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					pénétrons plus avant dans un sophisme si accrédité parmi nos 
					législateurs, quoiqu'il soit assez extraordinaire que ce 
					soient précisément ceux qui maintiennent les impôts 
					improductifs (c'est notre hypothèse actuelle) qui leur 
					attribuent notre prétendue infériorité industrielle, pour la 
					racheter ensuite par d'autres impôts et d'autres entraves.
 
 Il me semble évident que 
					la protection aurait pu, sans changer de nature et d'effets, 
					prendre la forme d'une taxe directe prélevée par l'État et 
					distribuée en primes indemnitaires aux industries 
					privilégiées.
 
 Admettons que le fer 
					étranger puisse se vendre sur notre marché à 8 francs et non 
					plus bas, le fer français à 12 francs et non au-dessous.
 
 Dans cette hypothèse, il 
					y a pour l'État deux manières d'assurer le marché national 
					au producteur.
 
 La première, c'est de 
					frapper le fer étranger d'un droit de 5 francs. Il est clair 
					qu'il sera exclu, puisqu'il ne pourrait plus se vendre qu'à 
					13 francs, savoir: 8 francs pour le prix de revient et 5 
					francs pour la taxe, et qu'à ce prix il sera chassé du 
					marché par le fer français, que nous avons supposé être de 
					12 francs. Dans ce cas, l'acheteur, le consommateur aura 
					fait tous les frais de la protection.
 
 L'État aurait pu encore 
					imposer au public une taxe de 5 francs et la donner en prime 
					au maître de forge. L'effet protecteur eût été le même. Le 
					fer étranger eût été également exclu; car notre maître de 
					forge aurait vendu à 7 francs, ce qui, avec les 5 francs de 
					prime, lui ferait son prix rémunérateur de 12 francs. Mais 
					en présence du fer à 7 francs, l'étranger ne pourrait livrer 
					le sien à 8.
 
 Je ne puis voir entre ces 
					deux systèmes qu'une seule différence: le principe est le 
					même, l'effet est le même; seulement dans un cas la 
					protection est payée par quelques-uns, dans l'autre par 
					tous.
 
 J'avoue franchement ma 
					prédilection pour le second système. Il me semble plus 
					juste, plus économique et plus loyal: plus juste, parce que 
					si la société veut faire des largesses à quelques-uns de ses 
					membres, il faut que tous y contribuent; plus économique, 
					parce qu'il épargnerait beaucoup de frais de perception, et 
					ferait disparaître beaucoup d'entraves; plus loyal enfin, 
					parce que le public verrait clair dans l'opération et 
					saurait ce qu'on lui fait faire.
 
 Mais si le système 
					protecteur eût pris cette forme, ne serait-ce pas une chose 
					assez risible que d'entendre dire: « Nous payons de lourdes 
					taxes pour l'armée, la marine, la justice, les travaux 
					publics, l'université, la dette, etc.; cela passe un 
					milliard. C'est pourquoi il serait bon que l'État nous prit 
					encore un autre milliard pour soulager ces pauvres maîtres 
					de forges, ces pauvres actionnaires d'Anzin, ces malheureux 
					propriétaires de forêts, ces utiles pêcheurs de morue. »
 
 Qu'on y regarde de près, 
					et l'on s'assurera que c'est à cela que se réduit la portée 
					du sophisme que je combats. Vous avez beau faire, messieurs, 
					vous ne pouvez donner de l'argent aux uns qu'en le prenant 
					aux autres. Si vous voulez absolument épuiser le 
					contribuable, à la bonne heure; mais au moins ne le raillez 
					pas, et ne venez pas lui dire: « Je te prends pour compenser 
					ce que je t'ai déjà pris. »
 
 On ne finirait pas si 
					l'on voulait relever tout ce qu'il y a de faux dans ce 
					sophisme. Je me bornerai à trois considérations.
 
 Vous vous prévalez de ce 
					que la France est accablée de taxes, pour en induire qu'il 
					faut protéger telle ou telle industrie. — Mais ces taxes, 
					nous avons à les payer malgré la protection. Si donc une 
					industrie se présente et dit: « Je participe au paiement des 
					taxes; cela élève le prix de revient de mes produits, et je 
					demande qu'un droit protecteur en élève aussi le prix vénal 
					», que demande-t-elle autre chose, si ce n'est de se 
					décharger de la taxe sur le reste de la communauté? Sa 
					prétention est de recouvrer, par l'élévation du prix de ses 
					produits, le montant de sa part de taxes. Or, le total des 
					impôts devant toujours rentrer au Trésor, et la masse ayant 
					à supporter cette élévation de prix, elle paie sa taxe et 
					celle de cette industrie. Mais, dites-vous, on protégera 
					tout le monde. — D'abord cela est impossible; et, cela 
					fut-il possible, où serait le soulagement? Je paierai pour 
					vous, vous paierez pour moi; mais il ne faudra pas moins que 
					la taxe se paie.
 
 Ainsi, vous êtes dupes 
					d'une illusion. Vous voulez payer des taxes pour avoir une 
					armée, une marine, un culte, une université, des juges, des 
					routes, etc., et ensuite vous voulez affranchir de sa part 
					de taxes d'abord une industrie, puis une seconde, puis une 
					troisième, toujours en en répartissant le fardeau sur la 
					masse. Mais vous ne faites rien que créer des complications 
					interminables, sans autre résultat que ces complications 
					elles-mêmes. Prouvez-moi que l'élévation du prix due à la 
					protection retombe sur l'étranger, et je pourrai voir dans 
					votre argument quelque chose de spécieux. Mais s'il est vrai 
					que le public français payait la taxe avant la loi et 
					qu'après la loi il paie à la fois et la protection et la 
					taxe, en vérité, je ne puis voir ce qu'il y gagne.
 
 Mais je vais bien plus 
					loin: je dis que, plus nos impôts sont lourds, plus nous 
					devons nous empresser d'ouvrir nos ports et nos frontières à 
					l'étranger moins grevé que nous. Et pourquoi? Pour lui 
					repasser une plus grande partie de notre fardeau. N'est-ce 
					point un axiome incontestable en économie politique, que les 
					impôts, à la longue, retombent sur le consommateur? Plus 
					donc nos échanges seront multipliés, plus les consommateurs 
					étrangers nous rembourseront de taxes incorporées dans les 
					produits que nous leur vendrons; tandis que nous n'aurions à 
					leur faire, à cet égard, qu'une moindre restitution, 
					puisque, d'après notre hypothèse, leurs produits sont moins 
					grevés que les nôtres.
 
 Enfin, ces lourds impôts 
					dont vous arguez pour justifier le régime prohibitif, vous 
					êtes-vous jamais demandé si ce n'est pas ce régime qui les 
					occasionne? Je voudrais bien qu'on me dit à quoi serviraient 
					les grandes armées permanentes et les puissantes marines 
					militaires si le commerce était libre... Mais ceci regarde 
					les hommes politiques,
 
 Et ne confondons pas, 
					pour trop approfondir, leurs affaires avec les nôtres(2).
 
 
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