la fin 2008, une autre objection court: depuis la publication d’une recherche menée par des économistes de la Banque Fédérale de Minneapolis(1), certains remettent en cause l’existence même d’une quelconque crise du crédit. Des économistes liés au Mises Institute, tels que Robert Murphy ou Robert Higgs, insistent ainsi sur le fait que les données statistiques disponibles ne portent pas trace du credit crunch dont la Maison-Blanche s’est servi pour justifier son « plan de sauvetage » de 700 milliards de dollars.

          De fait, l’évolution du montant des crédits accordés par les banques commerciales n’indique aucun fléchissement au moment de la prétendue crise:



          Ce que l’on voit, c’est, comme le dit Higgs(2), un « plateau » entre avril et septembre 2008, lequel correspond à un niveau bien supérieur au montant des crédits accordés un an auparavant:


          Enfin, l’observation est la même si l’on s’intéresse à l’ensemble du marché des prêts à court terme: au pire de la crise de contraction du crédit, celui-ci était en hausse de plus de 2.5% par rapport à l’année précédente(3):



          Ceci étant dit, un problème se pose. Si aucune crise du crédit n’a eu lieu, cela signifie que le portrait tragique dépeint par George Bush et relayé par les médias américains était tout aussi crédible que les armes de destruction massive ayant servi à justifier l’intervention en Irak. Un pur mensonge destiné à couvrir le pillage des contribuables afin de couvrir les pertes des banques. Or, si cela confirme la théorie politique libertarienne, cela semble infirmer la théorie économique libertarienne: étant donnée la politique de création monétaire et d’extension du crédit de la Fed, une crise aurait dû avoir lieu.

          Ce problème, cependant, n’est pas sans solution. La vérité est qu’une crise du crédit a bien eu lieu, mais qu’elle n’est pas celle que les autorités ont présentée. Le graphique ci-dessous schématise l’évolution du montant des crédits accordés par les banques commerciales (en bleu). La flèche noire en pointillés montre l’évolution qui aurait été suivie si la Réserve fédérale n’avait pas changé de politique.



          Ce que l’on a appelé une contraction du crédit n’en était pas une en valeur absolue, mais relative: c’est l’augmentation du crédit qui a baissé.

          Comprenons bien. Dans une économie libre où les intermédiaires financiers prêtent de l’épargne, l’augmentation du crédit implique une hausse de l’activité(4), et une moindre augmentation d’une année sur l’autre implique seulement une moindre hausse. Mais il n’en est pas ainsi dans une économie dopée par une baisse artificielle du taux d’intérêt. Ici, il faut que l’extension du crédit, donc la création monétaire, soit constante, sans quoi l’activité diminue, retrouvant son niveau normal.

          Évidemment, cela est impossible, sans quoi la banque centrale condamne le pays à l’hyperinflation. C’est pour éviter une telle crise qu’elle doit laisser le taux d’intérêt se rapprocher de sa valeur réelle, ce qui engendre une contraction du crédit relativement à ce qu’il faudrait pour maintenir une économie dopée à l’inflation.

          C’est donc la partie colorée en rouge de notre graphique qui constitue la crise actuelle.

          Il est vrai que les diverses mesures de sauvetage ont conduit à rattraper la courbe précédente d’évolution du crédit. Cela est dû aussi bien au bailout d’octobre qu’au fait que la Réserve fédérale ait baissé le taux d’intérêt à un niveau proprement ridicule (moins de 0.25% en décembre). Malheureusement, les mêmes causes reproduisent les mêmes effets.

          Tout ceci montre la pertinence de la théorie autrichienne des cycles, dont le chairman de la Fed a ironiquement, mais sans le vouloir, reconnu la valeur lorsqu’il déclarait dernièrement, afin de justifier une nouvelle subvention gouvernementale pour les banques ainsi que sa propre politique de baisse du taux d’intérêt: « Le système économique américain dépend de manière critique de la libre circulation du crédit(5) ». Par « libre circulation du crédit », il n’entendait évidemment pas la déréglementation du secteur bancaire et financier, mais au contraire l’intervention massive du gouvernement nécessaire à l’abondance du crédit.

 

1. V.V. Chari, Lawrence Christiano, and Patrick J. Kehoe, « Facts and Myths about the Financial Crisis of 2008 », Working Paper 666, Federal Reserve Bank of Minneapolis, Research Department, octobre 2008.
2. Robert Higgs, « The Great Credit-Crunch Hoax of 2008 », Mises Institute, 9 janvier 2009.
3. Some key statistics (« TIC, shorter term instruments »), A World of Possible Futures.
4.Ceci est bien entendu une simplification outrancière, qui n’est vraie que toutes choses étant égales par ailleurs, et ne concerne que le crédit aux producteurs.
5. Traduction de: « The United States' economic system is critically dependent on the free-flow of credit ». Source: Jeannine Aversa et Jane Wardell (Associated Press), « Bernanke: Obama stimulus helps, more action needed », Yahoo! News, 13 janvier 2008.

 

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