COUPURES À RADIO-CANADA: C'EST JUSTE DE LA TV! (Version imprimée)
par Gilles Guénette*
Le Québécois Libre, 15 avril 2009, No 266.

Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/09/090415-3.htm


« 40$ par tête de pipe pour une télé publique de qualité, ce n'est pas trop cher payé dans une année » – Marc Cassivi, La Presse, 26 mars 2009

Des emplois, il s’en perd à tous les jours au pays. Mais lorsque des emplois se perdent dans le monde des médias, on en entend plus parler. C’est la catastrophe. Toute la faune médiatico-politique s’enflamme (les médias, c’est connu, aiment bien parler d’eux-mêmes). Imaginez maintenant lorsque des pertes d’emplois sont annoncées à la Société Radio-Canada! Et que l’État refuse d’intervenir! C’est comme si le gouvernement venait de décider de sabrer massivement dans les soins de santé – ou quelque service essentiel. Pourtant, il ne s’agit que de télévision. Allez savoir.

La terre a tremblé

« Le premier ministre comprend-il l'importance de cette institution nationale pour tous les Canadiens, mais surtout pour les francophones hors Québec? » a demandé le chef libéral, Michael Ignatieff, le jour de l’annonce. « Doit-on voir dans cet acharnement contre Radio-Canada un autre effet pervers de son idéologie réformiste? » a quant à elle lancé une députée bloquiste. « Pourquoi le ministre s'attaque aux communautés rurales et francophones qui ont besoin du service local de Radio-Canada? » a ajouté un député néo-démocrate(1).

Réagissant aux attaques de l’opposition, le premier ministre est resté de glace. « Nous reconnaissons absolument l'importance de Radio-Canada. C'est la raison pour laquelle nous lui avons donné un montant sans précédent cette année, soit 1,1 milliard de dollars », s’est contenté de répondre Stephen Harper avant d’ajouter « C'est toujours dommage quand quelqu'un perd son emploi ».

C’est que le 25 mars dernier la société d'État a annoncé qu'elle allait réduire ses effectifs. Pas moins de 805 postes seront abolis, soit près de 10% de ses quelque 9900 employés à temps plein. Le service français essuie presque la moitié des coupes, soit 335 postes et 51 millions de son budget. Quant au service anglais, ce sont 400 postes et 87 millions qui sont supprimés. La télévision écope particulièrement: environ 86% des compressions s'y feront, contre 13% pour la radio(2).

Les membres de l’opposition ont beau jouer les vierges offensées, ils savent pertinemment qu’il y a matière à coupures à la SRC. Ils savent qu’un show de chaises produit par le public coûte beaucoup plus cher que le même show de chaises produit dans le privé. Ils savent qu’une équipe de production est toujours plus grosse dans le public que dans le privé. Ils savent surtout que les conservateurs ne remportent pas la palme lorsque vient le temps de couper à la SRC.

Dans une chronique pour le moins étonnante, Nathalie Petrowski, de La Presse, nous l’a rappelé. Elle est venue en quelque sorte à la défense des conservateurs – se défendant bien d’être leur amie… « Si vous pensez que Stephen Harper n'aime pas Radio-Canada, dites-vous que Jean Chrétien se réveillait la nuit pour la haïr », écrit-elle. « Depuis les années 80, libéraux et conservateurs ont sabré successivement – et pas toujours délicatement – dans le budget de Radio-Canada et de CBC. Reste que c'est en 1995, sous les libéraux de Chrétien, que la télé publique a connu ses pires compressions. Cette année-là, un total de 440 millions ont été amputés du budget annuel, qui s'élevait alors à 1,5 milliard. »(3)

« Bref, poursuit-elle, les trous dans la culture québécoise de James Moore ou l'allergie de notre premier ministre aux artistes dans les riches galas, c'est de la petite bière à côté de la déferlante libérale fédérale postréférendaire. […] Il n'en demeure pas moins que ces conservateurs honnis, maudits et méprisés de tous ont été pas mal moins sauvages, du moins à l'égard de la télé publique, que les libéraux de Chrétien. »

Avouez que venant d’un média québécois « mainstream », c’est plutôt surprenant!

Position courante

Son camarade Marc Cassivi, chroniqueur culturel, a opté, lui, pour l’approche plus… conventionnelle(4). Selon lui, nous ne payons pas suffisamment pour la société d’État: « En 2007, chaque citoyen britannique a contribué 124$ à la BBC. La contribution annuelle de chaque Français à France Télévision passera bientôt de 65$ à 77$. Combien a coûté à chaque Canadien l'ensemble des services de Radio-Canada/CBC en 2008?? Exactement 34$. Neuf cents par jour. Même pas de quoi s'acheter une gomme Bazooka. »

Aïe, aïe, aïe. Quand ce n’est pas la tasse de café, c’est la gomme Bazooka. Les Britanniques paient plus pour leur BBC, on devrait payer plus pour notre SRC! C’est logique. Les Français se font saigner pour une télé publique, ma foi, plutôt mauvaise, vite, faisons comme eux!

« Une étude réalisée par le Groupe Nordicité en 2007 a révélé que le Canada se classait 14e parmi 18 pays occidentaux en ce qui concerne le financement de la radiodiffusion publique, poursuit-il. Il faudrait que le gouvernement canadien double le financement qu'il accorde à Radio-Canada/CBC pour atteindre la parité avec la France, et qu'il le quadruple pour rejoindre le niveau de la Grande-Bretagne. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Hubert Lacroix, le PDG de Radio-Canada/CBC. »

Dans le monde idéal de Cassivi, les Canadiens paieraient 2,2 milliards de dollars par année, à l’exemple de nos cousins français, pour leur Radio-Canada. (Ça ne ferait après tout que 68$ par tête de pipe. Soit deux gommes Bazooka par jour. De quoi faire des ballounes et, qui sait, kick starter l’industrie de la dentisterie.) Mais comme il est raisonnable, il se contenterait bien du 40$ par tête de pipe réclamé par le milieu…

Car selon lui, « Tout changement important à la structure du diffuseur public pourrait avoir des conséquences fâcheuses sur sa programmation. […] On ne coupe pas 85 postes dans un service d'information sans atteindre à la qualité de l'information. On ne coupe pas 18 millions dans une programmation générale sans que les variétés et les dramatiques n'en subissent les contrecoups. […] Radio-Canada est le seul service d'information au pays doté de correspondants dans toutes les régions du monde. Avoir accès à cette information internationale est un choix de société. »

Ah les « choix de société »! Quand a-t-on tenu le référendum pour demander aux Canadiens s’ils étaient prêts à payer pour avoir accès à de l’information internationale? Et si les Canadiens prennent de moins en moins leur nouvelles à la SRC/CBC? S’ils préfèrent les prendre sur Internet, qu’est-ce que ça change de couper dans les budgets de la SRC/CBC? Et de couper dans les budgets affecte-t-il nécessairement la qualité? Vous souvenez-vous des effets des coupures de 440 millions des libéraux?

Autres réactions

Patrick Lagacé, camarade de Petrowski et Cassivi, a pour sa part ramené toute l’histoire des mises à pied à une question d’idéologie conservatrice(5). Dans une chronique quelque peu décousue, il écrit que « Le hic, c'est que certains militants conservateurs détestent l'idée même d'un diffuseur subventionné par l'État. Fin 2008, au plus fort de la crise constitutionnelle provoquée par la coalition PLC-NPD-Bloc qui menaçait de renverser le gouvernement minoritaire de M. Harper, je suis allé tâter la grogne des Albertains. […] J'ai assisté à une manif, au centre-ville de Calgary, en appui au gouvernement conservateur. Pour les Albertains, cette coalition était une insulte épouvantable: elle menaçait le retour de l'Ouest au pouvoir. Les affiches brandies trahissaient bien leur colère. »

Et qu’est ce qu’elles affichaient ces affiches? « [C]ertaines affiches étaient franchement surprenantes. Elles dénonçaient... la CBC! Pourquoi dénoncer le diffuseur public dans une manif anticoalition? Je n'ai, à ce jour, pas trop compris. Mais ça traduit la haine virulente de la base de Stephen Harper envers la "Communist Broadcasting Corporation" (je n'invente pas ça). Le hic, c'est que l'idéologie guide trop souvent les conservateurs. Ça donne des décisions ridicules, largement et férocement décriées dans les milieux visés. »

C’est la faute de « la base de Stephen Harper ». La base (formée, on s’entend, de rednecks, de groupes religieux et de radicaux d’extrême-droite) a fait du lobby auprès de son ami Harper et a réussi à le convaincre de couper dans le financement de cette maudite télé publique. Harper, n’écoutant que sa base, a coupé. Les milieux visés ont férocement décrié. C’est simplet comme explication. Mais pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple…

Privatisons!

Le problème avec les chroniqueurs et commentateurs qui se portent à la défense de la société d’État – en plus d’être entendus par des élus atteints d’interventionnite aigüe –, c’est qu’ils sont tous plus ou moins en conflit d’intérêt. Ou bien ils connaissent des gens qui y travaillent (le monde est petit, rappelez-vous), ou bien ils y travaillent eux-mêmes.

Si les Cassivi & Cie trouvent qu’ils ne paient pas suffisamment pour leur télé publique, ils n’ont qu’à se regrouper et à créer un fonds spécial. Le fonds des amis de la télé publique. Ils pourront y verser autant d’argent qu’ils le désirent. Et qui sait, peut-être que de simples citoyens vont suivre l’exemple et contribuer aussi.

Dans tout ce brouhaha médiatique, l’une des meilleures déclarations est venue du maire de la ville de Québec – qui perd trois émissions locales et 15 postes. Régis Labeaume, qui compte bien manifester son indignation au président de Radio-Canada, Hubert T. Lacroix, dénonce la décision de la société d'État. « Qu'ils nous disent ce qu'ils veulent faire avec Radio-Canada. Si c'est pour la privatiser, qu'ils nous le disent. Ça nous donne quoi, comme payeurs de taxes, de payer pour ça et que, moi à Québec, je n'aie pas de nouvelles régionales faites par des gens qui vivent dans la région? Ça ne marche pas. »(6)

On pourrait pousser le raisonnement un peu plus loin et ajouter: « Ça nous donne quoi, comme payeurs de taxes, de payer pour ça et que, moi, je n’écoute même pas Radio-Canada? »

Comme je l’écrivais en 1999, dans la logique interventionniste qu'ont adoptée les gouvernements qui se succèdent depuis des années à Ottawa, la première raison d'être d'une télé publique était d'offrir des produits qui autrement ne seraient pas offerts par le secteur privé – le genre d'émissions éducative ou culturelle qui n'attirent pas nécessairement les foules, mais qui provoquent chez le citoyen le questionnement, la prise de position, le débat. Or, la CBC et la SRC présentent de moins en moins d'émissions de ce genre, ressemblent de plus en plus à ce qui se fait au privé et prennent constamment des décisions à partir des fluctuations de leurs cotes d'écoute.

Couper les fonds publics à la CBC/SRC ne signifierait pas pour autant mettre la clé dans la porte de ces chaînes. Que ce soit sous le modèle privé ou sous le modèle « PBS » (chaîne américaine financée en grande partie par les commandites de prestige et les dons des téléspectateurs), elles continueraient à diffuser. Dans le premier cas, elles se financeraient à même les revenus publicitaires, les revenus générés par la location de leurs infrastructures et équipement et les divers programmes et fonds d'aide à la production dont est doté le Canada. Dans le second cas, leur financement serait assuré par les nombreux fonds de production et l'argent amassé lors de campagnes de souscription.

Et pensez-y: on n’aurait plus à subir les crisettes nationales et cycliques sur la place qu’occupe la télé publique dans nos vies de Canadiens/Québécois à toutes les fois qu’un gouvernement annonce des coupes dans les budgets ou que la CBC/SRC annonce des mises à pied. On n’aurait plus à se demander si en tant que contribuable on paye suffisamment pour le service ou si les budgets débloqués par les gouvernements sont suffisants pour le service: le marché s’en chargerait.

La bonne nouvelle dans tout ça, c’est que les Canadiens (et surtout les Québécois) ne semblent pas s’inquiéter outre mesure de la qualité de « leur » télé publique. En une semaine, seulement 115 000 personnes avaient signé une pétition électronique exigeant qu'Ottawa assure un meilleur financement de la société d'État aux prises avec un manque à gagner de 170 millions $ cette année(7). Au Québec, c’est quelque 20 000 noms qui auraient été recueillis. Sur environ 33 millions d’habitants, ce n’est pas beaucoup…

1. Hugo De Grandpré, « Radio-Canada: l'opposition vilipende les conservateurs », La Presse, 26 mars 2009.
2. Paul Journet, « Radio-Canada sabre 10 % de ses effectifs », La Presse, 26 mars 2009.
3. Nathalie Petrowski, « Un peu de mémoire, S.V.P. », La Presse, 27 mars 2009.
4. Marc Cassivi, « Un éléphant dans un magasin de porcelaine », La Presse, 26 mars 2009.
5. Patrick Lagacé, « Le hic… », La Presse, 26 mars 2009.
6. Pierre-André Normandin, « Labeaume dénonce les compressions à Radio-Canada », Le Soleil, 26 mars 2009.
7. Violaine Ballivy, « 115 000 signatures pour Radio-Canada », La Presse, 5 avril 2009.

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* Gilles Guénette est titulaire d'un baccalauréat en communications et éditeur du Québécois Libre.