Pandémies, catastrophes, crises: on va tous mourir! (Version imprimée)
par Gilles Guénette*
Le Québécois Libre, 15 mai 2009, No 267.

Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/09/090515-4.htm


« Il faut se dégager soi-même de la prison des affaires quotidiennes et publiques. » –Épicure (-341/-270), Sentences vaticanes

Crise économique mondiale, pandémie de grippe A (H1N1), catastrophes environnementales, scandales politiques, manifestations populaires – à lire les journaux de nos jours, ou à regarder les nouvelles télévisées, on passe par toute la gamme des émotions, négatives plus souvent qu’autrement. On a tantôt peur, on est tantôt indigné, on est tantôt irrité. Vient un jour où on se demande si l’exercice est vraiment nécessaire…

L’indignation

Une lectrice de La Presse signait une lettre ouverte le mois dernier pour se défendre du fait qu’elle ne descendait pas dans la rue à tout bout de champ pour manifester contre tout ce qui l’indignait. La dame a senti le besoin d’écrire lorsqu’elle a entendu un commentaire à la radio. Dans une tribune téléphonique, un type disait que la situation d'Omar Khader n'émouvait visiblement pas la population canadienne puisqu'il n'y avait pas de manifestation dans la rue.

« J'aimerais profiter de ce commentaire pour mettre en garde les journalistes et les commentateurs politiques de toutes sortes contre ce genre de raccourci logique, écrit la dame. Il est frustrant de lire sans cesse qu'on mesure à l'aune des manifestations publiques l'importance que les citoyens sont censés accorder à une cause. Savez-vous que je vis dans un état de colère quasi permanent, comme la majorité de mes concitoyens, et que, si je sortais dans la rue pour manifester contre tous les sujets qui me révoltent et pour toutes les causes qui me tiennent à coeur, je vivrais dans la rue! »

C’est vrai qu’à part quelques étudiants socialistes, activistes professionnels et syndiquées payées pour manifester, le vrai monde n’a tout simplement pas le temps de descendre dans la rue. Il est occupé à travailler pour payer, entre autres, les revendications de ceux qui trouvent le temps de manifester.

Cette lettre ouverte (qui se poursuit sur quelques paragraphes, mais qui dégénère un peu par la suite) m’a fait réfléchir. Premièrement, elle explique en partie pourquoi les sans-abri sont ce qu’ils sont… des sans-abri. Ce sont en fait d’éternels désœuvrés qui ont tellement de sujets qui les révoltent et de causes qui les tiennent à cœur qu’ils sont obligés, par la force des choses, de vivre dans la rue pour pouvoir tout couvrir et manifester leur indignation au jour-le-jour.

Deuxièmement, et plus sérieusement, elle nous éclaire sur une grande vérité bien de notre temps: les médias sont dommageables pour la santé. Parce que si la dame et la majorité de ses concitoyens disent vivre « dans un état de colère quasi permanent », c’est parce qu’ils sont au fait de l’actualité. Parce qu’ils lisent le journal en se levant et regardent le bulletin de nouvelles en se couchant. Plus on consomme la bouillie médiatique que nous servent quotidiennement les grands médias généralistes, plus on risque de devenir colérique. Élémentaire, mon cher Watson.

La peur

Ainsi les médias nous abreuvent de toutes les catastrophes naturelles ou fabriquées qu’ils peuvent trouver. Plus la menace est mondiale, plus elle menace la survie de l’humanité, mieux c'est. La dernière en lice aura été la pandémie de grippe A (H1N1). À s’informer le moindrement, on pouvait suivre d’heure en heure la progression du virus. Il a commencé à faire des ravages au Mexique. Puis aux États-Unis. En Europe, Au Canada. Au Québec. À Montréal. Diantre, tout le monde va y passer! « Surtout restez bien barricadés chez vous et continuez de nous écouter pour connaître les derniers dénouements… »

Un type disait l’autre soir à la radio que 100 personnes meurent à tous les jours de la grippe aux États-Unis. Pas de la grippe H1machin; de la bonne vieille grippe. Est-ce que TVA ouvre son bulletin de nouvelles avec ça? Est-ce que La Presse en fait une manchette quotidiennement? Imaginez le grand titre – à tous les jours –: « Encore 100 personnes succombent à la grippe chez nos voisins du sud ». Grand bâillement général…

Les médias nous font toujours le coup. Ils braquent leurs projecteurs sur un événement (ou une réalité) et le font paraître plus gros qu’il ne l’est véritablement. Étrangement, cette fois-ci, des voix se sont élevées pour dire qu’ils s’énervaient peut-être pour rien. Tellement que certains ont crû bon défendre leurs camarades. C’est le cas d’André Pratte, éditorialiste en chef de La Presse.

« Alors qu'au Mexique, le nombre de décès causés par la grippe porcine [le nom donné au virus avant que l’industrie du porc ne se fâche] monte en flèche, écrivait-il le 28 avril dernier, les quelques dizaines de malades recensés ailleurs sur la planète ont souffert de symptômes relativement bénins. Cela étant, certains accusent déjà les médias d'accorder une importance démesurée à cette nouvelle épidémie et de susciter ainsi une panique qui n'a pas sa raison d'être. Nous ne sommes pas d'accord. »

L’éditorialiste poursuit en écrivant qu’« il n'y a qu'à entendre les spécialistes de la santé publique partout dans le monde pour comprendre que si, hors du Mexique, la situation n'est pas encore dramatique, elle est certainement préoccupante. Partout, notamment au Canada, on s'attend à une augmentation de nombre de personnes atteintes et à des décès. On voit mal comment les médias pourraient ignorer une telle nouvelle. »

« Toute cette information suscite-t-elle l'inquiétude au sein de la population? Bien sûr que oui, d’écrire M. Pratte. Et c'est une excellente chose. Si la peur est parfois mauvaise conseillère, elle est aussi un puissant motivateur. » Motivés par la peur, que vont réclamer les citoyens – par « porte-parole » interposés? L’intervention de leurs élus, c’est sûr. Les médias – courroie de transmission des pouvoirs publics – veulent bien vendre des copies, mais ils veulent aussi que les choses aillent dans le sens de ce à quoi ils adhèrent.

« Si nous voulons que l'épidémie soit contenue, aucune mesure – ni la surveillance des voyageurs ni l'administration massive de médicaments – ne sera plus efficace que la sensibilisation de la population et du personnel du réseau de la santé. […] Si toute l'information diffusée par les médias depuis quelques jours pouvait seulement inciter davantage de gens à adopter ces mesures élémentaires d'hygiène, leur contribution aurait été d'une utilité considérable. » (Variante du fameux: « Si une vie peut être sauvée, cette [insérer un mot ici] aura valu le coup ».)

On avait bien besoin que les bonzes de la santé publique viennent nous dire qu’il est important de se laver les mains le plus souvent possible, d’éternuer dans le creux de son bras ou dans sa chemise – et non comme nous le dictait jadis la politesse, dans sa main – et de rester à la maison si on est malade… On avait encore plus besoin que Québec mette sur pied un site dédié à la grippe – Pandémie Québec, où le visiteur est accueilli avec un message en grosses lettres: « IL N’Y A PAS DE PANDÉMIE AU QUÉBEC ». Rassurant. – et qu’Ottawa lance une vaste campagne d'information publique from coast to coast to coast en plus de créer des cellules de crise sur ses sites de Santé Canada et de l’Agence de la santé publique du Canada. Quand l’argent coule à flot…

Irritabilité / indifférence

Quand ce n’est pas l’indignation ou la peur qui nous assiègent lorsque nous consommons de la nouvelle, c’est l’irritabilité (grincement de dents: Grrrr) ou l’indifférence (encore une fois, bâillement). Ainsi, les médias nous servent année après année les mêmes histoires. Seuls les noms – quelquefois – changent.

Le 5 mai dernier, La Presse nous servait un autre grand dossier sur le décrochage scolaire. Puis un autre sur la pénurie d’infirmières dans le secteur de la santé. N’a-t-on pas tout dit sur ces sujets?! Que reste-t-il à rajouter? Ça me rappelle les documentaires sur les Égyptiens à la télé. Vous remarquerez qu’ils ont toujours des titres comme: « Les mystères des pharaons », ou « Les secrets des grandes pyramides », ou encore « L’énigmatique Néfertiti ». Comment expliquer qu’il reste encore des mystères, secrets ou énigmes en matière d’égyptologie avec tous les livres publiés sur le sujet, tous les documentaires réalisés?

Mais les médias continuent de faire le tour de ces questions. C'est rassurant et, surtout, facile. Ils interrogent les mêmes porte-parole politiques, les mêmes porte-parole syndicaux, les mêmes universitaires et hop!, le tour est joué. Les journalistes ne pensent pas, ils relatent. On a beau leur raconter des bourres: c'est une vérité si cela vient d'une « personne autorisée ». Quelques fois, ils vont même jusqu'à dénicher une « victime » – histoire de faire plus people et de fournir la possibilité aux lecteurs/spectateurs de mieux s'identifier à la problématique. Plus ça pleure, meilleur c'est. On en vient à se demander s'ils ne suivent pas une sorte de calendrier dans lequel tous les sujets à traiter dans une année sont déjà répertoriés, à la date près.

Le problème en lisant ou en écoutant ces nouvelles, c’est que les solutions avancées par nos grands étatistes de journalistes sont toujours les mêmes: des interventions des pouvoirs publics (« Le gouvernement doit mettre ses culottes et… »); un resserrement de la réglementation (« L’État doit faire en sorte que personne ne puisse… »); la création d’une nouvelle taxe ou un investissement (« Le gouvernement doit débloquer des fonds pour… »). Et comme ils ne veulent tout de même pas passer pour des communistes, ils mentionnent souvent au passage que le secteur privé devra aussi être mis à contribution, mais bon, l'impulsion vient encore d'en haut…

La modération

Quoi faire alors? Difficile de garder la tête froide lorsqu’on lit/entend ces nouvelles en boucle et qu’on voit son chèque de paie rétrécir comme peau de chagrin sous le poids des ponctions fiscales visant à payer pour tout ça. On enrage. On en vient à vivre, nous aussi, « dans un état de colère quasi permanent ». À quand un grand dossier sur le décrochage social?!

Il ne s’agit pas de nier la réalité et de vivre béatement en vase clos tel le bovin qui n’a d’autre activité dans la vie que de regarder les voitures passer. Ni de se dire que « ce qu’on ne sait pas ne nous fait pas mal ». Mais comme la très grande majorité des nouvelles qu’on nous sert ne sont en fait pas des nouvelles mais du bruit sur lequel nous n’avons aucune emprise (à moins de descendre dans la rue), un bon moyen d’améliorer sa tranquilité d’esprit est de réduire sa consommation d’informations. C’est ce que j’ai décidé de faire en ne renouvelant pas mon abonnement à La Presse.

Assez de tous ces articles et dossiers sur les phénomènes bidon de société, la dernière « crise », le dernier « scandale » politique, les détails scabreux du meurtre de l’heure, etc., en buvant mon café le matin. Toutes ces nouvelles qui ne visent qu’une chose: nous secouer. J’ai cessé de regarder les bulletins de nouvelles du soir il y a plusieurs années pour les mêmes raisons. Je suis certain que les nouvelles pertinentes se rendront jusqu’à moi d’une façon ou d’une autre.

Les grands médias se demandent pourquoi leur lectorat/audimat est en constante chute depuis des années. Au lieu de rejeter la faute sur la gratuité et le Net, ils devraient s’interroger à savoir s’ils ne sont pas allés un peu trop loin dans le sensationnalisme et l’anecdote-élevée-au-rang-de-nouvelle. Si la peur est un puissant motivateur, elle est aussi une sensation bien désagréable.

Ce n’est pas pour rien si le consommateur se fait de plus en plus son propre journal, avec flux RSS, agrégateurs et tout le reste, et si les sources de nouvelles les plus spécialisées sont souvent les plus populaires. C’est que l’offre généraliste est rendue à ce point médiocre que même Monsieur et Madame Tout-le-monde commencent à en avoir ras-le-bol. La bonne nouvelle, c’est qu’Internet existe. Pour le meilleur et pour le pire.

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* Gilles Guénette est titulaire d'un baccalauréat en communications et éditeur du Québécois Libre.