Montréal, 15 octobre 2010 • No 282

 

Michel de Poncins écrit les flashes du Tocqueville Magazine et est l'auteur de quelques livres.

 

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La nationalisation du bonheur

 

par Michel de Poncins

 

          Le pouvoir en France, pays des droits de l'homme et patati et patata, dans ses prétentions dictatoriales, veut nationaliser le bonheur et il a trouvé un nom: c'est le BNB, ou « Bonheur National Brut ». Le BNN, ou « Bonheur National Net », n'existe pas encore, mais patientons.

 

          Un fait nouveau le confirme. Un document vient d'être publié sur le rapport Stiglitz. Depuis 12 mois, avec l'argent qui nous est pris brutalement, l’Institut national de la statistique et des études économiques (l'Insee) et le Ministère du Développement durable ont engagé des travaux pour mieux prendre en compte dans les statistiques nationales les aspects liés au bien-être et au développement durable. Il est bien précisé que ces travaux ont été menés avec ambition et pragmatisme en complétant des données existantes et en innovant chaque fois que cela était nécessaire. Ce qui est en jeu, c'est bien la comptabilité nationale, bras armé et mensonger de l'idéologie keynésienne.

          Depuis des lustres s'est développée l'idée folle de mesurer la richesse des nations, d'où cette comptabilité nationale qui inflige aux populations la ruine par son existence même. Elle se résume, avec des travaux absolument gigantesques dans chaque pays, à une pyramide de chiffres dont le sommet est le mythique PIB – les gens seraient plus riches si le PIB augmente et encore plus s'il augmente dans son rapport à la population. Sur cette base, avec tous les dédales de la pyramide, les politiques organisent leur pouvoir et manipulent une foule de compteurs devant prétendument agir sur la chimère du PIB. Ils renouvellent ainsi inlassablement leurs promesses de lendemains qui ne chanteront jamais!

          Ce n'est pas ici le lieu d'énumérer toutes les erreurs des calculs de la comptabilité nationale telles que beaucoup d'économistes les dénoncent et telles que nous en avons déjà traité. Cette mensongère comptabilité nationale ruine les populations pour au moins deux raisons.

          La première est son coût absolument extravagant: immensité des statistiques exigées non seulement des entreprises mais aussi des particuliers, services pléthoriques dans tous les pays, idem au niveau des organisations internationales. Personne de sensé ne pourra jamais calculer ce coût tellement il dépasse l'imagination. Il appauvrit massivement les gens par les impôts ou l'endettement nécessaires.

          Un deuxième facteur s'ajoute: c'est l'intervention des politiques déjà signalée. Agissant comme d'habitude selon leur bon plaisir, ils prennent des décisions arbitraires dans le cadre d'une comptabilité pourrie. Ils saccagent ainsi littéralement la richesse générale. La fable internationale des prétendus plans de relance en est une manifestation récente et désastreuse. Un des dommages collatéraux de la chimère de la comptabilité nationale est la confiance que les gens finissent par lui accorder – ils célèbrent même les politiques qui la manipulent! Ce n'est pas le cas unique dans l'histoire, bien au contraire, où les victimes vénèrent les responsables de leurs malheurs.

          Les thuriféraires de la chimère se rendent bien compte justement de la vanité de ces travaux. C'est alors que, dans certains pays, les chiffres sortis par leurs bureaux ne leur conviennent plus – malgré toutes les manipulations – et ils rêvent d'un autre indice. Il existe déjà l'Indice du développement humain, ou IDH, et il s'ajouterait le « Bonheur National Brut »
 

« Il est surprenant de remarquer que cette véritable horreur se développe sous nos yeux sans que personne apparemment ne proteste. L'effet de ruine est au rendez-vous et le BNB est déjà, bien qu'il soit récent, un facteur de paupérisation. »


Les prétendus critères

          Puisque l'on se dirige vers un BNB, cela vaut la peine d'informer les futures victimes des paramètres « innovants » de leur futur bonheur.

          Cette année, les calculateurs ont mesuré l'effet redistributif du financement public de la santé et de l'éducation – personne de sensé ne peut imaginer valider de tels calculs. Ils se sont aussi penchés sur les émissions de CO2, y compris celles générées à l'étranger pour notre consommation nationale –, c'est vraiment la superposition des chimères. Serons-nous plus heureux si la lointaine Chine émet moins de CO2? Sans blague. L'on agite « l'empreinte carbone » de la demande finale de chaque Français. Une batterie de 15 indicateurs a été édifiée pour apprécier la stratégie nationale de développement durable!

          Armons-nous de courage malgré le ridicule pour continuer l'énumération. L'Insee va publier un dossier sur les conditions de vie dans lequel il mesurera la qualité de la vie des ménages en prenant en compte les différentes dimensions préconisées dans le fameux rapport: les conditions de vie matérielle comme le logement et les restrictions de consommation, les contraintes financières, la santé, l'éducation, les conditions de travail, la participation à la vie publique, les contacts avec les autres, l'insécurité physique et économique.

          Pour synthétiser les différentes dimensions, il sera proposé un indicateur de bien-être qui sera sans doute un composant du BNB. Dans cette tâche titanesque, rien ne sera jamais sûr. Il faudra distinguer suivant que le ménage habite en zone urbaine ou rurale, mais aussi les évolutions sur 10 ans du pouvoir d'achat des différentes catégories de ménages. Pour couronner le tout, il y aura un « indicateur territorial de potentiel de biodiversité » et également une première estimation de « l'empreinte eau » de la France. Ouf. L'énumération de ces critères montre bien que l'on est en plein arbitraire.

          Bientôt, sans doute pour le consolider, le BNB sera intégré dans les joutes électorales.

          Dans l'empire Inca, les statisticiens étaient les auxiliaires indispensables de la dictature et opéraient avec des cordelettes. Nos statisticiens travaillent avec des techniques plus perfectionnées pour alimenter le Moloch. Elles sont si perfectionnées et reposent sur tant de chimères que toute signification intelligente n'existe plus.

Une véritable horreur

          Il est surprenant de remarquer que cette véritable horreur se développe sous nos yeux sans que personne apparemment ne proteste. L'effet de ruine est au rendez-vous et le BNB est déjà, bien qu'il soit récent, un facteur de paupérisation. Dans cette résignation, l'on retrouve évidemment l'influence délétère de l'éducation nationale et la propagande gouvernementale avec une presse très largement assise au banquet républicain.

          Si la pyramide de ces chimères continue à grandir en s'enchevêtrant, il faudra un ministre du Bonheur traquant le bonheur partout alors que d'autres chassent le PIB lequel se dérobe comme dans un mirage.

          Faudra-t-il lancer une pétition pour privatiser le bonheur?

          Chacun le cherche où il veut. Certains se lient volontairement par des voeux pour le trouver dans la contemplation immobile qu'ils pratiquent dans la cellule de leur coeur. D'autres le trouvent au contraire dans le feu d'un activisme perpétuel quitte à supporter les brûlures inévitables. Certains autres encore cultivent tout simplement leur jardin.

          Le trait commun est que tous puissent le recevoir ou le créer librement en échappant à l'arbitraire d'un État omnipotent.
 

 

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