Montréal, 15 septembre 2010 • No 281

 

Martin Masse est directeur du Québécois Libre.

 

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Défaillance de l'intervention étatique:
la lutte contre le décrochage

 

par Martin Masse

 

          Les économistes illettrés économiques (c'est-à-dire la grande majorité d'entre eux) ont dans leur arsenal théorique le concept bidon de « défaillance du marché » (market failure). Cela signifie que les résultats qu'on observe en laissant les individus libres d'agir et de transiger entre eux comme ils le souhaitent, ne sont pas ceux que l'observateur, de sa tour d'ivoire, aurait souhaité voir.

 

          Ce constat d'échec ne s'appuie cependant sur aucune logique. Dans les cas où le marché fonctionne bien, l'observateur ne peut logiquement porter un jugement de l'extérieur et qualifier d'échec des résultats qu'il n'aime pas de son point de vue subjectif idéaliste, alors que les participants eux-mêmes les ont souhaités. Par ailleurs, presque toujours, le marché en question est faussé par une protection inadéquate des droits de propriétés ou une réglementation étatique qui engendre des distorsions dans les prix et autres signaux, ce qui modifie le comportement des acteurs. On devrait alors parler plutôt de « défaillance de l'intervention étatique », un concept beaucoup moins populaire notamment parce les économistes universitaires sont eux-mêmes des employés de l'État et que ce type de recherche ne favorise pas l'obtention de bourses des fondations publiques.

          Les défaillances de l'intervention étatiques sont pourtant légion et font les manchettes tous les jours. Alors qu'il est impossible pour l'observateur extérieur d'évaluer adéquatement le résultat d'un processus de marché parce qu'il n'a pas d'objectif collectif défini d'avance et qu'on ne peut savoir avec certitude ce qui ressortira de l'interaction spontanée de millions d'individus, les interventions étatiques, elles, sont des cas de laboratoires parfaits. On détermine au départ une série d'objectifs avec des procédures à suivre pour y arriver, on nomme des exécutants, on leur donne des moyens d'actions et on établit un calendrier d'étapes.

          Et qu'est-ce qu'on observe la plupart du temps? Que les objectifs n'ont pas été atteints, ou même que c'est le contraire qui est survenu! Pourquoi? Parce que l'interventionnisme étatique s'appuie sur l'illusion qu'on peut planifier le développement social et économique, alors que les planificateurs n'ont jamais à leur disposition toutes les informations spécifiques nécessaires concernant l'état du système dans son ensemble qu'ils essaient de manipuler, la société étant trop complexe. Ces millions de données informationnelles spécifiques émergent en cours de processus dans un marché libre et il est impossible de les compiler de façon centralisée.

          Les planificateurs s'appuient également sur une vision mécaniste des phénomènes sociaux: on instaure une règle, on pèse sur le piton et hop, ça s'enclenche et tous les rouages se mettent en marche tel que prévu. La réalité, celle des incitations individuelles à agir dans un sens ou dans l'autre par exemple, est bien plus compliquée que cela. Si une partie seulement des processus impliqués se mettent à bouger dans un sens différent de celui prévu, on peut arriver à des résultats diamétralement opposés. C'est la loi des conséquences inattentues.

          Friedrich Hayek appelait cette croyance dans la capacité de contrôler les facteurs sociaux et économiques pour leur faire produire un objectif précis la « présomption fatale » des interventionnistes.

          Un bel exemple de défaillance de l'intervention étatique qui faisait la manchette le 9 septembre dernier est le programme « Agir autrement » de lutte contre le décrochage scolaire en milieu défavorisé du ministère québécois de l'Éducation qui, apprend-on, a mené à des résultats contraires à ceux qu'on visait huit ans et 300 millions de dollars plus tard. Notez le nom du programme: ça fait des décennies que les fonctionnaires du gouvernement du Québec s'amusent à transformer le système d'éducation et pour justifier une autre expérience de manipulation, rien de mieux que de faire à nouveau table rase et recommencer « autrement ».
 

« Les planificateurs s'appuient sur une vision mécaniste des phénomènes sociaux: on instaure une règle, on pèse sur le piton et hop, ça s'enclenche et tous les rouages se mettent en marche tel que prévu. »


          Voici comment une éditorialiste du Devoir résume les résultats du programme, tel que décrits dans un rapport du Groupe de recherche sur les environnements scolaires (GRES) de l'Université de Montréal:

La stratégie de lutte contre le décrochage scolaire Agir autrement, reconduite année après année à fort prix par un ministère de l'Éducation sans boussole, est un échec retentissant. Une véritable catastrophe qui met en lumière l'incapacité de Québec et de son réseau scolaire de penser et mener des réformes à l'école.

Le rapport publié hier par une équipe d'évaluateurs, sous la direction du chercheur Michel Janosz, est dévastateur. Il confirme la faillite du principal programme de lutte contre le décrochage du Québec. Les chercheurs posent des constats préoccupants, qu'ils attribuent en grande partie à l'implantation ratée de la stratégie. On proposait aux écoles de « faire autrement » en espérant que changer les manières de faire allait bonifier le carnet de notes des écoliers. Ce fut pensée magique.

Coincées dans de mauvais plis, la majorité des écoles ont utilisé les sommes octroyées pour faire un peu plus de ce qu'elles faisaient déjà. Résultat? Sur la réussite scolaire, l'effet est nul. Il est même pire que nul: dans les écoles où Agir autrement a été bien expliquée, comprise et implantée, « certains indices pointent même vers une légère détérioration du rendement scolaire en langue d'enseignement et en mathématiques ». Encore? « Il n'y a aucun effet positif de la Stratégie sur la motivation, et même quelques traces d'une détérioration de l'utilité perçue de l'école, de l'attribution du succès à l'effort et de l'engagement scolaire ». Et le coup fatal: « Le risque de décrocher tend à s'accroître chez les élèves qui fréquentent les écoles où la Stratégie a été le mieux implantée. » Là où elle fut le mieux accueillie et réalisée, par rapport à ses objectifs initiaux, la stratégie a donc nui plutôt que d'aider.

          Ne pensez surtout pas que ce constat va mener à une remise en question de la stratégie bureaucratique de transformation constante du système d'éducation publique. Une défaillance de l'intervention étatique n'a jamais pour effet de mener à une ou libéralisation ou une privatisation du secteur en question, mais plutôt à une nouvelle tentative « mieux planifiée » avec un budget supérieur. On peut déjà la voir poindre dans les 13 recommandations du groupe de professeurs du GRES pour rectifier le tir:

Au coeur des recommandations se trouve un appel au ministère et aux commissions scolaires à accroître leur capacité à soutenir le développement d'expertise dans les écoles, à concentrer ce soutien sur la mobilisation du personnel et la mise en oeuvre de pratiques reconnues efficaces. L'établissement d'un partenariat étroit entre les universités et le réseau de l'éducation, à travers la création d'un institut voué au développement de pratiques et au transfert de connaissances, est une des voies proposées pour y parvenir.

          Un nouvel institut avec des bureaucrates, des sociologues, pédagogues et autres logues patentés pour mieux planifier la prochaine expérience de laboratoire à grande échelle de l'État dans ses écoles-éprouvettes: voilà qui devrait enfin mener à des résultats probants!
 

 

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