Montréal, 15 avril 2010 • No 277

 

Daniel Jagodzinski est un « vieil et récent immigré (de France) de 62 ans », DJ, médecin spécialiste ainsi que licencié en philosophie, qui a choisi de s’établir à Montréal avec sa femme et sa fille.

 

 

OPINION

La survie du français au Québec:
un faux débat qui coûte cher

 

par Daniel Jagodzinski

 

          Je suis un Français qui séjourne depuis bientôt trois ans à Montréal. Je me permets de livrer ici à mes amis libertariens quelques réflexions inspirées par mes observations de la société québécoise. Quelques-unes pourront agacer mais je me suis efforcé de respecter une certaine objectivité.

 

Un fardeau de plus

          Indépendamment de tous les aléas politiques habituels dans une société démocratique à l'occidentale, le Québec traîne un fardeau de plus: le français, qui est sa langue officielle. Depuis plus de 50 ans, la prise de conscience du rôle identitaire de la langue s'est radicalisée. Les tentatives d'indépendance ont échoué mais de nombreuses mesures et lois (entre autres la loi 101) ont cherché, au prix de dépenses publiques et de coûts économiques considérables, à « forcer le destin » d'un Québec résolument francophone.

          Outre la volonté politique d'encourager l'enseignement en français, des incitations financières ont voulu promouvoir la littérature québécoise et les spectacles en langue française. Les résultats de cette politique ne semblent pas avoir été à la mesure des efforts consentis. En effet, l'apparente vitalité de l'édition francophone québécoise ne peut masquer le fait que la majorité des ouvrages publiés n'ont qu'un lectorat infime, peu de notoriété à l'étranger et n'existent qu'avec l'aide de subventions d'État. Quant à l'enseignement du français. chacun s'arrache les cheveux et ne sait plus qui est responsable de la situation: les parents, l'État, les enseignants, les élèves, les immigrés, la concurrence des cégeps anglophones, le manque régulièrement allégué de subventions, etc.

          Ce « maudit » français (la langue) pimente, catalyse, empoisonne tous les débats, souvent avec mauvaise foi et, en définitive, sert davantage d'alibi politique et culturel qu'il n'ouvre la société québécoise à une réflexion utile. Il est le fourre-tout, le (seul?) dénominateur commun et l'arme de résistance d'une société en désarroi. Ici plus encore qu'en France se manifeste le souci de l'identité nationale, car en plus des problèmes générés par l'immigration se pose celui de la lente érosion de la langue dans un continent anglophone. Le français est devenu une vache sacrée, une valeur d'autant plus refuge qu'elle est menacée. Une telle crispation annihile d'emblée toute réflexion sur le sujet et semble participer davantage au blocage et au repli de la société québécoise francophone qu'à son épanouissement.

          Les faits sont d'ailleurs éloquents qui montrent que la destination de la diaspora québécoise est principalement tournée vers les pays anglophones et que les jeunes préfèrent souvent s'exprimer en anglais. Détourné de son usage normal, le français alimente les antagonismes. Or, les défis que doit affronter le Québec ne concernent pas que sa vie linguistique, mais son développement économique et social auquel la langue pourrait contribuer si elle cessait d'être utilisée comme un barrage vers l'extérieur et comme une manipulation affective de la population.

Un rejet de l'immigration francophone

          La meilleure preuve qu'il s'agit d'un faux débat, c'est que bien que les pouvoirs politiques aient mis en place depuis de nombreuses années une ouverture à l'immigration francophone, les Québécois n'en veulent pas et rendent l'application de cette idée inopérante en pratique. Comment? En ne jouant pas la carte de l'intégration, en particulier en rendant l'accès au marché de l'emploi quasi impossible aux « maudits Français » et autres francophones allogènes, surtout quand ces derniers sont fortement éduqués et formés.
 

« Il est vain de pratiquer la critique des moeurs et habitudes culturelles d'un peuple, mais il est possible d'en anticiper les conséquences historiques. »


          En effet, la plupart des diplômes étrangers, y compris européens et notamment français, ne sont pas reconnus par les instances professionnelles québécoises, ce qui empêche les immigrants d'exercer des professions qualifiées et voue à l'échec la politique d'immigration francophone « par le haut ».

          Cet immobilisme au service d'intérêts corporatistes s'appuie en fait sur un puissant soutien de la population, dont la profonde méfiance vis-à-vis de l'étranger, à laquelle s'ajoute une tenace et fort ancienne rancune à l'égard de la France, constitue un trait frappant. En témoigne le degré d'autosatisfaction générale quant à l'excellence supérieure de tout ce qui est québécois et l'a priori négatif envers tout ce qui est européen par exemple, y compris l'expérience professionnelle. Est-il sage et judicieux de refuser une source de développement par l'apport de connaissances et de matière grise, méthode qui a tant réussi aux États-Unis, dont la majorité des lauréats Nobel ne sont pas nés américains? Ainsi est actuellement condamnée l'expansion scientifique, universitaire et industrielle par recrutement exogène... au profit du développement anglophone, pragmatique par essence.

          Il est vain de pratiquer la critique des moeurs et habitudes culturelles d'un peuple, mais il est possible d'en anticiper les conséquences historiques.

          Le « vase clos » de la société québécoise francophone affronte dès à présent les conséquences de ses préférences, dont la moindre n'est pas d'accuser toujours l'« autre » des malheurs présents: les riches, les USA, les provinces anglophones, la concurrence des immigrés, l'État-providence qui n'en fait pas assez. Dans cette optique étroite, il n'est pas étonnant que la majorité des Québécois protestent contre une éventuelle augmentation des tarifs d'Hydro-Québec, mais qu'ils soient nettement moins de la moitié à s'opposer à une forte augmentation des droits universitaires, car la majorité d'entre eux n'est pas directement concernée. Le manque de vision à long terme est une des conséquences de la politique politicienne dont la population québécoise paye le prix.
 

Une bouffée d'air

          Le débat sur la place du français dans la vie sociale occulte la réalité d'un fonctionnement social et économique perverti qui aurait bien besoin d'une grande bouffée d'air de vrai libéralisme, dont profiterait sûrement la langue si chère au coeur des francophones. Tant que les administrations du gouvernement social-démocrate québécois, en synergie avec les principales instances privées complices (les ordres professionnels par exemple) domineront le fonctionnement de la société québécoise, ils étoufferont la libre concurrence, combineront les méfaits de l'étatisme à ceux des monopoles et bloqueront toute évolution.

          Or il est selon moi évident que le Québec, tant par sa taille que par ses ressources, tirerait les plus grands avantages d'un apport de francophones fortement motivés, désireux d'y bâtir un avenir plus enthousiasmant que celui proposé dans leurs pays d'origine.

          En conclusion, le débat sur le français n'est qu'un faux nez.
 

 

PRÉSENT NUMÉRO