Services publics versus services privés (Version imprimée)
par Michel de Poncins*
Le Québécois Libre, 15 août 2009, No 269.

Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/09/090815-2.htm


La Poste va être transformée en société anonyme. Les premiers actionnaires seront uniquement publics avec, en particulier, la caisse des dépôts, organisme étatique géant qui reflète l’intervention abusive de l’État dans une foule de domaines. Le motif invoqué par le pouvoir pour la transformation est que Bruxelles l’impose et le même pouvoir fait aussi valoir le besoin de capitaux absolument nécessaires pour moderniser l’envoi du courrier. Les syndicats en embuscade crient à la privatisation, ce qui conduirait à l’abandon du principe du service public, et menacent de faire la grève.

C’est l’occasion de se poser la question de la pertinence des services publics. Y a-t-il vraiment des besoins qui méritent d’être sanctuarisés par la qualification de « services publics »? La réponse pour une économiste est négative. Nous allons le comprendre à la lumière des principes de l’économie et le constater dans le cas particulier de la Poste.

Public, mon oeil

La qualification de « service public » conduit à justifier l’instauration d’un monopole public, ceci dans des domaines divers: santé, chemin de fer, éducation, etc. Le monopole est absolu puisque la force publique le protège par la loi. Ce caractère le différencie des monopoles privés qui peuvent exister mais sont toujours fragiles car exposés aux attaques d’entrepreneurs audacieux et novateurs.

Les monopoles publics se flattent de réaliser l’égalité entre les « usagers »: c’est un objectif mensonger puisque personne n’est jamais égal avec un autre en quoi que ce soit. La prétendue égalité est définie par les directeurs du monopole et selon leur bon plaisir. En conséquence et, comme dans toute action publique, ce bon plaisir réalise l’inverse de l’égalité. En effet, par nature, elle favorise certains au détriment des autres dans le cadre de la politique imaginée par le pouvoir et les réglementations multiples.

Le monopole agit sans contrôle. Chacun connaît l’impossibilité de tout vrai contrôle dans les organisations étatiques. Ceux qui ont la patience et le temps de lire les rapports de la Cour des Comptes le constatent à chaque page. Les explications sont connues: jeu incessant des intérêts politiques, rôle majeur des syndicats, prépondérance des intérêts du personnel. S’ajoute l’absence de comptabilité sérieuse – personne de sensé ne peut voir vraiment clairement dans les comptes de la SNCF ou de l’EDF. Par-dessus tout, il manque le contrôle du marché, régulateur indispensable de tous les coûts. L’absence de contrôle conduit à l’appauvrissement général par des productions de biens inutiles à des coûts exorbitants.

Dans les coûts fabuleux, les gâteries au personnel jouent un rôle majeur: rémunérations excessives, statut hors du commun, avantages retraites exceptionnels. C’est bien l’une des raisons pour lesquelles les syndicats freinent au maximum toute approche d’une privatisation éventuelle, par crainte de voir disparaître ces avantages.

Le monopole détruisant la concurrence supprime le libre choix. Il donne aux élus ou aux fonctionnaires le droit de choisir pour nous. Or, le libre choix est un facteur essentiel de la richesse, car il permet de se procurer exactement le type de bien qui vous convient. Le socialisme généralisant le principe du monopole conduit à l’uniformité dans la pauvreté. L’un des effets classiques du monopole est de conduire soit à de la surabondance dans des modèles ne convenant pas, soit à des pénuries.

À noter aussi les déboires qui se produisent lors des privatisations ultérieures. L’exemple des pays de l’Est qui sortent difficilement du socialisme est éloquent: c’est comme un deuxième châtiment pour l’ensemble du pays.

Arguments déficients

À ces constatations, les partisans des services publics n’ont que de pauvres arguments à opposer.

Il y aurait des biens qui par nature seraient publics. C’est pour sûr une imposture. Quand un monsieur « quidam » achète de la charcuterie chez l’homme de l’art, ils se rendent service mutuellement et s’enrichissent tous deux à la mesure de cette modeste transaction: c’est un service privé. Il en est de même dans les milliards de transactions quotidiennes dans le monde entier et cette remarque peut s’appliquer aussi bien à la boulangerie qu’à l’électricité ou au transport ferroviaire. Le pain est bien plus nécessaire que le transport ferroviaire et, si la fausse notion de service public est retenue, pourquoi ne pas l’appliquer au pain, ce qui d’ailleurs conduirait à la pénurie de pain?

Autre argument: un bien public serait par nature un bien particulièrement important comme la santé, le transport, le droit à la retraite ou d’autres. C’est tout le contraire. Plus un bien est important plus il doit être privé. Un service national du pain, sans sous-estimer l’importance du pain, nous ferait consommer du très mauvais pain, mais serait supportable – nous pourrions nous « rattraper sur la brioche »! S’agissant de la santé, nous sommes tous témoins de l’écroulement permanent de la sécurité sociale depuis des décennies avec l’effet de pauvreté sur tout le corps social. L’effet de pauvreté est d’autant plus grand que la santé est un bien des plus précieux.

L’intérêt général est évidemment invoqué à chaque instant. Cela ne veut rien dire sinon la prétention insupportable des hommes de l’État de s’approprier une fois pour toute cette chimère d’un prétendu intérêt général, ceci pour leur bénéfice propre.

Comme une lettre à la Poste

Les informations que l’on possède sur la Poste s’inscrivent parfaitement dans les observations qui précèdent. Certes, sur le plan comptable, il n’y a que des bribes d’informations. Espérons que la transformation en société anonyme permettra d’y voir plus clair.

En 2005, la marge d’exploitation était de 3,9% alors qu’en Allemagne elle est était de 6% et, aux Pays-Bas, de 10%. Depuis lors, il semble qu’il y ait une légère amélioration mais pas suffisante du tout.

54% des effectifs ont le statut de fonctionnaires et les engagements « retraites », comptabilisés hors bilan, atteignaient 76 milliards d’euros. Ce total a augmenté de 6 milliards d’euros à la fin de 2 005; ce chiffre est à comparer aux bénéfices déclarés de 557 millions qui sont ridicules en comparaison.

Pour échapper au fardeau, la Poste avait mijoté une opération de banditisme d’État qui consistait, comme pour France Telecom et EDF, à refiler la patate chaude à la CNAVTS, organisme principal des retraites privées. La soulte misérable devait être de 2 milliards d’euros. Il semble qu’actuellement l’on s’oriente plutôt vers une prise en charge par l’État contre une soulte du même ordre, dont personne ne sait évidemment si elle sera payée. La prise en charge par l’État est bien l’aveu de la faillite potentielle.

La proportion des charges de personnel est de 61%. Aucune firme privée sérieuse et sauf exception ne pourrait survivre avec un tel ratio de frais de personnel.

Quant aux dettes à long terme elles dépassent très largement les fonds propres.

Tout cela se traduit dans le prix du timbre qui augmente régulièrement.

Un coup d’oeil en Suède est utile. Dans ce pays réputé pourtant socialiste, les syndicats ont compris qu’il fallait réformer et participent activement à ces réformes. C’est en 1993 que les Suédois, les premiers en Europe, ont mis fin au monopole étatique sur la poste.

Avant la libération du système postal, il y avait 1 800 bureaux de poste. Depuis et suite à la privatisation, il y a 4 200 points de poste installés dans des commerces divers. Cette constatation est significative pour ceux qui accusent une éventuelle privatisation de diminuer le service. 96,2% du courrier arrive le lendemain contre 75% en France. Les entreprises privées qui concourent au service sont bénéficiaires. En monnaie constante, le prix du timbre n’a pas augmenté.

En France et à l’occasion de la transformation en société anonyme, les pouvoirs publics annoncent qu’il n’est pas question de diminuer les effectifs totaux de 300 000 personnes. Or, le trafic postal ne cesse de diminuer, suite notamment à l’explosion d’Internet. Où est l’erreur?

La transformation de la Poste en société anonyme signe peut-être la mort future du mammouth, mais les mammouths mettent du temps à mourir tant ils ont de mauvaise graisse…

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* Michel de Poncins écrit les flashes du Tocqueville Magazine et est l'auteur de quelques livres.