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			par 
		Martin Masse*
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				| Le 
				marché noir du financement des partis politiques (Version imprimée) |  Le Québécois Libre, 15 novembre 
		2009, No 272.
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		http://www.quebecoislibre.org/09/091115-12.htm
 
 
 Il aura fallu le dévoilement des 
											nombreuses « irrégularités » à la 
											Ville de Montréal, dont le contrôle 
											de la mafia sur les contrats de 
											construction, les enveloppes brunes 
											aux politiciens et bureaucrates et 
											les accointances douteuses de 
											l'ex-chef de l'opposition de la 
											Ville, Benoit Labonté, pour que le 
											mythe du « financement populaire » des 
											partis politiques vole enfin en 
											éclat.
 
 Le financement populaire, c'est 
											la législation qui interdit au 
											Québec depuis son adoption par le 
											gouvernement péquiste en 1977 les 
											dons d'entreprises, qui limite ceux 
											des individus à un montant modeste 
											et qui force les partis à rendre 
											publique leur liste de donateurs. 
											Depuis, elle a été appliquée au 
											niveau municipal et une loi 
											similaire a été adoptée à Ottawa.
 
 Ces lois visent ostensiblement à 
											éliminer l'influence des caisses 
											occultes et à remplacer le « pouvoir 
											de l'argent » par celui du citoyen. 
											En réalité, elles ont d'abord pour 
											effet de consolider la mainmise des 
											joueurs en place, ceux qui disposent 
											déjà d'une bonne organisation et 
											d'un membership assez large. Un 
											nouveau parti sans reconnaissance 
											médiatique, sans figure de proue 
											connue et qui n'a pas beaucoup de 
											membres, mais qui pourrait avoir 
											quelques donateurs généreux prêts à 
											le soutenir, ne peut en effet plus 
											utiliser le seul moyen à sa 
											disposition lui permettant de faire 
											une percée, soit l'argent (pour se 
											payer des publicités, etc.). La loi 
											est l'équivalent d'une barrière à 
											l'entrée dans le marché politique 
											qui protège les partis en place des 
											nouveaux venus. Lévesque, ce supposé 
											grand démocrate, dont le parti 
											recevait peu de dons d'entreprises à 
											l'époque de toute façon, a en 
											réalité subtilement manipulé la loi 
											électorale pour réduire la 
											concurrence politique, déjà limitée 
											dans un système électoral comme le 
											nôtre.
 
 Autre avantage, les politiciens 
											peuvent se présenter comme des 
											personnes à la morale irréprochable, 
											dont l'engagement politique n'est 
											motivé que par l'intérêt public et 
											pas leur intérêt personnel. Cette 
											loi avantage les politiciens comme 
											classe, dans leurs efforts pour 
											améliorer leur image sociale. Depuis 
											trente ans, ils peuvent se vanter de 
											cette innovation majeure ayant mis 
											le Québec à l'avant-garde mondiale 
											pour ce qui est de « l'assainissement 
											des moeurs électorales ». Nous 
											aurions, au Québec, des politiciens
											clean. Il faut les admirer 
											pour cela!
 
 On le voit maintenant, tout ça 
											n'était fondé que sur un immense 
											mensonge. Mais qui se surprendra que 
											nos politiciens ne soient qu'une 
											bande d'hypocrites?
 
 Pendant longtemps, il était tabou 
											de remettre en question l'héritage 
											sacré de notre Saint Ti-Poil 
											national, René Lévesque, qui 
											considérait cette loi comme sa 
											principale réalisation. Il est 
											intéressant de voir aujourd'hui nos 
											journalistes se mettre enfin à 
											discuter de ce que tous ceux qui 
											sont impliqués dans les milieux 
											politiques, y compris eux-mêmes, 
											savent pourtant depuis fort 
											longtemps, soit que ce financement 
											populaire est en fait une fiction.
 
 Un organisateur péquiste m'avait 
											expliqué le stratagème des 
											prête-noms il y a déjà quinze ans, 
											en me laissant savoir que j'étais 
											bien naïf de ne pas savoir de quoi 
											il s'agissait puisque ça se faisait 
											couramment. Je ne me souviens 
											pourtant pas avoir lu quoi que ce 
											soit dans les journaux sur ces 
											combines pendant toutes ces années. 
											Mais enfin, plus personne ne pourra 
											maintenant nier la réalité.
 
 Le 21 octobre dernier, le
											
											chroniqueur Yves Boisvert de 
											La Presse écrivait:
 
												Mais n'allez pas croire qu'on 
												a trouvé une solution aux 
												influences occultes en 
												renforçant la loi: on la viole 
												presque à l'unanimité. Actuellement, les partis 
												majeurs, au municipal comme au 
												provincial, sont souvent 
												incapables de financer à leur 
												goût leurs campagnes tout en 
												respectant la loi. Les campagnes 
												coûtent trop cher et il n'y a 
												pas assez de citoyens pour 
												donner aux partis politiques. Que font les organisateurs 
												quand ils en veulent plus, alors? Ils utilisent toute une série 
												de subterfuges pour respecter 
												les contours de la loi. 
												Officiellement, ils ne reçoivent 
												que des dons de particuliers. 
												Ils respectent les limites de 
												dépenses. Ils produisent des 
												rapports détaillés. Mais dans la vraie vie, ils 
												en violent tant l'esprit que la 
												lettre. C'est le sale secret que 
												partagent, de manière variable 
												selon les époques, libéraux, 
												péquistes, adéquistes et partis 
												municipaux un peu importants au 
												Québec. (...) le truc est assez 
												simple. Une firme d'ingénieurs, 
												ou d'avocats, ou de 
												publicitaires, ou une compagnie 
												de construction paie des 
												employés pour qu'ils fassent 
												eux-mêmes des dons "personnels". 
												Ces gens versent donc en leur 
												nom l'argent de telle ou telle 
												société. Ils reçoivent un reçu 
												et leur nom apparaît sur le 
												rapport de l'agent officiel. 
												Tout est O.K.! Le 23 octobre, c'est Benoit Labonté, 
											qui dit ne pas vouloir être le seul 
											bouc émissaire,
											
											qui confirmait que tout le monde a 
											recours au système:  
												M. Labonté a décrit en long 
												et en large les pratiques de 
												financement des partis. Quoique 
												légales, elles sont très 
												discutables du point de vue de 
												l'éthique. Il a confirmé 
												l'utilisation de prête-noms dans 
												le financement de Vision 
												Montréal pour permettre la 
												transformation de dons en argent 
												comptant en contributions 
												d'apparence légitime. « La 
												réalité, et c'est vrai dans tous 
												les partis, au municipal, au 
												provincial et au fédéral -- il 
												n'y a pas un parti qui fait 
												exception --, c'est qu'il y a de 
												l'argent qui se ramasse cash et 
												il est donné à des prête-noms 
												qui, eux, font un chèque 
												personnel. [...] Tout le monde 
												sait que ça se passe comme ça. 
												Ça fait partie des règles non 
												écrites. C'est un trou béant 
												dans la loi. » Cette pratique a 
												toujours cours à Vision 
												Montréal, affirme-t-il.  Benoit Labonté soutient en 
												avoir discuté avec Mme Harel il 
												y a quelques jours. Celle-ci 
												aurait reconnu l'existence de 
												cette façon de faire dans sa 
												formation, à Union Montréal, au 
												Parti québécois et au Parti 
												libéral, a-t-il dit. « Le 
												financement populaire, c'est une 
												fiction, c'est un système 
												hypocrite. C'est vraiment un 
												cancer répandu » (...).  C'est-y pas beau de lire ça!!! 
											Tous ces êtres chiants qui nous font 
											la morale à longueur d'année, qui 
											adoptent loi après loi, règlement 
											sur règlement, taxe par-dessus 
											taxe, pour nous forcer à adopter des 
											comportements « solidaires » et 
											« responsables » dans à peu près tous 
											les aspects de nos vies, alors 
											qu'ils sont eux-mêmes corrompus 
											jusqu'à l'os!
 La loi sur le financement des 
											partis a été adoptée il y a trois 
											décennies précisément pour éliminer, 
											nous disait-on, les caisses 
											occultes. Aujourd'hui, 
											le ministre responsable de la loi 
											électorale, Claude Béchard, souhaite 
											l'amender et soutient que « la porte 
											sur les dons occultes serait 
											refermée ». On a donc perdu trente 
											ans dans ce prétendu combat contre 
											les caisses occultes?!! Comme si 
											d'autres restrictions pouvaient 
											maintenant résoudre quoi que ce 
											soit!
 
 Le phénomène est en fait le même 
											que celui, permanent, du marché 
											noir. Lorsque la demande pour un 
											produit est très forte et que le 
											gouvernement impose des taxes ou 
											d'autres obstacles légaux à 
											l'obtention de ce produit, il se 
											développe un marché parallèle 
											illégal qui vise à contourner les 
											obstacles. La répression n'y fait 
											rien, ces marchés trouvent toujours 
											une façon de fonctionner tant que la 
											demande est là.
 
 Avec les États énormes que nous 
											avons, beaucoup de gens ont intérêt 
											à siphonner la richesse immense (la 
											moitié du PIB, ne l'oublions pas) 
											soutirée aux contribuables et 
											distribuée à gauche et à droite sous 
											forme de programmes, subventions et 
											contrats juteux. Il existe 
											évidemment un « marché politique » 
											pour l'obtention de ces bénéfices et 
											privilèges. À cause de la loi sur le 
											financement, les partis politiques 
											ont toutefois des contraintes qui 
											les empêchent de participer 
											ouvertement à ce marché, 
											c'est-à-dire de monnayer les 
											subventions et les contrats en 
											échange de dons. Il se crée donc de 
											la même façon un marché noir du 
											financement qui permet de contourner 
											les obstacles.
 
 Quelle est la solution pour 
											mettre fin à cette corruption? La 
											seule qui éliminerait le problème à 
											sa racine est une réduction 
											draconienne du rôle et de la taille 
											de l'État, ce qui limiterait 
											l'ampleur des avantages étatiques 
											monnayables et étoufferait ce 
											marché. Mais c'est bien évidemment 
											dans une autre direction qu'on 
											risque d'aller. D'abord vers plus de 
											répression et de contrôle, qui 
											seront éventuellement contournés, et 
											peut-être carrément vers une 
											« nationalisation » totale du 
											financement des partis politiques. 
											C'est l'État qui assurerait alors 
											l'entièreté du financement des 
											partis (la subvention n'est 
											aujourd'hui que partielle). C'est ce 
											que proposent Benoit Labonté et le 
											maire Gérard Tremblay.
 
 On peut être certain d'une chose: 
											la corruption se transporterait 
											alors encore plus profondément au 
											sein de l'État au lieu d'être à sa 
											périphérie dans les partis 
											politiques. Cela créerait aussi une 
											autre barrière à l'entrée pour les 
											partis qui s'opposent entièrement à 
											ce système: imaginez un parti 
											libertarien aller quêter son budget 
											de fonctionnement à un bureaucrate. 
											Les étatistes y gagneraient sur 
											toute la ligne.
 
 L'avantage de toutes ces 
											révélations, c'est que seuls les 
											naïfs les plus indécrottables 
											continueront bientôt de croire que 
											la politique est un « noble métier » 
											qui vise à « s'impliquer dans notre 
											devenir collectif ». La réalité, de 
											plus en plus perceptible au grand 
											jour, c'est que c'est un système 
											pourri permettant de distribuer à 
											des parasites le butin volé à ceux 
											qui travaillent, sous prétexte de 
											faire des bonnes oeuvres.
 
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              Martin Masse 
              est directeur du Québécois Libre.
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