L'effondrement du dollar américain (Version imprimée)
par Martin Masse*
Le Québécois Libre, 15 juin 2009, No 268.

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La monnaie de la république de bananes américaine a connu à la fin mai l'une de ses pires semaines depuis des mois.

Ça fait déjà des années que les économistes autrichiens prédisent son effondrement, compte tenu des politiques inflationnistes de la Fed sous la gouverne d'Alan Greenspan et de Ben Bernanke, et de la précarité de cette monnaie de papier depuis son découplage final avec l'or par le président Nixon en août 1971. J'ai écrit un billet là-dessus il y a un an et demi (voir « L'effondrement du dollar américain »).

Alors que la crise économique s'amplifiait l'automne dernier, le dollar a pourtant connu un regain de force, ce qui semblait contredire cette prédiction. Les marchés financiers, qui sont composés d'individus en chair et en os qui lisent les idioties keynésiano-monétaristes de la presse financière et n'ont qu'une compréhension limitée de l'économie, avaient alors décidé de se réfugier dans cette « valeur sûre » que sont les obligations du Trésor américain. C'est leur réflexe de moutons chaque fois qu'on se retrouve en période d'incertitude à l'échelle mondiale depuis des décennies.

Cette fois cependant, le scénario ne se déroule pas de la même façon qu'à l'habitude. Depuis l'automne, le gouvernement américain et la Fed multiplient les plans de sauvetage et de relance en créant des quantités monstrueuses de faux crédit. Washington a à toutes fins pratiques nationalisé les secteurs de la finance et du prêt hypothécaire, et achève de nationaliser le secteur de l'automobile. Son déficit budgétaire atteint des niveaux inimaginables il y a à peine un an, alors qu'on se surprenait déjà des déficits gigantesques du gouvernement Bush.

La reprise par la Fed, à la mi-mai, de son programme d'achats massifs (pour 300 milliards $) de bons du Trésor (ce qui signifie que la banque centrale crée de l'argent à partir de rien pour financer directement le déficit du gouvernement) a fait réfléchir les investisseurs, qui craignent de plus en plus que ces mesures ne mènent à une poussée inflationniste et à une dévaluation de la monnaie. Ce programme n'en est qu'un parmi les nombreuses interventions de la Fed, qui a acquis au cours des deux dernières années pour des centaines de milliards de dollars d'obligations hypothécaires et autres titres toxiques.

Les acheteurs traditionnels de la dette américaine, comme les Chinois, commencent donc sérieusement à avoir des sueurs froides et à chercher des portes de sortie, même s'ils poursuivent leurs achats pour éviter un effondrement trop rapide. Dans la semaine de mai, c'est le régime de pension sud-coréen qui a annoncé qu'il prévoyait diminuer son portefeuille d'obligations américaines au cours des prochaines années.

D'autres part, une série de nouvelles laissant croire que des signes de relance se manifestent (il s'agit en fait pour la plupart de nouvelles montrant que la situation empire moins rapidement) a poussé des investisseurs à délaisser les obligations américaines pour acquérir des titres présumés plus risqués à l'étranger. C'est la bonne chose à faire, mais pour la mauvaise raison.

Tout cela fait donc en sorte que le dollar US a atteint, fin mai, son plus bas niveau des cinq derniers mois à l'égard des autres principales devises. Le dollar canadien, qui se transigeait dans les 70 cents en mars, atteint maintenant les 90 cents. Malgré son déficit important (le ministre des Finances a annoncé à la fin du mois dernier qu'il s'élèverait non pas à 34 mais à 50 milliards $), le Canada fait figure de havre de prudence comparé à l'orgie de dépenses et d'interventions qu'on observe au sud de la frontière.

Pourquoi devrait-on se préoccuper du niveau du dollar et de la demande pour des bons du Trésor américain? Parce qu'ils sont des indicateurs clé de l'évolution de la crise et que ce qui arrive sur ce plan finira par avoir un impact considérable sur nos propres vies. Pour comprendre ce qui arrive et s'y préparer.

Le prix d'une obligation varie inversement avec l'intérêt qu'il rapporte. Ainsi, quand la demande diminue pour les obligations, leur valeur baisse, et le taux d'intérêt qu'elles portent augmente proportionnellement. Cette semaine, le rendement sur les obligations à échéance de 10 ans a ainsi grimpé jusqu'à 3,74%, ce qui dépasse le 3% qui prévalait en mars lorsque la Fed a annoncé son programme d'achat de bons du Trésor et son intention d'acheter encore plus de titres hypothécaires. C'est encore peu, mais tout de même une indication que ce programme, qui a pour but de maintenir les taux d'intérêt très bas, ne semble pas très bien fonctionner. Pour éviter une hausse de taux, la Fed doit donc multiplier ses achats, c'est-à-dire injecter toujours plus de faux argent dans l'économie.

Lorsque les marchés décideront vraiment de laisser tomber les obligations américaines, on assistera à un enchaînement de phénomènes dont les répercussions sont incommensurables. Les grands investisseurs comme la Chine, le Japon et les pétromonarchies ne peuvent se permettre de laisser tomber le dollar, puisque la valeur de leurs avoirs en dollar s'effondrerait. Mais si plusieurs investisseurs plus modestes, mais suffisamment importants collectivement pour avoir un impact, finissent par totalement perdre confiance dans les politiques de la Fed et se mettent à vendre leurs obligations, on pourrait assister à un effet d'entraînement. Les gros seront alors dans une position intenable: vendre tout de suite pour limiter les dégâts, ce qui aura pour effet d'amplifier le mouvement de chute; ou attendre en espérant le contenir et peut-être tout perdre si les autres ne font pas de même.

Un tel mouvement entraînera un effondrement du dollar et une chute du prix des obligations – et conséquemment une hausse des taux d'intérêt de ces obligations. La Fed n'aura alors que deux choix:

1. Poursuivre sa politique inflationniste en achetant massivement des obligations pour soutenir leur valeur et maintenir les taux bas, ce qui entraînerait une hyperinflation et un effondrement encore plus accéléré du dollar, le largage de l'économie américaine par le reste du monde et une chute draconienne du niveau de vie des Américains; ou bien

2. Changer sa politique à 180 degrés en augmentant les taux d'intérêt suffisamment pour ramener les investisseurs, soutenir le dollar et contenir l'inflation, ce qui entraînerait l'échec des plans de relance des derniers mois, une accélération des faillites des propriétaires de maisons incapables de se refinancer à des taux trop élevés, une hausse accélérée du chômage, des coupures budgétaires gigantesques par un gouvernement incapable de financer sa dette, et une contraction subite et massive de l'économie américaine.

D'un côté, l'équivalent d'une fuite en avant et d'une faillite; de l'autre, l'équivalent d'une diminution draconienne de sa consommation pour rembourser ses dettes. Il n'y a pas d'autres façons d'échapper à un endettement massif. Dans le second cas cependant, si on arrêtait d'intervenir et d'empêcher l'économie de se rééquilibrer, on pourrait au moins préparer une reprise sur des bases plus solides après une période difficile.

La baisse des dernières semaines annonce-t-elle la phase finale de l'effondrement du dollar? Il est toujours impossible de le dire, mais nous en sommes certainement plus près qu'il y a un an et demi. L'analyse autrichienne se fonde sur des tendances inévitables à la lumière de la logique économique, mais n'est pas une boule de cristal. Les économistes illettrés économiques conventionnels, qui n'ont rien vu venir et qui prévoient maintenant une reprise au cours des prochains mois parce qu'ils croient en l'efficacité des interventions du gouvernement et de la Fed, ne comprennent cependant rien à la logique économique et se trompent encore une fois. D'une façon ou d'une autre, la semaine prochaine ou dans un an, les Américains devront payer pour avoir prodigieusement vécu au-dessus de leurs moyens depuis des décennies et avoir bousillé les fondements de leur productivité par l'étatisation de leur économie.

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* Martin Masse est directeur du Québécois Libre.