Montréal, 15 juin 2009 • No 268

 

Michel de Poncins écrit les flashes du Tocqueville Magazine et est l'auteur de quelques livres.

 

 

OPINION

Un mammouth nommé santé

 

par Michel de Poncins

 

          Un Martien qui débarquerait par hasard dans la « République Fromagère » se livrerait à d'étranges constatations. Il observerait le nombre et la puissance des mammouths qui écrasent l'économie française. Sauf erreur ou omission les principaux sont les suivants: éducation nationale, sécurité sociale, hôpital public, lequel est fortement lié au précédent, et collectivités territoriales. Il en est certainement d'autres mais ces quatre mammouths précités expliquent à eux seuls par leur puissance et leurs liens inextricables la dégradation de l'économie française. Malgré les explications officielles sur la chute du PIB, ils l’expliquent bien plus que la présumée crise.

 

          Sur le dos des mammouths se trouve un nombre immense de parasites représentés par les hommes de l'État, ceux que je désigne comme les « Hifis ». Ceux-ci se nourrissent, ô combien largement, du sang des mammouths qui est en fait le sang du peuple français. Ils dirigent les mammouths de façon solidaire et fabriquent de ce fait l'information par presse interposée. D’eux-mêmes et individuellement il n’est aucune chance qu'ils détruisent les mammouths. La destruction ne peut venir que d'un événement majeur et extérieur à ces prédateurs.

          L'hôpital public est l’un des mammouths qui remplit les médias depuis plusieurs mois. L'analyse objective des événements le concernant s'applique en fait à tous les camarades mammouths.

          Les journaux lors des dernières fêtes de fin d’année étaient pleins de l’état calamiteux des hôpitaux publics. Des patients ont souffert gravement au niveau des urgences et un bébé est mort d’une simple « erreur de manipulation ». Les grèves ainsi que les protestations n’ont cessé de s’amplifier depuis dans les milieux médicaux et paramédicaux.

          Heureusement, Mme Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, s’est déclarée à l’époque satisfaite de ces hôpitaux mais elle était bien seule à le montrer, sauf évidemment la presse « officielle » qui fait chorus avec la propagande gouvernementale et chante en boucle la gloire de l’hôpital public. Nous allons voir qu’elle a changé d’avis depuis.

          Quelle est l’explication de la catastrophe?

          La presse ne dit pas qu’à l’origine se trouve la nationalisation de la santé qui s’exprime dans les termes même de « santé publique » et, par déclinaison, d’« hôpital public ». C’est évidemment la faute de base: quoi de plus personnel que la santé. Notre santé nous appartient en propre et nul, ni élu, ni fonctionnaire, serait-il Préfet, n’est qualifié pour s’en occuper. L’idée de santé publique est, au surplus, une idée récente dans l’histoire des hommes et n’a aucune justification autre que la prospérité personnelle des tenants d’un pouvoir totalitaire qui se développe à l’ombre d’un prétendu et faux intérêt général.

          La catastrophe générée par cette nationalisation abusive se déroule et les problèmes les plus récents n’en sont que l’une des manifestations. Toute privatisation d’un processus nationalisé diminue de moitié les dépenses avec amélioration de la qualité: remarquons que la croissance irrésistible de la contribution sociale généralisée (CSG) et de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) est le résultat du déficit permanent de la sécurité sociale avec l’accumulation de dettes en conséquence. Frédéric Lefebvre, un moment porte-parole de l’UMP, a avoué que « notre pays a les dépenses de santé par tête d’habitant parmi les plus élevées du monde ». La privatisation des hôpitaux permettrait sans doute d’économiser environ 2% du PIB avec des progrès dans la qualité – rappelons à ce sujet que la France souffre d’un retard récurrent dans les technologies nouvelles, comme les scanners et autres.

          Voici comment se décline en cascade la calamité générale. Les causes secondes que nous allons énumérer sont redondantes et cumulent leurs effets négatifs. Elles se rattachent toutes au concept initial d’une santé prétendue publique.

La lenteur et l’inadaptation des décisions. Le mammouth de la santé dite publique n’a rien à envier aux autres mammouths. Des décisions tombant de haut sur un ensemble aussi complexe ne sont jamais adaptées au terrain mouvant de la base, souvent contradictoires et d’une lenteur désespérante. Dans une structure privée les décisions sont rapides et immédiatement opérationnelles. Si l’erreur arrive, la correction est rapide.

Le faux concept de l’égalité. Dans tout processus étatique, il se glisse un venin mortel qui est la recherche de l’égalité. La santé de chacun est par définition inégale et c’est une vraie chimère que de rechercher l’égalité dans ce domaine. La richesse, où que ce soit, ne peut naître que de l’inégalité qui par nature est créatrice. La recherche prioritaire de l’égalité engendre des coûts ruineux sans que jamais la chimère ne puisse être atteinte.

L’abondance des lois. Depuis 1970, 23 plans ont été lancés pour sauver la sécurité sociale. Ils comportaient tous des mesures pour sauver l’hôpital public lequel compte pour moitié dans la catastrophe globale de la sécurité sociale. Comme en tout autre domaine du désastre français la production de lois innombrables, contradictoires, inapplicables et souvent inappliquées paralyse toute action efficace. Un directeur de service dans un hôpital consomme un temps considérable à s’informer des lois nouvelles au détriment de la performance de son service. Un chirurgien avant d’intervenir doit se fatiguer à des tâches administratives sans intérêt.

Le rôle prépondérant des syndicats. Un directeur de service de l’hôpital Pompidou a dit qu’il passait 30% de son temps à régler des problèmes syndicaux. Que dire des patients qui arrivent à l’hôpital pour un traitement et qui ne peuvent recevoir ce traitement alors qu’il y a grève pour un problème d’informatique! Les syndicats pèsent non seulement par leur obstruction permanente mais aussi par les coûts insupportables qu’ils imposent sous la forme de délégations diverses.
 

« La presse ne dit pas qu’à l’origine se trouve la nationalisation de la santé qui s’exprime dans les termes même de "santé publique" et, par déclinaison, d’"hôpital public". C’est évidemment la faute de base: quoi de plus personnel que la santé. »


L’impossibilité de gérer le personnel correctement. Un rapport de la Cour des Comptes a décrit le désordre dans la gestion des ressources humaines. Personne ne sait combien d'employés travaillent à l’hôpital public et personne ne sait combien et comment ils sont payés. Le rapport met en cause précisément la nomination des médecins qui échappe à la direction des hôpitaux. Le rapport pointe aussi la multiplicité des statuts. Un chiffre terrifiant est cité: les dépenses de personnel des hôpitaux représentent plus du quart des charges de l'assurance-maladie. Le personnel de ces hôpitaux bénéficie à vie du statut de la fonction publique. En particulier, les absences pour maladie sont payées dès le premier jour, alors que dans le privé il y a trois jours de carence. Ce simple fait a pour conséquence que les absences pour maladies sont bien plus nombreuses dans le public que dans le privé.

Les catastrophes latérales. Les hôpitaux, comme toute autre activité, souffrent de deux vrais missiles envoyés contre la société française, à savoir les 35 heures et la retraite à 60 ans. Bien entendu les cliniques privées les subissent aussi. Toutefois la décentralisation des décisions leur a permis de mieux réagir. Les urgences ont particulièrement souffert lors des fêtes à cause des jours de RTT pris par les uns et les autres et qui risquaient de se perdre s’ils n’étaient pas pris!

L’absence d’objectif clair. Un service public n’a jamais d’objectif clair et ne peut en avoir par nature. Dans l’imaginaire et la réalité, il agit au nom d’un prétendu intérêt général qui varie dans le temps et répond en fait au bon plaisir momentané des uns et des autres: ce flou dans les objectifs conduit au flou dans la comptabilité quels que soient les succédanés imaginés pour corriger les incertitudes. Dans une entreprise privée la règle est la maximisation du profit ce qui permet d’avoir des comptes clairs.

Les déficits récurrents. Il n’y a jamais d’argent. Comme l’État gérant de l’ensemble court lui-même de déficit en déficit, il est facile d’imaginer l’impossibilité d’une gestion correcte.

          À l'inverse, les cliniques privées bénéficient d'une bonne gestion malgré beaucoup d'obstacles que les pouvoirs publics dressent pour les empêcher de fonctionner. Le docteur Vallancien, Professeur à l’université de Paris-Descartes, a déclaré au Figaro: « l'hôpital produit environ deux à trois fois et demie moins de soins que les cliniques avec une qualité de soins qui n’est globalement pas meilleure ».

          Le rôle négatif des maires et l’on retrouve ici le mammouth des collectivités. Les hôpitaux sont l’un des instruments préférés des maires qui sont présidents de leur hôpital pour assurer et prolonger leur pouvoir. Il se comptait, il y a peu, 60 000 lits de trop. Un lit non performant est un poids dangereux et, de même, un hôpital non performant maintenu uniquement pour la gloire et la richesse du maire. Des agences régionales d’hospitalisations ont été crées pour mettre de l’ordre: c’est le vieux système étatique de créer de nouveaux organismes quand rien ne marche!

          Mme Bachelot, peu après sa déclaration, s’est réveillée comme nous l'indiquions puisqu'elle a projeté une nouvelle loi, qui sera au moins la 24ème, ce qui montre bien que rien ne va plus.

          Mais encore faut-il arriver à sortir effectivement la nouvelle loi et c'est alors que depuis quatre à cinq mois se déroule une comédie qui montre en grandeur nature les dysfonctionnements de l’économie administrée.

          D’abord, les innombrables parlottes ont pris place sous forme de « tables rondes » accompagnées de grèves multiples et de manifestations. Ensuite nous assistons au gouvernement par le verbe. Le « Lider Maximo » prend la parole presque tous les jours sur le sujet, nuançant ceci ou cela dans ses paroles successives. Un jour, il déclare que l’hôpital n’est pas une entreprise. Dans le même discours, il indique que le déficit ne satisfait personne, ce qui est le contraire de la phrase précédente. Le navire tangue ainsi depuis des mois comme un bateau sans gouvernail livré aux vents de la politique.

          Le même assure que la loi sera « équilibrée », autant dire qu’elle ne voudra rien signifier de précis. Le patron de l’hôpital ne sera pas un despote: c’est par avance le condamner à l’inefficacité. Qu’un despote ait le devoir absolu d’être un despote éclairé, tout le monde le sait. Il est vrai que le « Lider Maximo » a une excuse car depuis deux ans, il agit en despote aveugle, lançant des réformes purement verbales sans aucune préparation ni contact préalable.

          La loi devait être votée fin janvier: nous voici milieu juin! Quand une entreprise est en déroute, on n’attend pas des mois pour agir.

          La future loi toute éventuelle va rajouter une nouvelle structure sous forme d’agences régionales de santé (ARS) pour chapeauter les agences régionales d’hospitalisation, créées précédemment, qui sans doute ne servaient à rien: empilage des structures, fromages fastueux pour les dirigeants, coûts superfétatoires. Les syndicats se lèchent déjà les babines projetant d’occuper pour les détruire les nouvelles bureaucraties. Il y aura donc dans les régions des sortes de ministères-bis.

          La presse est muette sur ce scandale en préparation: cela ressemble furieusement aux deux décentralisations territoriales qui ont ruiné la France en empilant les structures, tellement que tout le monde en pleurniche à présent. Il est sûr que les effectifs du ministère central ne vont pas diminuer en proportion de la croissance exponentielle des effectifs des nouveaux organismes.

          Il y aurait aussi des CHT, ou communautés hospitalières de territoire, pour mutualiser les moyens, ce qui formera un autre organisme.

          Ces nouveaux monstres seront présidés ou codirigés par les préfets. Qui peut penser utile de confier sa propre santé à un préfet même s’il officie avec sa belle casquette?

          Un pouvoir convaincu et résolu aurait imaginé et mené à bien quelques mesures simples conduisant à des progrès dans l’autonomie et permettant d’aller ensuite plus loin.

          Mais à cette fin il faut être crédible. Au lieu de cela nous avons depuis deux ans un pouvoir dans le style du « matamore couché ». Il est en train de se coucher davantage devant l’unanimité des protestations qu’il a suscitées, certains élus UMP demandant eux-mêmes que les projets de lois soient purement abandonnés.
 

 

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