| Ce sont ces 
		natures qui ne peuvent plus supporter le mariage quand le feu sauvage du 
		premier amour commence à s'éteindre. Ils demandent à l'amour de 
		satisfaire aux exigences les plus hautes, ils ne connaissent pas de 
		limite à l'estime exagérée de l'objet sexuel et déjà pour des raisons 
		physiologiques et beaucoup plus rapidement que ceux qui ont su garder la 
		mesure, ils éprouvent dans l'intimité conjugale des désillusions qui 
		changent quelquefois en leurs contraires les sentiments du début. 
		L'amour devient haine et la vie conjugale un tourment. Il n'est pas fait 
		pour le mariage celui-là qui ne sait pas se contenter de peu, qui ne 
		veut pas baisser d'un ton les enthousiasmes qui l'animaient au début du 
		mariage d'amour, celui-là qui ne sait pas reporter, purifiée par ses 
		enfants, cette part d'amour, que le mariage ne peut plus satisfaire. Du 
		mariage, il se dirigera vers d'autres buts d'amour, pour refaire chaque 
		fois dans ces nouvelles liaisons les vieilles expériences.
 
 Tout cela n'a aucun 
		rapport avec les données sociales du mariage. Si les mariages malheureux 
		tournent mal, ce n'est point parce que les conjoints vivent dans une 
		société capitaliste où existe la propriété privée des moyens de 
		production. Le mal dans ces mariages ne vient pas du dehors, mais du 
		dedans, c'est-à-dire des dispositions des époux. Si ces conflits n'ont 
		pas existé dans la société d'avant le capitalisme, ce n'est point parce 
		que le mariage offrait dans sa plénitude ce qui manque à ces mariages 
		languissants, mais bien parce qu'à cette époque amour et mariage étant 
		séparés, l'on ne demandait pas au mariage un bonheur sans nuages et sans 
		fin. C'est seulement la conséquence logique de l'idée de contrat et de 
		consentement qui fait que les époux demandent au mariage de satisfaire 
		durablement leur désir d'amour. Et c'est demander au mariage une 
		exigence qu'il lui est impossible de satisfaire. Le bonheur de l'amour 
		est dans la lutte pour obtenir les faveurs de l'être aimé, et dans le 
		désir réalisé de s'unir à lui. Le bonheur d'un amour à qui est refusée 
		la satisfaction physiologique peut-il durer? La question reste ouverte. 
		Ce qui est certain, c'est que l'amour, lorsqu'il est parvenu à ses fins, 
		se refroidit plus ou moins vite et qu'il serait vain de vouloir 
		éterniser le bonheur passager de l'heure du berger. Le mariage non plus 
		ne peut changer la vie en une suite infinie de jours heureux, de jours 
		tout remplis des merveilleuses jouissances de l'amour. À cela, ni le 
		mariage, ni les circonstances du milieu social ne peuvent rien.
 
 Les conflits de la vie 
		conjugale causés par certaines situations sociales sont d'un intérêt 
		secondaire. Des mariages sont conclus sans amour simplement en raison de 
		la dot de la femme ou de la fortune du mari, pour des raisons 
		économiques bien des mariages finissent malheureusement, mais cela n'a 
		pas l'importance qu'on pourrait croire si l'on en jugeait pas les 
		innombrables ouvrages de littérature qui traitent de ces problèmes. Pour 
		peu qu'on veuille chercher un moyen de sortir de ces conflits, il est 
		facile à trouver.
 
 En tant qu'institution 
		sociale, le mariage est une incorporation de l'individu dans 
		l'ordonnance de la société qui lui assigne un champ d'action précis avec 
		ses devoirs et ses tâches. Des natures fortes, dont les facultés 
		dépassent de beaucoup la moyenne, ne peuvent supporter la contrainte de 
		cette incorporation dans les cadres de la vie de la masse. Celui qui se 
		sent capable d'inventer et d'accomplir de très grandes choses et qui est 
		prêt à donner sa vie plutôt que d'être infidèle à sa mission ne pensera 
		jamais à y renoncer pour l'amour d'une femme ou de ses enfants. Dans la 
		vie d'un homme de génie, quelque capable qu'il soit d'amour, la femme, 
		et tout ce qui s'y rattache, n'occupe qu'une place restreinte. Nous 
		faisons ici abstraction de ces grands esprits, comme Kant, chez qui les 
		préoccupations sexuelles s'étaient comme spiritualisées dans un autre 
		effort, et aussi de ces hommes dont l'esprit ardent se consume dans une 
		poursuite insatiable de l'amour et qui, ne pouvant s'accommoder des 
		désillusions inévitables de la vie conjugale, courent, sans trêve ni 
		repos, d'un amour à l'autre. De même l'homme génial dont la vie 
		conjugale au début semble suivre un cours normal et du point de vue de 
		la vie sexuelle ne se distingue pas de celle des autres gens, ne peut 
		pourtant pas à la longue se sentir comme lié par le mariage sans faire 
		violence à son propre moi. Dans l'accomplissement de ses desseins, 
		l'homme de génie ne se laisse arrêter par aucunes considérations 
		intéressant la commodité des autres hommes, quand bien même ils le 
		toucheraient de très près. Les liens du mariage deviennent pour lui des 
		chaînes insupportables; il cherche à les briser, ou à les desserrer, 
		assez pour qu'il puisse librement marcher de l'avant. Le mariage est une 
		marche à deux dans les rangs de la grande colonne de route de la 
		multitude dont celui qui veut suivre sa propre route doit se séparer. Il 
		a rarement la chance de trouver une femme capable de l'accompagner dans 
		son sentier solitaire.
 
 Il y a longtemps qu'on 
		avait constaté tout cela, et c'était une idée si répandue dans la masse, 
		que chaque homme y trouvait une justification pour tromper sa femme. 
		Mais les génies sont rares et ce n'est point parce que quelques hommes 
		exceptionnels ne peuvent s'y adapter, qu'une institution sociale perd sa 
		raison d'être. De ce côté, l'institution du mariage ne courait aucun 
		danger.
 
 Les attaques du mouvement 
		féministe du XIXe siècle contre le mariage paraissaient beaucoup plus 
		graves. Le mariage, prétendait-on, force la femme à abdiquer sa 
		personnalité. Tandis que le mariage donne à l'homme le libre champ où 
		développer ses forces, il interdit à la femme toute liberté. Cela est 
		dans la nature du mariage qui attelle ensemble homme et femme et abaisse 
		ainsi la femme plus faible au rôle de servante du mari. Une réforme n'y 
		pourrait rien changer; seule la suppression du mariage pourrait y 
		apporter un remède. Non seulement pour vouloir vivre sa vie sexuelle, 
		mais pour pouvoir développer son individualité, la femme, disait-on, 
		doit aspirer à se libérer de ce joug. À la place du mariage, il faudrait 
		des unions libres assurant aux deux parties leur entière liberté.
 
 L'aile extrémiste du 
		mouvement féministe qui défend ce point de vue, oublie que ce n'est pas 
		l'institution du mariage qui entrave le développement de la personnalité 
		de la femme. Ce qui gêne la femme dans le développement de ses forces et 
		de ses facultés, ce n'est pas d'être liée à son mari, à ses enfants, au 
		ménage, mais le fait que la fonction sexuelle exige beaucoup plus du 
		corps de la femme que du corps de l'homme. La grossesse, l'allaitement 
		prennent les meilleures années de la femme, les années pendant 
		lesquelles l'homme peut concentrer ses forces sur de grandes tâches. On 
		peut déplorer l'injustice de la nature qui a réparti inégalement les 
		charges de la reproduction, on peut penser qu'il est indigne d'une femme 
		d'être une faiseuse d'enfants et une nourrice. Mais cela ne change rien 
		aux conditions naturelles. La femme a peut-être le choix entre renoncer 
		au plus profond bonheur de la femme, la maternité, ou renoncer au 
		développement de sa personnalité, en agissant et en luttant comme un 
		homme. Mais au fond, un tel choix lui est-il permis si la suppression de 
		la maternité lui cause un dommage qui retombe sur toutes les autres 
		fonctions vitales? Sans doute, si elle devient mère, avec ou sans 
		mariage, elle est empêchée de vivre une vie libre et indépendante comme 
		l'homme. Il y a eu des femmes remarquables qui, en dépit de la 
		maternité, ont accompli dans bien des domaines des choses excellentes. 
		Mais si les très grandes choses, si le génie n'ont pas été l'apanage du 
		sexe féminin, c'est précisément à cause de la place que la sexualité 
		tient dans la vie.
 
 Rendre les droits 
		juridiques de la femme égaux à ceux de l'homme, assurer à la femme les 
		possibilités légales et économiques de développer ses facultés et de les 
		manifester par des actes correspondant à ses goûts, à ses désirs, et à 
		sa situation financière, tant que le mouvement féministe se borne à ces 
		revendications, il n'est qu'une branche du grand mouvement libéral en 
		qui s'incarne l'idée d'une évolution libre et paisible. Si, allant 
		au-delà de ces revendications, le mouvement féministe entend combattre 
		des organisations de la vie sociale avec l'espoir de se débarrasser 
		ainsi de certaines bornes que la nature a imposées au destin humain, 
		alors le mouvement féministe n'est plus qu'un fils spirituel du 
		socialisme. Car c'est le propre du socialisme de chercher dans les 
		institutions sociales les racines de conditions données par la nature, 
		et donc soustraites à l'action de l'homme, et de prétendre en les 
		réformant réformer la nature elle-même.
 
 
		          La solution 
		radicale que les socialistes proposent pour les problèmes sexuels est 
		l'amour libre. La société socialiste fait disparaître la dépendance 
		sexuelle et économique de la femme, réduite à compter sur le revenu de 
		son mari. Homme et femme reçoivent les mêmes droits économiques et ont 
		aussi les mêmes devoirs, à moins que la maternité de la femme n'exige 
		qu'on lui accorde une position spéciale. L'entretien et l'éducation des 
		enfants sont assurés par les fonds publics. Du reste, ils sont affaire 
		de la société et non plus des parents. Ainsi les relations entre les 
		sexes sont soustraites à toute influence économique et sociale. 
		L'accouplement, forme la plus simple d'union sociale, cesse d'être le 
		fondement du mariage et de la famille. La famille disparaît; il n'y a 
		plus, d'un côté, que la société, de l'autre, des individus. Le choix 
		dans l'amour est devenu entièrement libre. Homme et femme s'unissent et 
		se séparent, comme bon leur semble. Le socialisme, dit-on, ne crée là 
		rien de nouveau, mais ne fait que replacer « à un niveau de culture plus 
		élevé et dans des formes sociales nouvelles l'état de choses qui régnait 
		partout à un niveau de culture primitif et avant que la propriété privée 
		ne dominât la société ».(12)
 Ce ne sont pas les 
		démonstrations, onctueuses ou venimeuses, des théologiens et autres 
		prêcheurs de morale qui auront facilement raison de ce programme. La 
		plupart des écrivains qui se sont occupés du problème des relations 
		entre les sexes sont dominés par l'idée ascétique et monacale des 
		théologiens moralistes. Pour eux, l'instinct sexuel est tout simplement 
		un mal; la sexualité est un péché et la volupté, un cadeau du diable. 
		Rien que de penser à ces choses leur semble immoral. Homologuera-t-on 
		cette condamnation absolue de l'instinct sexuel? Cela dépend entièrement 
		des tendances et des estimations de chaque individu. Les tentatives des 
		professeurs d'éthique pour juger ou condamner cet instinct du point de 
		vue scientifique sont un travail vain. C'est méconnaître les bornes de 
		la recherche scientifique de la connaissance que de lui attribuer la 
		capacité de prononcer des jugements sur les valeurs, et d'exercer une 
		influence sur les actions, non pas en démontrant clairement l'efficacité 
		des moyens, mais en ordonnant les buts selon une certaine gradation. Par 
		contre, il serait du domaine des recherches scientifiques de l'éthique 
		de montrer qu'en rejetant une fois pour toutes comme mauvais l'instinct 
		sexuel, on écarte toute possibilité d'arriver, en tenant compte de 
		certaines circonstances, à une approbation morale, ou tout au moins à 
		une tolérance de l'acte sexuel. La formule usuelle qui condamne le 
		plaisir sensuel dans les rapports entre les sexes, mais qui déclare 
		moral l'accomplissement du devoir conjugal en vue de la procréation, est 
		le produit d'une bien indigente sophistique. Les gens mariés aussi 
		s'accommodent de la sensualité. Jamais un enfant n'a été engendré et 
		conçu par devoir civique en vue de procurer à l'État une recrue ou un 
		contribuable. Une éthique qui a traité l'acte de la reproduction 
		d'action honteuse, devrait logiquement demander une continence sans 
		aucune restriction. Quand on veut que la vie ne s'éteigne pas, il ne 
		faut pas faire de la source où elle se renouvelle un bourbier ou un 
		vice. Rien n'a plus empoisonné la morale de la société moderne que cette 
		éthique qui ne sait ni condamner ni approuver logiquement, qui brouille 
		les frontières entre le bien et le mal, et donné au péché un piquant 
		attrait. C'est elle qui est responsable si dans toutes les questions de 
		morale sexuelle l'homme moderne est hésitant, sans point d'appui, ne 
		comprenant même pas les grands problèmes des relations entre les sexes.
 
 Dans la vie d'un homme, 
		la question sexuelle a moins d'importance que dans la vie de la femme. 
		Lorsqu'il a contenté son désir, c'est pour lui une détente, il se sent 
		libre et léger. La femme, elle, est dépendante du poids de la maternité, 
		qu'elle a maintenant à porter. Sa destinée est incluse dans l'action 
		sexuelle qui, dans la vie de l'homme n'est qu'un incident. L'homme, 
		quelle que soit l'ardeur et la sincérité de son amour, quelques grands 
		que soient les sacrifices qu'il est prêt à faire pour la femme, reste 
		toujours sur un plan supérieur au plan sexuel. Même les femmes finissent 
		par se détourner, pleines de mépris, de celui pour qui la hantise 
		sexuelle est tout, qui s'y consume et en périt. La femme, elle, s'épuise 
		au service de l'instinct sexuel comme amante et comme mère. Pour 
		l'homme, il est souvent difficile, au milieu des luttes et des soucis de 
		sa profession, de conserver la liberté intérieure qui lui assure le 
		libre développement de son individualité; sa vie amoureuse est pour lui 
		un bien moindre obstacle. Pour l'individualité de la femme le danger est 
		dans le complexe sexuel.
 
 La lutte de la femme pour 
		sa personnalité, voilà le fond du féminisme. Cette question n'intéresse 
		pas seulement les femmes; elle n'est pas moins importante pour les 
		hommes que pour les femmes. Car hommes et femmes n'atteindront les 
		hauteurs de la culture individuelle que s'ils ont parcouru ensemble le 
		chemin. À la longue, l'homme ne pourra pas se développer librement si la 
		femme l'entraîne dans les basses régions de la servitude intérieure. 
		Assurer à la femme la liberté de sa vie intérieure, c'est la véritable 
		question féministe; elle est un chapitre des problèmes culturels de 
		l'humanité.
 
 L'Orient a été incapable 
		de résoudre cette question et ce fut sa ruine. Pour l'Orient, la femme 
		est un instrument de plaisir pour l'homme, une faiseuse d'enfants, une 
		nourrice. Chaque essor que la culture personnelle en Orient semblait 
		prendre était toujours arrêté parce que l'élément féminin rabaissait 
		sans cesse l'homme à la lourde atmosphère du harem. Aujourd'hui, rien ne 
		sépare davantage l'Orient de l'Occident que la position de la femme dans 
		la société et la position de l'homme envers la femme. On prétend souvent 
		que la sagesse des Orientaux a mieux conçu les plus hauts problèmes de 
		l'existence que la philosophie des Européens. En tout cas, l'Orient n'a 
		pu résoudre la question sexuelle et cela a porté le coup fatal à ses 
		civilisations.
 
 Entre l'Orient et 
		l'Occident, on a vu grandir une civilisation originale, celle des 
		anciens Grecs. Mais la civilisation antique n'a pas réussi à élever la 
		femme à la même hauteur que l'homme. La civilisation grecque ne tenait 
		pas compte de la femme mariée. L'épouse restait au gynécée, séparée du 
		monde. Pour l'homme, elle n'était que la mère de ses héritiers et la 
		femme de charge de sa maison. L'amour du Grec s'adressait seulement à 
		l'hétaïre, mais ne trouvant pas encore satisfaction dans ce commerce 
		l'Hellène en vient finalement à l'amour homosexuel. Platon voit la 
		pédérastie transfigurée par l'harmonie intellectuelle de ceux qui 
		s'aiment et par l'élan joyeux vers la beauté de l'âme et du corps. 
		L'amour avec la femme n'est pour lui que la satisfaction grossièrement 
		sensuelle du désir.
 
 Pour l'Occidental, la 
		femme est une compagne, pour l'Oriental une concubine. L'Européenne n'a 
		pas toujours occupé la position qui lui revient aujourd'hui. Elle l'a 
		peu à peu conquise au cours de l'évolution du principe despotique au 
		principe contractuel. Juridiquement, cette évolution lui a apporté 
		l'entière égalité des droits. Homme et femme sont aujourd'hui égaux 
		devant la loi. Les petites différences qui subsistent encore dans le 
		droit privé sont sans importance pratique. Que la loi oblige la femme à 
		obéir à l'homme n'a pas grand intérêt. Tant que le mariage subsistera, 
		l'un des conjoints sera forcé de se soumettre à l'autre; est-ce l'homme 
		ou la femme qui sera le plus fort, c'est ce que ne décideront jamais les 
		paragraphes du code. Les femmes sont encore souvent gênées dans 
		l'exercice de leurs droits politiques; le droit électoral, des emplois 
		officiels leur sont refusés, cela peut blesser leur honneur personnel, 
		mais en dehors de cette considération tout cela n'a pas beaucoup 
		d'importance. La situation des forces politiques d'un pays ne sera guère 
		modifiée parce que l'on aura accordé aux femmes le droit de vote. Les 
		femmes de ces partis qui auront à souffrir de changements, qu'on peut 
		prévoir sans doute peu importants, devraient en raison même de leurs 
		intérêts politiques être plutôt des adversaires que des partisans du 
		droit de vote féminin. La capacité de revêtir des emplois publics, c'est 
		moins les limites légales fixant leurs droits qui les en privent, que 
		les particularités de leur caractère féminin. Sans déprécier la lutte 
		des féministes pour l'élargissement des droits civiques de la femme, 
		l'on est fondé à affirmer que les quelques restrictions imposées aux 
		droit de la femme par la législation des États civilisés ne causent un 
		sérieux dommage ni aux femmes, ni à la collectivité.
 
 Dans les relations 
		sociales en général, le principe d'égalité devant la loi avait donné 
		lieu à un malentendu qui se reproduisit aussi dans le domaine 
		particulier des relations entre les sexes. De même que le mouvement 
		pseudo-démocratique s'efforce de biffer par décrets les inégalités 
		naturelles ou sociales, voulant rendre égaux les forts et les faibles, 
		les doués et les non doués, les robustes et les malades, de même l'aile 
		extrémiste du mouvement féministe entend rendre égaux les hommes et les 
		femmes(13). On 
		ne peut, il est vrai, imposer à l'homme la moitié de la charge physique 
		de la maternité, mais on veut anéantir le mariage et la vie de famille 
		pour accorder à la femme toutes les libertés qui paraissent encore 
		compatibles avec la maternité. Sans s'embarrasser d'aucun égard envers 
		mari et enfants, la femme doit avoir toute liberté d'action pour pouvoir 
		vivre sa vie et développer sa personnalité.
 
 Mais ce n'est point par 
		décret que l'on peut changer les différences de caractères et de 
		destinées des sexes, pas plus que les autres différences entre humains. 
		Pour que la femme puisse égaler l'homme en action et en influence, il 
		lui manque bien plus que les lois ne pourront jamais lui donner. Ce 
		n'est pas le mariage qui enlève à la femme sa liberté intérieure, mais 
		ce trait de son caractère qui fait qu'elle a besoin de se dévouer à un 
		homme et que l'amour pour son mari et pour ses enfants consume le 
		meilleur de ses forces. Si la femme croit trouver son bonheur dans le 
		dévouement à une profession, aucune loi humaine ne l'empêchera de 
		renoncer à l'amour et au mariage. Quant à celles qui ne veulent pas y 
		renoncer, il ne leur reste plus assez de force disponible pour maîtriser 
		la vie, comme fait un homme. Ce n'est pas le mariage et la famille qui 
		entravent la femme, mais la force qu'a sur elle l'emprise sexuelle. En 
		supprimant le mariage on ne rendrait la femme ni plus libre ni plus 
		heureuse; on lui enlèverait simplement ce qui est l'essentiel de sa vie, 
		sans lui rendre rien en échange.
 
 La lutte de la femme pour 
		l'affirmation de sa personnalité dans le mariage n'est qu'une partie de 
		cette lutte pour la personnalité, lutte caractéristique de la société 
		rationaliste dont le fondement économique repose sur la propriété privée 
		des moyens de production. Il ne s'agit pas d'un intérêt particulier de 
		la féminité. Rien du reste n'est plus insensé que d'opposer les intérêts 
		masculins aux intérêts féminins, comme l'essaient les féministes 
		extrémistes. Si les femmes n'arrivaient pas à développer leur moi, de 
		manière à s'unir à l'homme en compagnes libres et de même rang, c'est 
		toute l'humanité qui en pâtirait.
 
 On ravit à la femme une 
		partie de sa vie, si on lui enlève ses enfants pour les élever dans des 
		établissements publics, et on prive les enfants de la meilleure école de 
		leur vie si on les arrache au sein de leur famille. Tout récemment 
		seulement, la doctrine de Freud, le génial investigateur de l'âme 
		humaine, a montré quelle impression profonde la maison paternelle exerce 
		sur les enfants. L'enfant apprend des parents à aimer, et il reçoit 
		ainsi d'eux les forces qui le rendront capables de grandir et de devenir 
		un homme sain. Les internats sont une école d'homosexualité et de 
		névrose. Qui a proposé de traiter hommes et femmes absolument de la même 
		manière, qui a proposé que l'État règle les relations entre les sexes, 
		que les nouveau-nés soient placés tout de suite dans des institutions 
		publiques, que parents et enfants restent totalement inconnus les uns 
		des autres, comme par hasard c'est Platon, pour qui les relations entre 
		les sexes n'étaient que la satisfaction d'un besoin corporel.
 
 L'évolution du principe 
		despotique au principe contractuel a mis à la base des rapports entre 
		les sexes le libre choix dicté par l'amour. La femme peut se refuser à 
		chacun et a le droit d'exiger de l'homme à qui elle se donne fidélité et 
		constance. C'est là la base sur laquelle fut fondé le développement de 
		l'individualité féminine. Le socialisme, méconnaissant consciemment le 
		principe du contrat, pour en revenir au principe despotique, agrémenté 
		il est vrai d'une répartition égale du butin, est forcé finalement, en 
		ce qui touche les rapports entre les sexes, de revendiquer la 
		promiscuité.
 
 
		          Le manifeste 
		communiste déclare que « la famille bourgeoise trouve son complément » 
		dans la prostitution publique. « Avec la disparition publique du capital 
		disparaîtra aussi la prostitution »(14). 
		Dans le livre de Bebel sur la femme, un chapitre a pour titre: « La 
		prostitution, nécessaire institution sociale du monde bourgeois ». 
		L'auteur démontre que pour la société bourgeoise, la prostitution est 
		aussi nécessaire que « la police, l'armée permanente, l'église, le 
		patronat industriel »(15). 
		Et cette idée de la prostitution, produit du capitalisme, n'a cessé 
		depuis de se répandre. Comme tous les prêcheurs de morale ne cessent de 
		déplorer la décadence et accusent la civilisation moderne d'avoir créé 
		la débauche, tout le monde finit par être persuadé que tout ce qu'il y a 
		de répréhensible dans les relations sexuelles est un phénomène de 
		décadence particulier à notre époque.
 À cela, il est facile de 
		répondre, il est aisé de montrer que la prostitution est vieille comme 
		le monde et qu'on la trouve chez tous les peuples(16). 
		Elle est un reste des anciennes moeurs et non le signe de décadence 
		d'une haute culture. Ce qui lutte aujourd'hui le plus efficacement 
		contre la prostitution, c'est la demande faite à l'homme de s'abstenir 
		de relations sexuelles en dehors du mariage, en vertu du principe de 
		l'égalité morale des droits entre femme et homme, qui est uniquement un 
		idéal de l'époque capitaliste. L'époque du despotisme exigeait de la 
		fiancée seulement, et non du fiancé, la pureté sexuelle. Toutes les 
		circonstances qui favorisent aujourd'hui la prostitution n'ont rien à 
		voir avec la propriété privée et avec le capitalisme. Le militarisme, 
		qui écarte les jeunes gens du mariage, plus longtemps qu'ils ne le 
		désireraient, n'est pas le moins du monde un produit du pacifique 
		libéralisme. Que des fonctionnaires de l'État, ou des hommes occupant 
		des fonctions analogues, ne pourraient vivre « conformément à leur 
		rang » est, comme tout ce qui touche au « rang », un reste des idées 
		d'avant le capitalisme. Le capitalisme ne connaît pas cette notion du 
		rang et du conforme au rang. Dans le régime capitaliste chacun vit selon 
		ses moyens.
 
 Il y a des femmes qui se 
		prostituent par goût du mâle, d'autres pour des motifs économiques. Chez 
		beaucoup d'entre elles, pour les deux raisons. Il faut reconnaître que, 
		dans une société où il n'y a aucune différence dans l'importance des 
		revenus, le motif économique disparaîtrait tout à fait, ou du moins 
		serait réduit à un minimum. Il serait oiseux de se demander si, dans une 
		société où tous les revenus seraient égaux, de nouveaux motifs sociaux 
		ne pourraient favoriser la prostitution. En tout cas, rien n'autorise à 
		croire a priori que la moralité sexuelle serait plus 
		satisfaisante dans une société socialiste que dans la société 
		capitaliste.
 
 Dans aucun domaine de la 
		recherche sociale, il n'y a plus d'idées à réformer que dans celui des 
		relations entre la vie sexuelle et l'ordre fondé sur la propriété. 
		Aujourd'hui, ce problème est abordé avec toute sorte de préjugés. Il 
		faudra considérer les faits autrement que font ceux qui rêvent d'un 
		paradis perdu, voient l'avenir en rose et condamnent tout de la vie qui 
		les entoure.
 
 
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