Québec tente d’abolir les tempêtes de neige (Version imprimée)
par Gilles Guénette*
Le Québécois Libre, 15
décembre 2009, No 273.
Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/09/091215-7.htm


Au début du mois, on apprenait que « le premier ministre Jean Charest a signé une entente de coopération conjointe entre le Québec et Moscou, dans l'espoir d'accentuer une relation d'affaires marquée de hauts et de bas avec la Russie. Il a ratifié cet accord avec le maire Iouri Loujkov mardi [le 8 décembre dernier], alors qu'il venait à peine d'entreprendre la première mission économique québécoise sur ce territoire parsemé d'embûches, mais offrant plusieurs opportunités, notamment en raison des besoins en matière d'infrastructures et de technologie. »

Le premier ministre du Québec a profité se son passage à Moscou pour s'entretenir en privé avec le maire Loujkov à propos d’une mesure controversée mise de l’avant par son administration pour garder la neige à l'extérieur des limites de la ville de Moscou. Depuis quelques années, la mairie moscovite a recours à des avions chargés d'agents chimiques pour disperser les nuages lors des célébrations de grandes fêtes russes en période estivale, et M. Loujkov a proposé d'agir de la même manière pour éviter des précipitations en hiver.

Selon les estimations du maire, Moscou pourrait économiser entre 160 et 300 millions de roubles (5,7 et 10,7 millions CAN) chaque hiver en déneigement si les grandes tempêtes de plus de 10 cm de neige sont évitées. La chasse aux nuages, elle, ne coûterait qu'entre deux et trois millions de dollars par hiver, soit trois fois moins. On s’en doute, de telles économies, transposées à l’échelle d’un vaste territoire comme celui du Québec, font saliver le premier ministre qui est confiant de ne pas avoir de difficulté à vendre l’idée aux Québécois: « La neige, c’est bien beau, mais c’est incommodant », a-t-il lancé à la blague.

Jean Charest, toujours à l’affut de façons de couper les coûts sans toutefois couper les dépenses – et dans un effort constant de réduction du fardeau de la dette –, croit que le Québec pourrait ainsi sauver des millions de dollars chaque hiver en frais de déneigement. À titre d’exemple, le budget de déneigement pour 2009-2010 de la Ville de Montréal seulement est de 136 millions de dollars. Et chaque année, il est dépassé. Une seule tempête de 20 centimètres coûte environ 17 millions $ à la métropole québécoise. Ce sont près de 3000 employés qui travaillent lors des opérations de déblaiement.

Mais le chef du gouvernement québécois a eu tort de faire preuve d’autant d’assurance. À son retour de mission économique, une délégation de groupes de pression, d’environnementalistes et de syndicalistes l’attendait de pied ferme à l’Aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal. Scandant des slogans du genre « Charest, t’es pas Dame Nature! », « Touches pas à not’ neige! » ou bien encore « Charest menace la paix sociale; tous unis contre Charest! », les personnes rassemblées n’avaient qu’un but en tête: faire reculer le gouvernement.

Enchaînés à des souffleuses de couleur rouge, des activistes de Greenpeace coiffés des cagoules vertes ont affirmé que ce détournement de neige « aurait un impact catastrophique sur l’écosystème québécois en plus de contribuer à l’accélération du réchauffement de la planète ». Selon Virginie Lambert Perry, porte-parole de l’organisme pour le Québec, « il faut craindre que la perturbation du cycle naturel de précipitations ne menace des animaux sauvages en périphérie de la province, alors que la végétation des grands centres urbains pourraient manquer d'eau ».

Non loin derrière le barrage de souffleuses, Steven Guilbeault, porte-parole et membre fondateur d’Équiterre, avait ceci à rajouter « On ne sait pas ce que ces mesures auront comme impact sur nos modèles météorologiques. Le maire de Moscou, ville où les mesures seront mises de l’avant pour la première fois en hiver, faut-il souligner, n'a fourni aucune expertise, n'a consulté aucun météorologue, écologiste ou économiste, et a fait adopter son projet sans grand questionnement de la part des députés du conseil municipal. C’est pas comme ça qu’on fait les choses ici! Charest doit reculer. »

Pour Alexandre Boyer-Lafontaine, porte-parole de l'Association des stations de ski du Québec, ce projet d’ingénierie climatique menace toute l’industrie du ski au Québec en plus de l’économie entière des régions: « On ne peut tout simplement pas repousser la neige en dehors du territoire québécois et espérer que tout ira mieux. Si M. Charest veut faire la pluie et le beau temps, c’est toute l’industrie du ski qui va mettre la clé dans la porte. Et il y a plein de municipalités dévitalisées ou à revitaliser qui présentent un indice de développement inférieur à -5 qui vont carrément lever les pattes. C’est inacceptable! »

Même son de cloche du côté de chez Bombardier Produits récréatifs Canada. « Ce projet viendrait anéantir des années d’efforts de la part des différents paliers de gouvernements pour maintenir notre industrie en vie, a déclaré un porte-parole qui a préféré garder l'anonymat. Sans compter que ça rendrait caduques toutes les subventions débloquées au fil des ans. Si M. Charest va de l’avant avec cet acte de sabotage économique, nous n’aurons autre choix que de déménager nos usines là où il ne neige peut-être pas, mais où l’on sera les bienvenus. »

Un front commun intersyndical attendait aussi la délégation ministérielle à son retour de mission. C’est la présidente de la CSN, Claudette Carbonneau, qui s’est adressée à la foule la première et qui a eu les mots les plus durs à l’endroit du premier ministre: « Si vous pensez qu’on va se laisser déneiger sans dire un mot, vous vous trompez! Le Québec a été bâti dans la neige par des hommes et des femmes qui n’ont pas eu froid aux yeux. Monsieur Charest! Mon pays, c’est l’hiver! » Ce à quoi la foule rassemblée a applaudi à tout rompre. Gilles Vigneault est alors monté sur le podium pour entonner son fameux hymne à l’hiver.

Pendant ce temps, le directeur de la protection de la santé publique, le docteur Horacia Orruda, émettait cet avertissement: « Il ne faut pas se leurrer, bombarder les nuages menaçants à l'aide d'un mélange d'iodure d'argent, de poudre de ciment et de glace sèche ne peut qu’avoir des répercussions négatives sur la santé publique. Nous nous opposerons fermement à toute modification climatique de cette envergure tant et aussi longtemps qu’une véritable batterie de tests n’aura pas été effectuée. Il en va de la santé des Québécoises et des Québécois qui, faut-il le rappeler, n’a pas de prix. »

Des élèves et intervenantes de l'école secondaire Pierre-Dupuy – située dans le quartier défavorisé d’Hochelaga-Maisonneuve et comptant plusieurs cas lourds de difficultés d'apprentissage ou troubles de comportement – ont interrompu leur cours pour venir manifester pour le droit à la neige. « On aime ça nous autres, la neige », a dit l’une. « C’est beau, pis en plus, ça nous permet d’avoir des congés des fois quand y’en tombe une grosse bordée », a rajouté l’autre, sous le regard attendrit d'une travailleuse sociale.

Les seules personnes qui avaient quelque chose de positif à dire ont été les aînés. La porte-parole de la FADOQ de la grande région de Québec et Chaudière-Appalaches a rappelé que ce projet serait des plus bénéfiques pour la qualité de vie des personnes âgées ou à mobilité réduite. « On oublie trop souvent que ces personnes s’empêchent de sortir et se désocialisent lorsqu’il y a des tempêtes de neige. Pour toutes sortes de raisons elles s’enferment chez elles. Beaucoup, par exemple, craignent de se casser une hanche sur les trottoirs mal entretenus. D’autres souffrent d’anxiété chronique. Pour ces raisons, je crois que M. Charest aurait notre appui, s’il décidait d’aller de l’avant. »

Nul doute que les grands absents de la manifestation auront été les cols bleus de Montréal. Rejoint au téléphone, Yves Gérard, le directeur du déneigement à la Ville, a préféré s’abstenir de commenter, se limitant à souligner que « la convention collective des cols bleus de la Ville est ainsi faite que même s’il ne neigeait jamais à Montréal, les employés seraient payés. Et même qu’une clause spéciale stipule qu’après cinq semaines de non-neige en saison hivernale, les employés ont droit à un bonus. Alors… »

À leur sortie de l’avion ministériel, Jean Charest et ses missionnaires n’ont donc pu esquiver la foule. Le premier ministre a été forcé de tenir un point de presse. « Je ne m’attendais certainement pas à un accueil aussi chaleureux. Notre mission économique chez nos amis russes a été un franc succès. » Puis allant directement au vif du sujet: « Je suis conscient des bouleversements qu’entraineraient de telles mesures à notre mode de vie, mais il ne faut pas être fermé au changement. Confrontés à une dette qui ne cesse d’augmenter, les Québécoises et les Québécois doivent faire des choix. Mon gouvernement a fait un choix. Vous savez, gouverner c’est un peu être à l’écoute. Notre rôle, c’est aussi de trancher en faveur de ce qui nous semble être le mieux pour la population. Pensez-y, avec les économies qu’on effectuerait grâce à cette technique d’ensemencement des nuages, on pourrait créer des fonds d’aide pour les personnes touchées… »

C’est à ce moment que les balles de neige ont commencé à fuser de toutes parts sur le premier ministre et son entourage. Tout ce beau monde a dû mettre fin au point de presse improvisé de façon plutôt abrupte et chercher refuge à l’intérieur des installations aéroportuaires. Des agents de sécurité ont été appelés en renfort pour disperser les manifestants. Un autobus nolisés a quitté les lieux avec à son bord le premier ministre et ses missionnaires – non sans être roué de coups auparavant par les mécontents.

Le lendemain, toutes les unes des journaux étaient consacrées au retour de la mission économique en Russie et au projet controversé. Les radios et télés ne parlaient que de ça. De la Chaire d'études socio-économiques de l’Université du Québec à Montréal, à l’Union des consommateurs, en passant par le très à droite Institut économique de Montréal, tous n’avaient que de mauvais mots pour décrire le projet. À la surprise générale, les centrales syndicales ont modéré leur position et on affirmé qu’elles seraient possiblement ouvertes à un tel projet si un vaste plan d’aide visant à compenser les travailleurs touchés était mis en place.

Face à ce tollé généralisé, Jean Charest a annoncé d’urgence la tenue d’un second point de presse. « J’ai entendu les nombreux porte-parole de la société parler au nom de toutes les Québécoises et de tous les Québécois et j’ai pris bonne note. L’une des plus grandes qualités d’un politicien, c’est d’être à l’écoute des électeurs. Mon gouvernement et moi avons donc décidé de ne pas aller de l’avant avec ce projet. Nous examinerons d’autres avenues afin de réduire les coûts, sans toutefois couper dans les dépenses. La population du Québec peut être fière de ses élus. Elle s’est prononcée, nous avons écouté. »

Le Québec a reçu sa première bordée de neige. Plusieurs centimètres couvrent maintenant le sol. Les équipes de déneigement sont à l’oeuvre à la grandeur du territoire, les personnes âgées, elles, sont enfermées chez elles. La vie suit son cours, comme si de rien n’était.

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* Gilles Guénette est titulaire d'un baccalauréat en communications et éditeur du Québécois Libre.