Grèce: les pyromanes jouent aux pompiers (Version imprimée)
par Michel de Poncins*
Le Québécois Libre, 15 mai
2010, No 278.
Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/10/100515-6.htm


Les Danaïdes, dans la mythologie grecque, sont de délicieuses jeunes filles qui, pour avoir tué sans ménagement 50 jeunes gens, ont été condamnées dans les enfers à remplir éternellement un tonneau sans fond.

La course éperdue des gouvernements européens pour voler au secours de la Grèce et d'autres pays conduit à condamner les peuples européens au supplice des Danaïdes. Il y a quelques jours, il était question simplement de 30 milliards d'euros pour « sauver » la Grèce et nous voici dépassant allègrement les 100 milliards sans que personne évidemment ne puisse savoir si cela suffira. Pour éponger les catastrophes cachées qu'ils ont eux-mêmes créées, voici que les mêmes gouvernements mobilisent 700 milliards au risque de créer un nouvel incendie!

Le tout repose sur un certain nombre de mensonges.

D'abord, pour la Grèce et pour d'autres, l'on se réfère sans cesse au PIB en rapportant tous les chiffres à cet étalon maintenant universel. Or, les économistes savent bien que c'est une quantité qui n'a aucune signification intelligente et qui est trafiquée en permanence dans tous les pays. Bien mieux, l'Europe savait depuis 2001 que les statistiques grecques étaient volontairement faussées par les pouvoirs politiques de ce pays, les autres gouvernements acceptant par solidarité amicale de fermer les yeux.

L'aide promise à la Grèce est présentée comme un simple prêt avec un taux d'intérêt jugé acceptable et l'on entend avec stupéfaction les ministres des finances des pays prêteurs affirmer, non sans aplomb, que le prêt sera remboursé et même qu'au finish l'opération sera fructueuse!

À l'origine de la crise qui frappe durement la Grèce, il y a un point qui est passé absolument sous silence par toute la presse: c'est la cupidité des dirigeants politiques grecs. La Grèce est en fait exploitée depuis longtemps par un petit quarteron de politiques agissant à leur profit dans un cadre familial. Pour consolider leur pouvoir et la richesse personnelle qui s'ensuit, ils ont pratiqué ce que l'on appelle pudiquement le « clientélisme politique » et ont donc recruté des cohortes de fonctionnaires ou de quasi fonctionnaires. Résultat: 70% des Grecs vivent aux dépens de l'État au lieu de créer de la richesse comme ils pourraient le faire. Il est facile de comprendre que la découverte brutale de cette réalité avec la perspective de perdre leurs avantages soit terrifiante pour ces millions de gens. Ce pays est loin d'être le seul à souffrir d'un excès de fonctionnarisation.

Finalement, il a été victime d'une opération malhonnête qui conduit la population à une double punition. La première est que le peuple grec n'a pas pu s'enrichir normalement en créant de la richesse. La deuxième vient de ce que la sortie est particulièrement cruelle par les remèdes administrés, ce qui conduit aux émeutes dans la rue avec déjà un certain nombre de décès. Cette analyse s'applique avec des nuances diverses à tous les pays européens même aux plus présumés « vertueux ».

En face de cette situation dramatique, qu'elle est la réaction de ce que l'on dénomme avec emphase la communauté internationale? C'est là que se situe la solidarité entre eux des dirigeants politiques des divers pays, laquelle est une des faces cachées de cette communauté internationale. Il ne saurait être question pour les autres d'accuser clairement la classe politique grecque, car ce serait risquer le boomerang sur ce qui se passe, sauf exception, dans les grandes démocraties occidentales surtout les plus prétentieuses.

Les mesures imposées à la Grèce sont purement mathématiques et arbitraires, en s'inspirant de la pratique habituelle du FMI. Jugeant, à juste titre, que les déficits sont insupportables, les prêteurs européens obligent le pays à y porter remède mais sans se préoccuper du tout de la façon dont la potion sera administrée. La potion est une austérité vraiment dramatique pour le peuple grec, sans que soit portée nulle atteinte aux privilèges scandaleux de la classe politique. Il faut ajouter que le secours à la Grèce s'inspire de l'objectif fondamental d'éviter qu'elle sorte de l'euro.

Est-il utile de rappeler que Tocqueville Magazine, dès la création de l'euro, a indiqué non seulement que c'était une création nuisible pour les économies engagées dans cette aventure mais qu'un jour l'euro éclaterait? Comme beaucoup d'économistes partagent cet avis et l'écrivent clairement dans les journaux, quelle est la raison pour laquelle les gouvernements européens veulent absolument éviter cet éclatement? L'on retrouve ici encore la cupidité habituelle des politiques. La communauté européenne avec son satellite l'euro est célèbre dans le monde entier pour l'enrichissement indu et considérable des eurocrates allant jusqu'à des retraites parfaitement scandaleuses. L'éclatement de l'euro mettrait à mal l'Europe et par conséquent la rivière argentée où s'abreuve continuellement cet enrichissement!

L'incendie des dettes vient ces jours-ci de recevoir un coup de vent supplémentaire. Un fond de soutien général aux économies en danger va être créé avec 700 milliards d'emprunt ou de garanties. Les États européens sont tous connus pour leurs déficits publics, même s'il y a quelques différences entre eux. L'enrichissement personnel indu des politiques – surtout du plus haut niveau – est à la fois la cause, le résultat et l'objectif masqué de ces déficits. Au surendettement général, il va donc se surajouter un étage. Les peuples sont évidemment abasourdis devant ce cirque, se rendant compte que le supplice des Danaïdes est leur seule perspective.

Les marchés en économie représentent la vox populi. Il est possible qu'ils se rétablissent provisoirement, mais il est un principe absolu: personne ne peut lutter indéfiniment contre les marchés.

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* Michel de Poncins écrit les flashes du Tocqueville Magazine et est l'auteur de quelques livres.