NATIONAL-SOCIALISME (Version imprimée)
par Jérémie T. A. Rostan*
Le Québécois Libre, 15 mars 2009, No 265.

Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/09/090315-16.htm


Une légende tenace veut que le XXe siècle ait connu deux types d'expérience totalitaire, deux « grandes expériences sociales » – comme disaient les communistes – opposées. Il y aurait eu le totalitarisme d'extrême-gauche, socialiste, et le totalitarisme d'extrême-droite, national-socialiste. Il devrait être pourtant immédiatement évident qu'il ne peut par définition y avoir qu'un seul idéal totalitaire. Ceci réfute a priori la thèse aussi insoutenable que courante selon laquelle, à la différence du socialisme austro-allemand, intrinsèquement immoral et injuste, les socialismes cambodgien, chinois, coréen, cubain, roumain, russe… n'auraient été, ou ne seraient encore, que des perversions accidentelles d'un idéal essentiellement moral et juste. En vérité, les deux idéaux communiste et nazi (national-socialiste) ont été et sont également pervers en eux-mêmes – donc absolument –; ils le sont même identiquement: car il s'agit dans l'un et l'autre cas du même idéal totalitaire.

Si le « Parti nazi » – comme on l'appelle diplomatiquement – s'intitulait en vérité « Parti National Socialiste des Travailleurs Allemands », la référence aux « travailleurs » et au « socialisme » ne saurait être purement et simplement reniée au prétexte que le NSDAP aurait accidentellement pris ce masque occasionnel – celui de la crise nationale et sociale – afin de parvenir au pouvoir à de tout autres fins. Les fins du national-socialisme, les idéaux nazis, ont toujours été authentiquement socialistes(1). De fait, lorsqu'il est question d'« idéal » dans Mein kampf, c'est toujours pour désigner la constitution d'une « communauté sociale »(2). Et l'« idéalisme » nazi ne désigne rien d'autre que le sacrifice entier, total, de l'individu à la « communauté » – qui est l'un des termes comptant le plus grand nombre d'occurrences dans Mein Kampf.

Cette constitution d'une communauté populaire a deux conditions: la première est l'inclusion, ou plutôt la réintégration, du prolétariat au sein de la Volksgemeinschaft. La seconde est l'exclusion (et l'on sait ce qu'il en sera de cette « exclusion ») parallèle des Juifs. Car la « question juive » est toujours, dans la perspective nazie, subordonnée à la question nationale-sociale: c'est en effet (selon la psychopathéorie nazie) en raison de « l'enjuivement [du peuple germain] » qu'« une nouvelle classe très peu considérée est née »(3) dont la nation se doit de « refaire un membre de la communauté sociale ». Et « enjuivement », ici, signifie: mise en place de « méthodes capitalistes d'exploitation de la race humaine » coupables de « la séparation entre l'employeur et l'employé ». Parce qu'elle devait en prendre le contre-pied, la méthode de réunification nationale et populaire devait donc être une méthode socialiste d'organisation de la race humaine.

On n'a encore rien dit tant que l'on répète inlassablement que, à la différence du communisme, le nazisme est un « racisme ». Reste en effet à savoir ce que la psychopathéorie nazie insufflait en matière de contenu à cette catégorie formelle: « la race ». Qu'est-ce donc qui fait la prétendue supériorité de l'Aryen? La question est mal posée: elle ne se pose précisément pas en termes de membres individuels, mais de race à race uniquement. Ce n'est pas l'Aryen qui est supérieur, mais ce sont les Aryens c'est la race aryenne. En effet, « ce qui fait la grandeur de l'Aryen, [c'est] sa propension à mettre toutes ses capacités au service de la communauté. L'instinct de conservation a pris chez lui la forme la plus noble: il subordonne volontairement son propre moi à la vie de la communauté »(4).

Ceci permet de comprendre deux vérités sans lesquelles le national-socialisme lui-même, mais aussi et surtout son identité et égalité d'essence avec le socialisme en tant que totalitarismes, sont incompréhensibles. Cela permet de comprendre, premièrement, que l'idéal national-socialiste prétend réintégrer de droit le « sous-peuple » au sein de la communauté nationale, et consiste en fait à intégrer de force en lui (le sous-peuple) l'ensemble de la communauté sociale en tant que « masse ». Et il y a à cela une raison – que Hitler connaissait aussi bien que Marx –: c'est que le sous-peuple est, selon eux, le ferment de tout peuple « véritable » – c’est-à-dire totalement identique et égal à lui-même: parce que prétendument privée de toute personnalité et estime de soi par le libéralisme (« d'inspiration juive »(5)), cette « populace » constituerait un présage, son avenir ne pouvant consister qu'en une appropriation collective et nationale de soi-même. La même chose, dite avec plus de sincérité et moins de cynisme: « les masses » sont le plus puissant levier du totalitarisme, et la meilleure arme de l'oppression et du pouvoir d'État.

Deuxièmement, cela permet de comprendre que la pseudo-supériorité de la race aryenne est moins innée et naturelle qu'acquise, ou plus exactement produite, collectivement et historiquement. Une race supérieure, disait Hitler, « nous avons encore à le devenir »(6) et cela par le développement de « cette disposition au sacrifice qui amène l'homme à mettre en jeu son travail personnel et, s'il le faut, sa propre vie su profit de ses semblables »(7).

Si ce qui fait la supériorité des Aryens c'est, paradoxalement, leur subordination au groupe, à la race, inversement, ce qui fait l'infériorité prétendue des Juifs, c'est leur initiative individuelle: « ils » sont dénués de « cette disposition d'esprit qui rejette au second plan l'intérêt de l'individu au profit du maintien de la communauté »(8). Ce qui « fait » le Juif, ce qui le fait « juif », sa judéité, cela qui doit être, en lui, et par tous les moyens, exterminé, c'est son individualisme: « le Juif n'obéit à rien d'autre qu'au pur égoïsme »(9). Si on l'ignore, on ne peut que méconnaître l'envers et l'endroit que sont le socialisme et le national-socialisme. Cela apparaît au contraire très clairement dans l'idée selon laquelle le Juif contamine et désintègre la communauté par la libre entreprise, détruisant ainsi le prolétariat – qui en est le ferment: la communauté « enjuivée » est malade, c’est-à-dire: atomisée, individualisée, libéralisée(10).

Les Aryens et le Juif représentent donc, selon la psychopathéorie nazie, deux tendances opposées de l'instinct de conservation: « la volonté de sacrifice ne va pas, chez le peuple juif, au delà du simple instinct de conservation de l'individu. […] Son esprit de sacrifice n'est qu'apparent. Il ne se manifeste qu'autant que l'existence de chaque individu le rend absolument nécessaire. Mais sitôt que l'ennemi commun est vaincu, le danger qui les menaçait tous passé, la proie mise en sûreté, la concorde apparente disparaît pour faire place aux dispositions naturelles »(11). Cette « disposition naturelle », c'est l'absence d'appartenance collective. À nouveau, on ne comprend rien à l'image abjecte associant le Juif et le rat – liée à celle selon laquelle l'enjuivement « ronge » la communauté nationale – si l'on n'en saisit le sens analogique: les Juifs seraient entre eux comme autant de rats « se livrant des combats sanglants »(12), c’est-à-dire, non pas unis et soumis, mais libres et/donc concurrents.
 
Notes

1. Dans la terminologie nazie, on préférera « vrai socialisme », par opposition au communisme, lequel est prétendu porter l'empreinte des Juifs qui le manipulent. Cf. Adolf Hitler, Mein Kampf, II, 9, p. 283. Je me réfère à cette édition électronique disponible sur le Net. Pour la prétendue mainmise juive sur le communisme, voir plus bas.
2. Adolf Hitler, Mein Kampf, I, 4, p. 80.
3. Idem, I, 11, p. 166.
4. Idem, I, 11, p. 155.
5. Idem, I, 3, p. 50.
6. Hitlers Tischgespräche, cité par Hannah Arendt, Le Totalitarisme, III, 12.
7. Adolf Hitler, Mein Kampf, I, 11, p. 155.
8. Idem, I, 11, p. 156.
9. Idem, I, 11, p. 158. Pour l'opposition « égoïsme »/« idéalisme », cf. I, 11, p. 156.
10. Et il faut rappeler ici que l'assimilation du Juif au « Grand Capitaliste » commande entièrement l'idée nazie selon laquelle le communisme porte lui aussi l'empreinte juive: « À peine la nouvelle classe [le prolétariat, NDA] est-elle sortie de la transformation économique générale que le Juif voit déjà nettement de quel nouvel entraîneur il dispose pour avancer lui-même. Il a d'abord employé la bourgeoisie comme bélier contre le monde féodal; maintenant, il se sert de l'ouvrier contre le monde bourgeois. De même qu'autrefois il a su obtenir par ses intrigues les droits civils en s'abritant derrière la bourgeoisie, il espère maintenant que le combat mené par les travailleurs pour défendre leur existence lui ouvrira la voie qui le conduira à la domination du monde. À partir de ce moment, la tâche de l'ouvrier est de combattre pour l'avenir du peuple juif. Sans qu'il le sache, il est au service de la puissance qu'il croit combattre. On le lance en apparence à l'assaut du capital et c'est ainsi qu'on le fait le plus commodément lutter pour celui-ci. En même temps, on crie toujours contre le capital international, mais, en réalité, c'est à l'économie nationale qu'on pense. Celle-ci doit être démolie, afin que sur son cadavre la Bourse internationale puisse triompher. » Adolf Hitler, Mein Kampf, I, 11, p. 166 et suivantes.
11. Idem, I, 11, p. 157, je souligne.
12. Idem, I, 11, p. 158.

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* Jérémie T. A. Rostan est agrégé de philosophie et enseigne actuellement la philosophie aux États-Unis.