Crise de la dette : l'étatisme américain à l'heure des comptes (Version imprimée)
par Jean-Hugho Lapointe*
Le Québécois Libre, 15 septembre 2011, No 292.

Link: http://www.quebecoislibre.org/11/110915-14.html


Il y a quelques semaines avait lieu le 40e anniversaire du « Nixon Shock », moment où Nixon mit subitement fin aux accords de Bretton Woods lors d’une allocution télévisée dramatique. Cette décision a constitué un tournant majeur vers la problématique d’une dette insoutenable avec laquelle doit aujourd’hui composer l’Occident.

Sous ce système monétaire international instauré suite à la Deuxième Guerre mondiale, le dollar américain était accepté comme monnaie de réserve à travers le monde, avec la garantie d’être échangeable contre de l’or à hauteur de 35$ l’once. Cette convertibilité du dollar en or devait assurer une certaine stabilité en protégeant les autres pays contre l’éventualité où Washington entreprendrait d’imprimer des dollars au point de dévaluer ceux-ci.

Or, la guerre du Viêt-Nam et les grands programmes sociaux de Lyndon Johnson ayant justement forcé l’impression soutenue de dollars pour leur financement, l’inflation s’accéléra et les partenaires commerciaux des États-Unis demandèrent de convertir leurs dollars, mettant sous pression les réserves d’or américaines. C’est ce que fit la France de Charles De Gaulle, conseillée par l’économiste Jacques Rueff. Nixon fut éventuellement contraint soit de réduire les dépenses de l’État, soit de mettre fin à la convertibilité du dollar en or. Il opta pour la seconde option et, le 15 août 1971, le dollar américain devint une monnaie purement fiduciaire, permettant ainsi de diluer sa valeur à un rythme encore plus rapide, tant que le monde accorderait sa confiance au gouvernement américain.

Si les accords de Bretton Woods étaient imparfaits et n’ont pu empêcher la poursuite de politiques inflationnistes pour financer un État sans cesse grandissant, son abolition a littéralement permis d’éliminer les dernières contraintes. Il aura fallu hausser les taux d’intérêts vers les 20% afin de restaurer la confiance et de freiner l’inflation massive qui en résulta dans les années 1970. Or, comme le veut l’adage, chassez le naturel et il revient au galop. L’État soufrant d’une addiction à la dépense, l’endettement n’a jamais vraiment cessé de croître. Cette tendance s’est rapidement accélérée sous les gouvernements Bush et Obama, de connivence avec une Réserve fédérale de plus en plus accommodante.

Maintenant engagés dans de multiples guerres nuisibles, dans des sauvetages de banques et d’entreprises ainsi que dans des programmes sociaux dont les coûts sont en croissance exponentielle, les États-Unis sont passés d’un surplus budgétaire en 2001 à un déficit de 450 milliards en 2008, qui atteint 1600 milliards aujourd’hui. Quant à la dette publique, d’environ 6 billions (6 000 milliards) en 2002, elle est maintenant de plus de 14 billions et on projette qu’elle atteindra plus de 24 billions d’ici 2015. Ce montant ne comptabilise même pas les obligations de l’État au titre des programmes de sécurité sociale, de Medicare et de Medicaid. Certains estiment que ces obligations représentent plus de 140 billions, échappant à tout entendement(1).

À la lumière de ces faits, il devient tautologique de dire que la capacité des États-Unis à rembourser leur dette est douteuse, comme c’est le cas d’un nombre croissant de pays en Europe. Le danger supplémentaire réside dans le fait que le billet vert sert toujours de réserve mondiale, que sa détention comme valeur est donc étendue, et que son échec implique des scénarios lourds de conséquences.

Le plan de relèvement du plafond de la dette américaine ne s’attaquait pas sérieusement au problème des dépenses, comme le soulignait bien timidement l’agence Standard & Poor’s lors de sa décote. Ce plan ne fera que reporter l’échéance d’un défaut de paiement à plus tard, probablement sous la forme d’une lente dévaluation camouflée (pour reprendre les mots de Jeffrey Garten(2)), permettant ainsi à Washington de poursuivre le processus d’expansion monétaire encore quelque temps pour financer ses engagements.

Chose certaine, on ne peut résoudre un problème d’endettement en empruntant davantage, et le défaut de paiement s’opèrera vraisemblablement aux dépens des citoyens ordinaires par le truchement de l’impôt le plus sournois, l’inflation, alors qu’ils verront leur pouvoir d’achat diminuer au fur et à mesure que la valeur du dollar est diluée.

On ne peut plus nier que la crise des dettes souveraines sévissant des deux côtés de l’Atlantique résulte de la propension chronique de l’État à dépenser et, ultimement, d’une conception gonflée du rôle propre de l’État dans une société libre, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses frontières.

Les États-Unis et l’Europe sont engagés dans un processus de dévaluation de leurs monnaies afin de maintenir leurs rythmes de dépense et d’endettement respectifs, ce qui consiste en un défaut de paiement technique car les créances sont alors remboursées avec des billets dévalués. Le système monétaire international actuel est de plus en plus fragile, comme l’indique le prix de l’or, et est appelé à changer à nouveau.

Cette gouvernance irresponsable qui dure depuis trop longtemps et qui creuse l’écart entre riches et pauvres sous le couvert de modèles inflationnistes s’écrasera inévitablement contre les rochers des lois économiques. Souhaitons qu’à son dénouement, nous aurons au moins pu nous défaire de l’une des plus grandes lubies du 20e siècle dont nous avons hérité, à savoir qu’il est possible d’emprunter ou de légiférer notre voie vers la prospérité.

Notes

1. Le danger avec ces ordres de grandeur est de voir le citoyen y perdre ses repères et qu’il en arrive à banaliser ou à ignorer les discussions s’y rapportant. À cet effet, voir l’excellent billet « À quoi peut bien ressembler un billion de dollars? », Le Blogue du QL, 7 octobre 2009.
2. Garten, J., « We Must Get Ready For A Weak-Dollar World », Financial Times, 29 novembre 2009. Jeffrey Garten a notamment servi sous les gouvernements Nixon, Ford, Carter et Clinton.

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* Jean-Hugho Lapointe est avocat. Il détient un certificat en administration des affaires de l'Université Laval.