Santé publique: le pouvoir de vie et de mort (Version imprimée)
par Gilles Guénette*
Le Québécois Libre, 15 mars
2010, No 276.
Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/10/100315-9.htm


La mort de trois personnes à la fin du mois dernier dans les corridors des salles d’urgence d’hôpitaux montréalais, et celle d’un homme, Jean-Guy Pitre, au début du mois, a relancé l’éternel et cyclique débat sur l’engorgement du réseau public de santé. Le ministre de la Santé a trouvé déplorables ces morts, mais a affirmé qu'il faudrait attendre quatre ou cinq ans avant de voir des progrès notables dans le dossier des urgences. Imaginez. Environ le quart de la centaine d'urgences de la province éprouve des problèmes d'attente prolongée. Le temps d’attente moyen y est de 17,5 heures.

Morts

Comme on peut le voir, l’approche soviétisée de la médecine qu’on impose au Québec a des conséquences. Les urgences de la grande région de Montréal sont actuellement si débordées que l'on y constate chaque semaine des morts qui auraient pu être évitées, affirme le président de l'Association des médecins d'urgence du Québec, le Dr Bernard Mathieu.

L'heure est si grave, de dire l'urgentologue et chef des urgences de l'Institut de cardiologie de Montréal, Alain Vadeboncoeur, que le ministre de la Santé doit au plus vite faire une tournée des urgences pour trouver des solutions. « Le ministre avait fait une tournée semblable dans les blocs opératoires avec la Fédération des médecins spécialistes. Ça avait donné de bons résultats. On est rendu là dans les urgences », a-t-il déclaré. Le ministre va se promener dans les urgences et, de sa baguette magique, va régler tous les problèmes… Incroyable.

En attendant la grande tournée ministérielle salvatrice, les hôpitaux improvisent avec les moyens du bord pour traiter le plus de monde possible. Aux prises avec trop de patients à l'urgence et une éclosion de gastroentérite, la Cité de la santé de Laval a décidé de mettre des malades dans le gymnase – une salle sans aucune fenêtre ni salle de bain. L’année dernière, c’était dans des abris Tempo qu’on cordait les patients.

Comme à toutes les fois qu’une « crise des urgences » refait surface, on crie. Sur les bancs de l’opposition, les politiciens s’agitent; sur le terrain, les fonctionnaires font pareil. Tout le monde y va de sa solution – toujours les mêmes depuis des années. En gros: il faut mieux gérer le système et y investir massivement. Money is no object. Dans le budget 2009-2010 du gouvernement Charest, ce sont 26,8 milliards de dollars qui y passent sur un budget de 66,1 milliards $ – année après année, le secteur de la santé est le principal poste de dépense.

Les crises se succèdent, mais très peu de « décideurs » abordent la question du privé en santé. Une bonne façon de désengorger les urgences serait pourtant de briser le monopole public de la santé et permettre à ceux qui en ont les moyens de se faire opérer dans des hôpitaux privés en plus d’avoir accès à des assurances privées. Mais permettre cela voudrait dire remettre en question la sacro-sainte égalité. Et nos élus ne sont pas prêts à aller dans cette direction. Ils continuent de défendre bec et ongle un système public mur-à-mur dans lequel tout le monde a droit à la même offre de services – c’est-à-dire, passables.

Pourtant, dans les faits, les pauvres n’ont pas la même offre de services. Pendant qu’ils attendent en ligne pour se faire soigner, pendant que leur situation se détériore par manque de soins, ceux qui en ont les moyens (et même des politiciens!) vont se faire soigner à l’étranger. Les pauvres (et une partie de la classe moyenne), souffrent et meurent en silence.

Vie

Si les gouvernements qui se succèdent à Québec (et à Ottawa) sont responsables des morts qu’entraîne le système public de santé, ces mêmes gouvernements ont le pouvoir, semble-t-il, de donner la vie. Eh oui, ils peuvent enfanter. Pas littéralement, mais par la bande. Ils peuvent enfanter des programmes qui vont permettre de donner la vie. Et la vie, on le sait, ça n’a pas de prix.

C’est ainsi que des personnes se sont mobilisées depuis quelques années dans le but de faire du lobbying auprès du gouvernement pour qu’il offre des services « gratuits » de fertilité aux couples infertiles. En mai dernier, le ministre Bolduc a insinué que ce serait le cas d’ici la fin de 2009. L’automne 2009 est venu et parti et les traitements ne sont toujours pas « gratuits ».

Une situation que la présidente de l’Association des couples infertiles du Québec trouve intolérable. « Le ministre a entre ses mains le pouvoir de donner la vie, a-t-elle lancé au début du mois dans le cadre d’une nouvelle offensive de lobbying. Yves Bolduc doit faire en sorte que les couples puissent donner la vie et il doit le faire rapidement, car il y a beaucoup de couples dont l’horloge fait tic tic. » Le critique péquiste en matière de santé, Bernard Drainville, y a même été d’un « le gouvernement manque de coeur » bien senti.

Même son de cloche de la part de l’animatrice et productrice Julie Snyder: « Je trouve cela cruel pour les couples infertiles ». Ayant elle-même éprouvé des difficultés à devenir mère, Mme Snyder dit comprendre les espoirs déçus des couples infertiles: « Cela vient me chercher. Je n’ai pas dormi de la nuit. On ne peut pas tromper les couples infertiles. Le ministre leur a fait une promesse. Il doit leur donner l’heure juste et exprimer clairement à quel moment le programme sera en vigueur. »

L’animatrice, très engagée auprès de l’Association des couples infertiles du Québec, rajoute: « On parle de vies humaines, de gens qui mettent leur vie entre parenthèses et vivent un drame. C’est également important de mettre en perspective qu’un tel programme permettra de réduire les grossesses multiples, en limitant le nombre d’embryons implantés. De ce fait, il n’y aura pas de coûts supplémentaires pour les contribuables, car l’argent qu’on donne d’un côté, on le récupère de l’autre, par une réduction des coûts de santé liés aux grossesses multiples. »

Wow, fallait y penser. Zéro coût pour le contribuable. Le programme serait vraiment gratuit. C’est trop beau pour y croire. Mme Snyder devrait savoir qu’il n’y a rien de gratuit en ce bas monde. Selon elle, « le programme gratuit de fécondation in vitro [qui a fait ses preuves en France, s’empresse-t-elle de souligner] va permettre l’arrivée de plein de petits contribuables ». Imaginez. L’État n’encouragerait pas la naissance d’enfants, il encouragerait celle de futurs contribuables. Ça tombe bien parce qu’on en aura bien besoin pour payer, entre autres, pour cet autre programme « gratuit » – si le gouvernement cède aux pressions et va de l’avant.

Mme Snyder a rappelé que l’État québécois assume les frais pour les avortements, les vasectomies et les ligatures des trompes, alors… Si le gouvernement peut donner la mort (façon de parler), il peut donner la vie. L’État-parent.

Le gouvernement doit-il payer la fécondation in vitro comme ils payent pour ces autres interventions médicales? Bien sûr que non. Les Québécoises et les Québécois (pour reprendre la formule consacrée) qui veulent ou pas des enfants devraient en assumer les coûts eux-mêmes. Ce n’est pas comme si il s’agissait d’une maladie ou qu’il n’y avait pas d’alternatives (l’adoption / la contraception). La décision de faire un enfant est strictement personnelle.

Arrangez-vous!

L’État, on le voit notamment dans le domaine des hôpitaux, n’est pas un bon gestionnaire. Et comme si cela n’était pas suffisant, il empêche toute concurrence. De plus, l’État est en semi-faillite – nous sommes le cinquième endroit le plus endetté dans le monde industrialisé – et doit trouver de nouvelles façons de financer ses nombreux et coûteux programmes. Or, les contribuables sont surtaxées. Il ne peut donc pas continuer d’élargir ad vitam aeternam son offre de services.

Mme Snyder et l’Association des couples infertiles du Québec devraient financer leurs bonnes oeuvres de façon privée. Pourquoi ne pas se servir de l’Association pour amasser des fonds et venir en aide aux couples infertiles qui veulent connaître les joies de la parentalité? Pas besoin de l’aide du gouvernement pour ça.

L’État, à défaut de complètement privatiser la santé, devrait à tout le moins permettre la coexistence des secteurs public et privé. Des hôpitaux privés, jumelés à une offre d’assurance santé privée, pourraient faire plus que n’importe quel « investissement massif de fonds publics » pour lutter contre l’engorgement du système.

En attendant, espérons que les générations futures, en regardant comment nos élus gèrent la santé, qualifieront notre époque d’anomalie. Et ayons une petite pensée pour les victimes de notre système de santé…

----------------------------------------------------------------------------------------------------
* Gilles Guénette est titulaire d'un baccalauréat en communications et éditeur du Québécois Libre.