LES GOUVERNEMENTS POURRONT-ILS ATTEINDRE LES OBJECTIFS DE RÉDUCTION DES ÉMISSIONS DE CO2? (Version imprimée)
par Carl-Stéphane Huot*
Le Québécois Libre, 15 avril 2009, No 266.

Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/09/090415-9.htm


L’actuel engouement pour la réduction de l’émission de CO2 me laisse assez pantois. L’ambition affichée par les environnementalistes et les gouvernements d’une réduction de 20 à 40% de l’émission de CO2 par rapport à 1990 – l’année est importante, on le verra – est en effet pour le moins utopique, du moins si nous ne voulons pas subir une très forte décroissance économique. Bien que Kyoto ait accouché d’une souris, on peut se demander ce que nous réservera concrètement la conférence de Copenhague de décembre prochain.

Population mondiale + croissance économique

L’une des variables dont il faut tenir compte dans l’analyse de l’émission de CO2 est l’évolution du nombre de personnes dans un pays ou dans le monde, puisque les nouveaux arrivants auront peu ou prou le même niveau de consommation que les habitants déjà présents. Or, de 1990 à 2008, la population mondiale a grimpé de 5264 millions à 6747 millions, un bond de 28%. Dans le même temps, la population du G7 – j’exclus la Russie à cause de ses problèmes de transition – a grimpé de plus de 12%, de 651 à 733 millions.

À cela, il faut aussi ajouter que ces années ont vu une croissance économique assez robuste à peu près partout dans le monde – notamment en Inde et en Chine, ce qui a aussi entraîné une hausse de la consommation générale, dont celle d’énergie.

Donc, ramené aux chiffres d’aujourd’hui, l’objectif est au moins de l’ordre de 25 à 50% de réduction de consommation d’énergie fossile – sans compter les autres gaz à effet de serre, comme le méthane (± 15% des émissions), comptés dans les émissions, mais non dans les réductions possibles, puisque les puissants lobbies agricoles ont pratiquement obtenu des gouvernements de ne pas avoir, eux, à faire d’efforts de réduction des émissions. Un fait important est ici à noter: comment pourra-t-on effectivement vérifier la réduction réelle des pays? En effet, il s’agit essentiellement d’estimations, et selon ce que j’ai pu vérifier, il existe des écarts d’au moins 10% selon les sources. Cela laisse songeur, surtout quand un pays se vante d’avoir réduit ses émissions de quelques points de pourcentage. Et surtout, c’est une source potentielle de discorde pour l’avenir.

D’un autre côté, l’industrie en général a, à cause des pressions de la mondialisation, continué de réduire sa consommation d’énergie par dollar de PIB. Bien qu’il faille tenir compte d’une importante tertiarisation de l’économie – le secteur tertiaire a généralement besoin de moins d’énergie par dollar produit que les secteurs primaire et secondaire –, les secteurs industriels ont tout de même consenti d’importants efforts pour augmenter leur efficacité, en plus de la recherche et développement qui se continue jour après jour. Malgré cela, il faut être conscient que les limites sont pratiquement atteintes de ce côté.

Où couper?

Une des questions de base à se poser est donc: où peut-on réellement couper toute cette consommation d’énergie sans affecter sérieusement notre niveau de vie? Du côté des petits gestes quotidiens, comme de ramener son thermostat à 20°C ou de laver son linge à l’eau froide, c’est assez bien suivi. La réduction ne peut donc pas être beaucoup plus grande, probablement globalement de 5% si vraiment tout le monde applique à la lettre toutes les réductions possibles dans la maison. Quelques autres exemples:

• La construction de maisons neuves de type Novoclimat – qui permet « au mieux » une économie de 35% sur les coûts de chauffage, ne réduit dans les faits la consommation totale d’énergie que de 16,5%, en tenant compte du fait qu’au Québec 55% de l’énergie résidentielle sert à chauffer la maison. Notons ici que dans les faits, il n’y a pas d’économie d’argent, puisque ce que vous allez économiser en énergie sera dépensé intégralement, et même un peu plus, en hypothèque supplémentaire. Du côté de la rénovation, c’est encore pire, puisqu’il faut investir beaucoup plus d’argent qu’on en retirera en économie d’énergie.

• Les autobus électriques ne semblent pas non plus la panacée. Ainsi, la Ville de Québec a mis à l’essai le printemps dernier dans la zone touristique du Vieux-Québec un modèle tout électrique à 20 places, plus coûteux qu’un autobus diesel articulé d’une capacité de 100 places, qui ne va qu’à 40 km/h – ce qui l’oblige à zigzaguer entre le garage et le centre-ville, puisque le garage est presque enclavé entre des autoroutes, augmentant son temps de déplacement –, qui ne coûte pas vraiment moins cher d’entretien que le modèle à 100 places, et qui a de la difficulté à grimper le côtes lorsqu’il est plein… toute une prouesse technique! (Le développement de tramways est aussi prohibitif, on parlait plus tôt cette année d’une dépense de 260 millions pour un parcours de 6 km à Montréal.)

• Compte tenu de la faible durée de vie des batteries (6 ans, ce qui est pratiquement la durée de vie du véhicule), un véhicule hybride ne devrait pas se vendre plus cher que ses équivalents à essence (durée de vie de l’ordre de 10 ans), même en tenant compte de l’économie d’énergie. Or, un hybride se vend actuellement environ 27 000 $, contre 15 000 $ pour ses similaires à essence. De plus, on doit absolument avoir des véhicules qui peuvent être branchés au réseau électrique, puisque sinon, nous dépensons encore plus de carburant que si nous avions un moteur à essence seul. Notons aussi que dépendamment du mode de production de l’électricité, on peut se retrouver grosso modo avec des émissions de véhicule diesel sans en avoir les avantages. (Avec des centrales thermiques pour alimenter le véhicule, les rendements successifs amènent un rendement global autour de 30%.) Enfin, nos réseaux électriques résidentiels actuels ne pourront prendre la surcharge sans être à la fois augmentés en puissance et fortement renforcés, puisque une large partie des citoyens se branchera en même temps en arrivant du travail en fin d’après-midi.

• Même le fait de consommer « bio » coûte plus cher en énergie que l’agriculture industrielle. Si je me fie aux chiffres souvent cités par ses promoteurs, l’agriculture industrielle consomme entre 1,8 et 1,9 fois plus par hectare cultivé que le « bio ». Mais comme il faut entre 2 et 3 hectares « bio » pour avoir les récoltes d’un hectare industriel, cela veut dire que l’industriel ne consomme qu’entre 60 et 95% pour produire la même quantité de nourriture. Sans compter qu’il n’est pas vrai que le « bio » n’utilise pas de pesticides. Il utilise actuellement un pesticide disons naturel appelé pyréthrine, extrait des fleurs de chrysanthème, qu’il faut faire pousser en plus de la nourriture. (Et, en passant, ce pesticide est un allergène reconnu, mais bof!, puisque c’est naturel…)

• Au niveau industriel, je prendrai l’exemple du moteur électrique qui est très utilisé, que ce soit pour actionner différents mécanismes ou pour le fonctionnement des machines outils. Il existe aujourd’hui des équivalents à haut rendement énergétique de presque tous les moteurs électriques. En gros, ils ont un rendement amélioré de 3 à 10% selon le modèle, mais coûtent environ 30% plus cher. À strictement parler, ils sont rentables à acheter à partir d’une utilisation continue sur environ 2 quarts de travail par jour. Mais même si l’on réussissait à imposer aux industriels de n’utiliser que des moteurs à haut rendement, on n'économiserait encore que de 3 à 10% de l’énergie, et non 25%.

• Toutes les entreprises font face quotidiennement à un problème général d’optimisation économique: quelle combinaison de ressources humaines, matérielle et d’énergie utiliser pour remplir au mieux les besoins de leurs clients, tout en minimisant le coût global? Dans ce problème, l’énergie et les ressources matérielles ne sont que des intrants comme les autres. Ainsi, on achètera une machine pour sauver des salaires, et l’on pourra faire un design en choisissant une plus grande perte de matériel si l’on sauve aussi du temps. Et ce n’est pas tout. Comme nous allons vers un marché de niche, deux entreprises « du même secteur » peuvent se retrouver avec des pourcentages très différents d’intrants. Si nous choisissons d’oublier la contrainte coût, avec quelle(s) règle(s) byzantine(s) pourra-t-on déterminer l’optimum?

Situation critique = solutions extrêmes

Certains m’objecteront que la situation est critique et que les coûts n’ont pas à entrer en ligne de compte. Pourtant, le coût est important puisqu’il reflète assez bien la quantité de ressources utilisées pour fabriquer le bien. Or, si un truc « vert » coûte 10, 20 ou 50% plus cher qu’un autre truc ordinaire, c’est qu’il a coûté dans les 10, 20 ou 50% plus cher en ressources à produire. Le gain énergétique devient alors un peu plus aléatoire. La tendance actuelle à subventionner massivement les « initiatives vertes » s’inscrit dans cette lignée absurde de se payer une conscience écologique ou sociale à l’aide du portefeuille d’autrui.

Une petite étude maison de ma part m’a amené à vérifier la corrélation qu’il y avait entre le prix de l’électricité dans l’Union Européenne à 25 et la consommation des ménages. Or, je n’obtiens qu’un coefficient de -0.06, ce qui est à toute fin pratique nul et non significatif. Donc, le prix n’influence guère la consommation d’électricité. Cela peut s’expliquer par le fait que la valeur des services rendus par l’électricité dépasse largement son prix.

Par contre, si je prends la consommation totale d’énergie de la CEE, et que je la corrèle avec le PIB par habitant, j’obtiens un coefficient de 0,81 qui lui est très significatif: si nous voulons nous enrichir nous devons utiliser de l’énergie.

Cela veut aussi dire que le fait de taxer le CO2 ne risque guère de faire diminuer la consommation d’énergie chez les consommateurs occidentaux, mais risque surtout de limiter la capacité de se développer du Tiers-Monde, ce qui risque à terme de causer de graves conflits entre ce dernier et l’Occident.

D’ailleurs, les pays producteurs de ressources comme le Canada se font montrer du doigt comme piètres élèves du dogme environnementaliste, alors que tous les pays du monde profitent de ses ressources. À la limite, on pourrait imaginer deux pays ayant un marché commun, l’un produisant l’essentiel des ressources et des biens et l’autre les services. Le premier, dans ce cas, serait un assez piètre élève environnemental et le second passera pour un premier de classe alors qu’il a consommé une certaine part des biens produits par le premier.

Cela pourrait in fine conduire à une réduction du commerce mondial et réduire sensiblement l’efficacité de l’économie. Ainsi, par exemple, l'UE s’est aussi dotée d’un vaste marché commun de l’électricité qui lui permet, entre autres, de compenser le manque à gagner à un endroit par un surplus ailleurs. Cela améliore l’utilisation des centrales et réduit le coût global de l’électricité. Or, que se passera-t-il si l’on insiste pour calculer toutes les sources d’émission de CO2 et l’attribuer au pays émetteur? Il est probable que les pays refuseront de vendre de l’électricité produite par les centrales thermiques (hors nucléaire) hors de leurs frontières pour ne pas plomber leurs résultats en matière de réduction d’émissions de CO2. D’où une sous-utilisation des centrales et une mauvaise allocation des ressources en obligeant certains pays à investir dans des centrales inutiles.

Peu de solutions alternatives à court terme

Un autre aspect de la réflexion m’est fourni par Jean-Marc Jancovici et son concept d’esclave énergétique. Malgré un texte ambigu et des calculs tarabiscotés, il en arrive à la conclusion que chacun de nous, en Occident, utilisons l’énergie d’une centaine d’esclaves pour nous fournir notre niveau de vie actuel. En refaisant ses calculs, je me suis aperçu que ses « esclaves » devaient être dans une forme olympique pour parvenir à faire autant de travail qu’il le suppose. Personnellement donc, j’estime plutôt à au moins 300 le nombre d’esclaves énergétiques nécessaires au maintien de notre niveau de vie actuel. En grattant à l’os la consommation actuelle d’énergie sans vraiment tenir compte du coût de cette réduction et en mettant au travail tous les citoyens disponibles, on pourra récupérer quoi? Largement moins de 1% de tout cela, si l’on oublie les coûts… Au-delà, c’est directement dans notre niveau de vie qu’il faudra couper.

On cite souvent la Suède pour son leadership en matière de réduction d’émission de gaz à effet de serre. Une partie de ce succès tient à l’utilisation d’éthanol à base de canne à sucre, et on a vu en 2008 les problèmes que cela a causés. Une autre partie consiste en l’utilisation des déchets pour produire du méthane utilisé dans les moteurs, mais cela ne peut guère toucher qu'une faible proportion des véhicules, dû au volume assez faible de déchets produits. Enfin, la Suède possède d’importantes ressources hydrauliques et géothermales qui, combinées à une relativement faible population (9 millions), contribuent à limiter l’utilisation des hydrocarbures. À noter, enfin, que l’essentiel de cette réduction tient au fait que les Suédois étaient en retard sur d’autres pays à la fin des années 1990. On peut alors se demander ce que signifie réellement ce leadership: une réelle avancée ou une simple mise à niveau? Peu de régions du monde peuvent l’imiter.

Malheureusement, peu de solutions alternatives existent à court terme. Comme je l’ai déjà écrit à plusieurs reprises sur ce site (voir par exemple: « Pourquoi on ne peut compter sur les éoliennes pour nous approvisionner en énergie »), les énergies dites vertes ne peuvent pas remplacer des sources d’énergie stable, que ce soit l’hydroélectricité, ou une centrale thermique quelconque. Si nous ne voulons pas réduire sensiblement notre niveau de vie, nous joindre au Mouvement pour l'Extinction Volontaire de l'Humanité, voire à la Church of Euthanasia, et compte tenu du fait que l’on désire réduire les émissions de CO2, il ne reste guère qu’une solution: les centrales nucléaires. À condition de faire abstraction des lobbies anti-nucléaire bien entendu…

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* Carl-Stéphane Huot est gradué en génie mécanique de l'Université Laval à Québec.