Et si l'État cessait de s'ingérer dans les mariages? (Version imprimée)
par Pierre-Guy Veer*
Le Québécois Libre, 15 septembre
2010, No 281.
Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/10/100915-3.html


En novembre 2008, les Californiens ont adopté à une faible majorité la Proposition 8, qui définissait le mariage comme étant l'union d'un homme et d'une femme. Les mariages entre personnes de même sexe, qui n'étaient permis dans cet État que depuis quatre mois, redevenaient donc interdits. Le 4 août dernier, cet amendement à la constitution californienne a toutefois été jugé contraire à la constitution des États-Unis par un juge d'une cour fédérale. La cause est maintenant en appel.

Au début, je me réjouissais grandement de ce jugement rétablissant le droit au mariage entre homosexuels. L'égalité des gens ne doit pas être laissée aux caprices des électeurs. Imaginons un peu si, au lieu de donner une définition arbitraire du mariage, on avait décidé d'interdire les mariages interraciaux. Comme l'a dit Thomas Jefferson: tous les hommes naissent libres et égaux. Le renversement judiciaire de cette proposition est donc un pas vers l'égalité de tous.

Toutefois, avec le recul (et quelques lectures ici et là), je me suis questionné sur le mariage. Pourquoi l'État semble-t-il tellement intéressé à ce que deux personnes se marient?

Aux États-Unis, le système fiscal avantage indûment les couples mariés. Selon Wikipedia, pour l'année 2010, un couple marié remplissant une déclaration conjointe ou une personne veuve ont droit jusqu'au 3e palier d'imposition à deux fois plus d'exemptions de base que les couples qui font des déclarations séparées ou les personnes célibataires, et à 50 % plus de déductions que les heads of household (généralement mais pas exclusivement définis comme des chefs de famille monoparentale).

Au Canada, pour l'année fiscale 2009, on semblait s'intéresser plus à la vie de couple qu'au mariage, en permettant aux couples mariés ET à ceux vivant en «union libre» jusqu'à 9000 $ de déduction de base si l'un des conjoints ne travaille pas. Pas étonnant donc que d'autres personnes veuillent profiter de ce système.

Des tâches régaliennes et rien d'autre

En ce moment, le débat du mariage de conjoints de même sexe accapare trop d'attention. Chez les opposants, on utilise la dictature de la majorité (référendum) pour imposer sa vision. Chez les supporteurs, on utilise la voie politique (pour faire voter ses députés) ou judiciaire (pour contester la définition «traditionnelle» du mariage) pour faire triompher sa vision de la société. Tout cela alors que l'endettement public remonte à des niveaux alarmants...

L'État a trois fonctions fondamentales: assurer la défense de ses citoyens, administrer la justice et s'assurer du respect des droits de propriété. Tout le reste déborde de son mandat, et définir le mariage en fait partie. Pourquoi l'État s'immiscerait-il dans quelque chose d'aussi personnel que l'union de personnes adultes consentantes? Pourquoi accorderait-il des privilèges aux personnes mariées et non aux célibataires, qui le sont par choix ou par la force des choses?

Je lance donc une proposition audacieuse: l'État ne devrait plus reconnaître aucun mariage ni donner d'avantage fiscal aux couples. Ainsi, l'État pourrait davantage se concentrer sur ses vraies tâches, assainir ses finances et ne pas perdre de temps sur des choses aussi futiles. (En Saskatchewan par exemple, le gouvernement Wall tente d'adopter un projet de loi permettant à certains bureaucrates de ne pas accorder de licence de mariage si c'est contre leurs croyances...)

Le système judiciaire s'occuperait de choses vraiment importantes comme les violations au code criminel et les opposants au mariage de même sexe pourraient s'unir dans les Églises de leur choix, dont les pasteurs pourraient marier ou ne pas marier qui leur plaira.

Ne voyant plus d'avantage à recevoir une sanction de l'État, les gens en faveur du mariage de personnes de même sexe se tourneront vers les religions plus libérales ou fondront leur propre religion pour avoir une telle union. Ou ils vivront comme conjoints de fait et préciseront dans leur testament qui hérite de quoi.

Et les personnes voulant s'unir à plus d'une personne pourront le faire aussi. Si l'État n'a effectivement pas sa place dans la chambre à coucher de la nation (dixit Pierre Trudeau), alors ce dernier n'a pas à criminaliser le fait que trois personnes consentantes ou plus puissent s'entendent pour partager leur vie, ce qui est interdit en ce moment au Canada.

Bref, tout le monde serait sur un pied d'égalité, heureux ou malheureux. Chacun vivrait selon ses croyances. Et personne n'envierait son prochain à cause d'avantages fiscaux arbitrairement obtenus.

Note :
J'attire l'attention sur le mot consentant, mis en italique, pour éviter que certaines personnes pensent que je supporte la zoophilie ou la pédophilie.

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* Pierre-Guy Veer est journaliste à l'hebdomadaire fransaskois l'Eau vive, en Saskatchewan.