Montréal, 15 septembre 2009 • No 270

 

Jean-Louis Caccomo est économiste à l'Université de Perpignan et auteur de L’épopée de l’innovation. Innovation technologique et évolution économique (L’Harmattan, Paris 2005).

 

 

PERSPECTIVE

La crise économique ou la victoire des illusions

 

par Jean-Louis Caccomo

 

          Il est bon ton de dire qu’après la crise, plus rien ne sera jamais plus comme avant. Est-ce un souhait ou une réalité? Pourtant, c’est précisément à l’occasion de cette crise que l’on ressort les vieilles lunes et que l’on récite les mêmes refrains. Les médias français célèbrent le retour de Marx. Non seulement, c’est comme avant mais c’est pire: tout ce qui relève du fonctionnement normal et nécessaire de l’économie (l’entreprise, le profit, le patron, l’actionnaire, les banques, les grandes surfaces, l’échange, le commerce) est devenu suspect, présumé coupable de tous nos maux.

 

          Dans certaines régions de France, il est même dangereux d’être directeur d’entreprise. Au nom de la justice sociale, une justice à deux vitesses se met progressivement en place. Dans un avenir proche, ceux qui ont un emploi devront se cacher pour ne pas subir la colère de ceux qui n’ont pas d’emplois. Pourtant, les entreprises peinent toujours à trouver des personnes qualifiées, compétentes et motivées. Mais un patron exigeant sera bientôt considéré comme un patron harceleur. Le travail n’est-il pas un harcèlement permanent et le marché une dictature intolérable?
 

La crise: un prétexte commode

          Dans tous les grands pays industrialisés, on observe la même tendance lourde: la croissance de l'État est désormais supérieure à la croissance du reste de l'économie du pays. Il n’est point besoin d’être un grand économiste pour comprendre qu’un tel dérapage, quand il n’est jamais corrigé, conduit mécaniquement à un alourdissement de la dette publique et à une diminution du taux de croissance structurel de notre pays de sorte que prétexter d’attendre le retour de la croissance pour faire les changements qui s’imposent mène tout simplement à une impasse. La croissance est devenue structurellement plus faible dans les pays où le poids de l’État a dépassé un certain seuil jugé critique. Pire, l’appauvrissement a commencé lorsque qu’il a dépassé un nouveau seuil qui conduit au surendettement. Et pourtant, face à la crise, c’est cette réponse qui s’est imposée au nom de la régulation.

          La communauté des économistes n’est pas par principe contre le rôle de l’État dans l’économie, même si des débats aussi légitimes qu’inévitables existent à propos de ses missions prioritaires. Rien ne sert d’être manichéen: la question n’est pas d’être pour ou contre l’intervention de l’État. Il s’agit plus judicieusement de juger de l’efficacité à terme de son action et de la soutenabilité des finances publiques. L’État aura beau jeu de faire la morale aux banques s’il se met lui-même dans une situation de cessation de paiement. C’est pourquoi la théorie économique souligne l’importance de l’équilibre et de la stabilité, notamment de la stabilité des prélèvements et dépenses publiques (ou plus précisément de leur part dans le PIB), ce qui est une condition de la prospérité durable et non de la relance éphémère. En l’occurrence, la taille de l’État doit croitre en proportion de la taille de l’économie dont il fait inextricablement partie. Dans le cas contraire, l’État finit par phagocyter de l’intérieur l’économie. Et l’État n’a rien à gagner à asphyxier, au risque de la ruiner, l’économie qui le finance.

          Mais la théorie – sinon le dogme – de la régulation repose sur une hypothèse cruciale: elle suppose que l’État est au-dessus de la mêlée et qu’il dispose du modèle correct du monde (économique) sur lequel il peut agir mécaniquement. Dans la réalité, l’État est une partie de l’économie dont il lui est impossible de saisir les frontières et la complexité des interactions qui relient les agents économiques entre eux.

          Les États-Unis ont connu des années de croissance forte suivies par la crise. En France, on parle de crise depuis 1973. Même dans les périodes de croissance, le modèle capitaliste suscite critiques et rejets. La génération 68, qui a bénéficié de tous les fruits des trente glorieuses, voulait faire la révolution. C’est pourquoi la conjoncture ne change jamais le cap. Quand on a la richesse, on ne s’aperçoit que l’on dispose de cette richesse; cela parait normal, comme un dû.

          Ainsi, quand la croissance est de retour, on nous explique, à grand renfort de propagande médiatique, que les réformes ne sont plus nécessaires (puisque la croissance est là) et que l'État se doit d'intervenir pour répartir les fruits de la croissance, cette dernière étant génératrices d'inégalités de performances, et donc d'inégalités de revenus. Rappelez-vous lorsque Jospin était premier ministre, les rapports officiels (le fameux rapport Teulade) nous démontraient que la réforme des retraites en particulier, et de la sécurité sociale en général, n’était plus nécessaire grâce au retour de la croissance économique, source de cotisations accrues. Quid de la réforme!
 

« La théorie – sinon le dogme – de la régulation repose sur une hypothèse cruciale: elle suppose que l’État est au-dessus de la mêlée et qu’il dispose du modèle correct du monde (économique) sur lequel il peut agir mécaniquement. »


          Mais quand survient une crise, les mêmes entonnent le refrain de la « fin du capitalisme », de l'« illusion du libéralisme », et l'État intervient de plus belle pour réguler et relancer l'économie. Au passage, ce capitalisme que tout le monde décrie, tout le monde cherche à le sauver à la moindre panne de croissance. Quand les régimes communistes sont en crise, les États s’effondrent pour passer à autre chose; quand l’économie capitaliste est en crise, les États volent à son secours à défaut d’autre chose.

          Dans ces conditions, on ne sort jamais de l'intervention de l'État, que ce soit sous forme d'un accroissement des prélèvements publics ou d'un alourdissement de la réglementation. En France, on ne sait pas penser autrement ni agir autrement. Et comme les médias, malgré la multiplicité des chaines, des radios ou des journaux, tout comme l'éducation nationale, formatent nos esprits en ce sens au nom de la morale citoyenne, il est difficile d’aborder la réalité économique sous un autre angle.
 

Un Rocard, sinon rien…

          Qu’un gouvernement de droite confie des rapports à une personnalité de gauche, aussi imminente soit-elle, c’est sans doute un acte machiavélique dans la stratégie d’ouverture initiée par le président Sarkozy qui n’en finit pas de faire couler le Parti socialiste et la gauche française. En tout cas, il ne faut pas s’étonner du résultat. Quand on confie un rapport à un expert de gauche (qu’il soit compétent ou pas d’ailleurs), la conclusion qui en résultera sera invariablement la même: une nouvelle taxe verra le jour. Dans les années 1990, face à la dérive des comptes sociaux, c’est le même Michel Rocard qui fut l’initiateur de la contribution sociale généralisée (CSG). Cette nouvelle taxe avait pour objectif de redresser les comptes de la sécurité sociale. Depuis, les déficits sociaux ont battu de nouveaux records mais nous avons des taxes supplémentaires qui pèsent sur les agents économiques. Le problème à l’origine de la taxe n’a pas été résolu, mais la taxe est toujours là et elle a été augmentée.

          Ce précédent devrait inciter à utiliser avec modération l’arme fiscale en faisant jouer une sorte de principe de précaution. Mais non, rien n’y fait. Les hommes et femmes politiques manquent cruellement d’imagination. À cours d’idéologie, ils ne savent pas raisonner autrement. Face à un problème, ils convoquent des experts, établissent des rapports et en concluent qu’il faut créer de nouveaux prélèvements, tout en nous assurant bien sûr que ces prélèvements supplémentaires sont légitimes, « citoyens » et qu’ils ne grèveront jamais le pouvoir d’achat des ménages. Et si vous vous opposez à la taxe « carbone » alors vous passez pour complice de « crime environnemental ». D’une manière générale, si vous critiquez l’impôt, vous êtes traités de « poujadiste », de sympathisant FN ou de réactionnaire. Pourquoi s’embarrasser d’un débat en ce domaine? Pourtant, il ne s’agit pas de critiquer les prélèvements obligatoires en soi, ils sont nécessaires. Mais il s’agit de discuter de leur niveau, de leur légitimité (car s’ils sont légitimes pourquoi les cacher?) et de leur efficacité réelle.

          Quand l’État a besoin d’argent, il prélève plus car il jouit du monopole de la « violence légitime » et ce dernier lui donne le droit de lever l’impôt. Quand un ménage a besoin d’argent, il doit dépenser moins car il ne peut pas décréter des recettes supplémentaires. Reconnaissons que le gouvernement actuel a lancé des réformes – et c’est bien pour cela qu’il a été élu – dans l’objectif d’améliorer le fonctionnement de l’État. Il s’agit d’offrir un meilleur service public tout en dépensant moins d’argent public. Et c’est le seul moyen de stopper l’engrenage de la dette publique. Mais les résistances aux réformes sont puissantes.
 

La foudre ne frappe jamais deux fois au même endroit, l’impôt oui!

          Les décisions prises par les agents économiques sont à l’origine des nombreux flux économiques qui font la vitalité et la prospérité d’une nation. L’État a son rôle à jouer en offrant des biens et services publics qui sont source d’externalités positives et profitent donc à l’activité économique. Il ne s’agit nullement de contester l’action positive de l’État. Mais le financement des biens et services publics passe par des prélèvements publics qui sont eux-mêmes source d’externalités négatives (coin fiscal, fuite des capitaux, développement de l’économie parallèle). L’État doit donc veiller à ne pas reprendre d’une main ce qu’il feint de donner de l’autre main. En d’autres termes, le poids des prélèvements obligatoires ne doit pas dépasser un seuil au-delà duquel les externalités positives seraient complètement neutralisées par les effets négatifs de la fiscalité.

          Cet équilibre impose de ne jamais frapper plusieurs fois un même flux économique. Lorsque le ménage travaille, c’est pour percevoir un revenu (net des charges sociales). À ce titre, il paiera un impôt sur le revenu. Puis 80% de son revenu disponible sera utilisé pour la consommation. À ce titre, il paiera la TVA. On nous dit que c’est une taxe sur la valeur ajoutée. Mais le résultat est là, quel que soit le nom qu’on lui donne. Le ménage a dû supporter trois prélèvements: les charges sociales qui amputent son revenu brut, l’impôt sur le revenu qui ampute son revenu net, et la TVA qui frappe son revenu disponible. Et la partie épargnée du revenu n’échappera pas à un prélèvement que l’on aura pris soin de baptiser « impôt sur le capital ». Mais ce n’est pas le capital qui paie, c’est le ménage qui voit le rendement de son épargne amoindri par le prélèvement fiscal, lequel rend l’épargne moins attractive.

          Que l’on ne s’y trompe pas, on peut bien jouer sur les mots en baptisant les taxes et impôts avec des appellations sympathiques ou trompeuses, mais les prélèvements frappent toujours et seulement les foyers fiscaux, donc les ménages. Et plus on doit supporter des prélèvements, moins il devient rationnel de prendre des décisions économiques: autant cesser d’être actif et vivre au crochet de la générosité (forcée) publique.