Budget Bachand: Québec adopte le programme étatiste des lucides (Version imprimée)
par Martin Masse*
Le Québécois Libre, 15 avril
2010, No 277.
Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/10/100415-2.htm


Le Québec a l'un des gouvernements les plus interventionnistes en Amérique du Nord, l'État-providence le plus développé, le fardeau fiscal le plus élevé et est l'une des sociétés les plus endettées au monde, en plus d'être l'une de celles qui vieillissent le plus vite. Nous allons vers un mur, mais malgré cela, la presque totalité de nos élites continue de croire que le « modèle québécois » mérite d'être conservé. La question qui les divise est surtout de savoir comment on le financera.

Dans un débat dominé par les illuminés gauchistes partisans de la pensée magique, les illettrés économiques, les groupes d'intérêt corporatistes et les politiciens peureux, ceux qui disent qu'on ne peut pas indéfiniment vivre à crédit et taxer les plus riches et les entreprises passent pour des réalistes et des « lucides ». Depuis quelques années, ces lucides proposent de siphonner davantage et « plus efficacement » (par l'entremise de tarifs et de taxes à la consommation plutôt que de hausses d'impôt sur le revenu) tous les Québécois de façon à éviter les déficits et réduire la dette.

Comme je l'écrivais il y a cinq ans, leur programme n'a rien à voir avec une réduction de la taille de l'État: l'objectif est de cesser de croire qu'on peut avoir le beurre et l'argent du beurre et donc de prendre les moyens nécessaires pour financer adéquatement la pléthore de programmes qu'ils souhaitent conserver.

C'est ce que le gouvernement Charest a finalement décidé de faire dans son budget dévoilé le 30 mars dernier. Les sociaux-démocrates réalistes sont en pâmoison. Le chroniqueur Alain Dubuc de La Presse parle d'un budget austère, audacieux, courageux. « Le gouvernement Charest devra réussir à expliquer qu'on ne peut pas éliminer le déficit et préserver nos services sans contribution des citoyens. Il devra pour cela miser sur l'intelligence des citoyens », écrit-il. Pour l'économiste Luc Godbout, un autre lucide grand amateur de hausses de taxes, « C'est un budget qui est allé au-delà de mes espérances ».

Voici une liste des nombreuses nouvelles façons dont le gouvernement viendra piger dans nos poches, telle que rapportée dans Le Devoir:

Raymond Bachand a tiré sur tous les leviers que lui a présentés son comité d'économistes. La taxe de vente du Québec (TVQ) sera haussée de 1% le 1er janvier 2012, soit une ponction de 1,5 milliard, qui s'ajoute à l'augmentation de 1% prévue dans le dernier budget de Monique Jérôme-Forget pour le 1er janvier prochain; la TVQ s'élèvera donc à 9,5%. La taxe sur les carburants sera augmentée de 1 cent le litre par an pendant quatre ans, pour des revenus annuels à terme de 480 millions. De plus, Montréal et Québec auront désormais la possibilité de relever de 1,5 cent la taxe sur l'essence dès l'an prochain pour financer leur réseau de transport collectif.

Le budget Bachand viole un interdit politique: le financement de la santé par les usagers. Chaque adulte devra débourser dès cette année une cotisation santé de 25 $ à même sa déclaration de revenus. Cette cotisation augmentera graduellement pour atteindre 200 $ en 2012, ce qui permettra à l'État d'encaisser près de 1 milliard par an. Le financement de la santé par les contribuables ne passera donc plus exclusivement par l'impôt sur le revenu, une ponction de nature progressive. Ainsi, tout ménage qui gagne 40 000 $ et plus paiera la cotisation maximale de 400 $.

Mais cela ne s'arrête pas là: le gouvernement Charest imposera une « franchise » santé, comme le recommandait le rapport Castonguay, une forme de ticket modérateur applicable à chaque visite médicale, modulé selon que l'usager se présente dans une clinique, un CLSC ou à l'urgence. Les modalités seront arrêtées plus tard. (...)

À compter de 2014, le tarif du bloc patrimonial d'électricité de 2,79 cents, en vigueur depuis 1998, sera graduellement majoré de 50%, soit de 1,37 cent en cinq ans. Cela représente une hausse annuelle de 3,7% du tarif domestique, qui passera de 6,87 cents à 8,24 cents, soit un bond de 20% cumulativement. Le ministre a parlé d'une hausse de 1 cent, mais les documents budgétaires indiquent bien 1,37 cent, ou 2,2 milliards annuellement en 2018.

« À cet égard, un changement de culture s'impose. Nous pouvons même parler de révolution culturelle... », écrit Raymond Bachand dans son discours, les trois petits points se voulant un clin d'oeil évoquant l'origine chinoise et communiste de cette expression, a-t-il expliqué, sourire en coin, à des journalistes.

(...) Les droits de scolarité dans les universités, qui augmentent de 50 $ par session jusqu'en 2012, seront soumis à d'autres hausses par la suite.

On peut bien soutenir, en s'appuyant sur une logique économique saine, que les étudiants devraient contribuer davantage aux coûts de leur formation, que les consommateurs d'électricité devraient payer le prix du marché et non un prix subventionné, que la mise en place d'une franchise pour les soins de santé injectera un dose de réalisme sur le plan de la demande de services, etc. On applique en quelque sorte une logique partielle de marché sur le plan de la demande. Mais à moins d'être compensées par des baisses correspondantes de l'impôt sur le revenu, toutes ces hausses de tarifs et de taxes impliquent simplement une augmentation du fardeau fiscal, et cela pour financer des « services publics » qui restent sous le contrôle des bureaucrates et dont la gestion, elle, n'a aucunement recours à des mécanismes de marché.

On retrouve bien ici et là dans le budget quelques mesures largement symboliques pour limiter ou réduire les dépenses de l'État dans certains domaines, mais strictement rien qui remet en question sa taille gargantuesque. Lorsque le ministre des Finances Raymond Bachand fait valoir que le gouvernement, par les compressions qu'il s'impose, contribue à hauteur de 62% à l'effort nécessaire pour atteindre le déficit zéro, alors que les contribuables et les entreprises, par l'entremise des hausses de taxes et de tarifs, comptent pour le reste, il tient un discours démagogique typiquement politicien. Cette « contribution » du gouvernement provient d'un ralentissement des hausses de dépenses prévues dans les budgets précédents, et non d'une réduction nette des dépenses par l'abolition de programmes et la privatisation de services. Et encore, comme l'écrit Claude Picher, on le croira quand on le verra.

Le Québec entre donc finalement dans sa phase lucide, tout de même préférable à la phase lunatique et à la politique de l'autruche qui dominent depuis des décennies. Mais on n'a rien réglé; on a simplement repoussé peut-être le moment où nous frapperons le mur. Le véritable débat, sur une réduction réelle de la taille de l'État, reste à faire.

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* Martin Masse est directeur du Québécois Libre.