Montréal, 15 mars 2012 • No 298

 

Daniel Jagodzinski est un « vieil et récent immigré (de France) de 62 ans », DJ, médecin spécialiste ainsi que licencié en philosophie, qui a choisi de s'établir à Montréal avec sa femme et sa fille.

 

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1789: suite et fin?

 

par Daniel Jagodzinski

 

          Durant trois siècles, la conquête de l’égalité des droits des citoyens a constitué la base des régimes démocratiques. Les Français, ainsi que le notait déjà Tocqueville, sont pourtant moins attachés à la liberté ainsi garantie qu’au nivellement égalitaire des moyens. Depuis, les penseurs d’inspiration marxiste ont implanté l’idée que la fin des privilèges de la naissance a surtout servi les intérêts de la bourgeoisie montante et que cette dernière a été la grande gagnante de la Terreur.

 

          Le peuple, comme toujours, n’aurait été qu’un instrument de prise du pouvoir et, en définitive, le dindon de la farce. La révolution industrielle des deux siècles suivants aurait créé une forme moderne d’esclavage par l’exploitation éhontée des pauvres et provoqué de nouvelles révolutions dont le slogan le plus célèbre était: « prolétaires de tous pays unissez-vous! »

          Un cri de haine (« je n’aime pas les riches ») et l’annonce de la spoliation des nantis servent aujourd’hui de programme à une candidature présidentielle et de bannière de ralliement à une majorité d’électeurs en France. Bien que la majorité des citoyens conviennent que la spoliation envisagée ne règlera aucun problème économique, ni ne sera garante de la justice sociale, le désir de punir les riches l’emporte comme remède à la frustration, au mépris de l’intelligence, de la justice et de la démocratie. La raison a déserté le débat.
 

Détruire les profiteurs

          Les indignés, les syndicats, les fonctionnaires, les exclus (immigrés, chômeurs, etc.) ne sont plus des démocrates. Il s’agit pour eux d’achever ce qui a commencé en 1789 et de détruire non plus l’aristocratie, désormais inexistante, mais les « profiteurs » qui auraient capté à leur seul profit le bien légitime du peuple. Rappelons combien fréquentes ont été dans l’histoire les situations où le peuple a lui-même choisi la tyrannie comme le régime le plus apte à garantir ses intérêts et à renverser les « puissants ».

          Mais qui sont les vrais profiteurs, qui refusent de renoncer à leurs privilèges? Les riches? Le seuil de la richesse se situe, selon François Hollande, à 4 000€/mois pour un couple avec deux enfants – lui-même percevant des revenus de 36 000 €/mois. Ce seuil rend floues les frontières de la richesse (ce qui permettra à l’avenir d’élargir considérablement la cible) et accroît considérablement le nombre de « profiteurs » potentiels… dont beaucoup soutiennent cependant le candidat du Parti socialiste. Car le discours socialiste sur l’argent soi-disant détourné n’est en rien une tentative pour résoudre le problème de la dette française en appelant chacun à se serrer la ceinture, mais apparaît plutôt comme une tentative de refonder la nation sur un mode patriotique. Il s’agit d’un combat avant tout moral.

          Hollande lui-même avoue crûment que sa proposition de taxer à 75% les revenus dépassant 1 million €/an (à quoi s’ajoutent la CSG – contribution sociale généralisée – et l’ISF – impôt sur la fortune –, faisant passer la taxation au-dessus des 100%, c'est-à-dire un montant confiscatoire) n’a pas pour but de rapporter de l’argent (tout au plus 200 millions d’euros d’après les services fiscaux) mais d’obliger les nantis à afficher leur patriotisme car, selon une logique marxiste bien connue: « l’argent n’a pas de patrie ».

          Les riches, ayant remplacé les aristocrates dans l’imaginaire populaire, sont de mauvais Français car ils défendent leurs privilèges, pérennisant ainsi l’injustice de la fortune. Ils tentent de se dérober à leurs devoirs, ces derniers consistant essentiellement à contribuer aux droits acquis des pauvres, et sont toujours prêts à trahir la patrie en devenant des apatrides. Les moins riches… n’ont tout simplement pas les moyens de s’exiler.

          La réalité est plus complexe. Les pauvres (et moins encore les immigrés qui affluent sans cesse de régions lointaines ) n’ont pas le monopole du patriotisme, à moins qu’il ne s’agisse de témoigner de leur désir de profiter des avantages de la protection sociale en France. Les riches, eux, sont, hors la fonction publique, de grands pourvoyeurs d’emploi et contribuent par leurs activités et leurs impôts à la prospérité de la nation. Ils sont tout autant que les autres attachés à leur pays et c’est leur faire un ridicule procès que de les dépeindre comme des « rois fainéants » en vacances perpétuelles aux frais du peuple. Loin d’être de simples profiteurs, même les riches travaillent aujourd’hui, ce qui ne leur laisse pas davantage de loisir qu’aux autres pour se cultiver. (Cela  explique sans doute pourquoi le mécénat artistique tant prisé des riches est aussi médiocre dans ses choix.)
 

« Sur ce terrain ne peuvent germer les idées libertariennes. Comment les faire passer à des générations droguées par l’État-providence et décérébrées par des décennies d’éducation aux variantes de la rectitude politique que sont l’altermondialisme, le différentialisme, le relativisme et la justice comprise comme l’égalité nécessaire des situations? »


          Mais surtout, les riches sont une caste en voie de disparition en France où le droit de propriété est sans arrêt rogné par les lois. Par exemple, le fisc favorise, par le bais de l’impôt sur les successions, le rachat des sociétés familiales par de grands groupes internationaux ce qui tend à faire disparaître les dynasties fortunées. Les milliardaires étrangers sont aujourd’hui les seuls à acquérir du patrimoine immobilier de luxe en France. Faudra-t-il aussi chasser ces gens-là?
 

Une masse de profiteurs anonymes

          Certes, la masse des « profiteurs d’en bas » (chômeurs, immigrés, étudiants indignés, allocataires d’aides diverses, etc.) est en expansion constante grâce à une politique d’assistance poursuivie depuis des dizaines d’années. Le fait qu’elle touche à présent ses limites rend la situation explosive.

          On ne doit pas oublier non plus toute la fonction publique, pléthorique, dont le salaire moyen dépasse celui des salariés du privé, avec en prime la sécurité de l’emploi à vie et des avantages multiples, dont le moindre n’est pas une retraite quasiment à taux plein tranchant singulièrement avec la perte de revenus subies par les salariés du privés. Le budget de la fonction publique atteint en France 46% du PIB.

          Le slogan du « toujours plus » qui stigmatise les riches s’applique en fait avec plus de justesse à cette masse de profiteurs anonymes, dans un pays où 80% de la jeunesse rêve de devenir fonctionnaire et où le travail est déconsidéré car il ne peut mener à la richesse. Un déni du réel a pris le pas sur l’honnêteté intellectuelle et la conscience claire de ce qu’est la démocratie. Sa perversion politique la retourne à présent contre elle-même.

          Sur ce terrain ne peuvent germer les idées libertariennes. Comment les faire passer à des générations droguées par l’État-providence et décérébrées par des décennies d’éducation aux variantes de la rectitude politique que sont l’altermondialisme, le différentialisme, le relativisme et la justice comprise comme l’égalité nécessaire des situations? Il est plus simple de décréter la parité financière de tous et le retour en grâce du système communiste.

          Il est difficile de démêler l’écheveau de la chronologie des événements et de la logique des faits qui a conduit la France dans sa configuration actuelle. Lâcheté des élites, certes, mais aussi irrationalité de la masse, éduquée à tout s’expliquer par sa position victimaire, à chercher sans fin des coupables et à couper toujours de nouvelles têtes au gré des modes et des limites toujours extensibles de la notion de richesse.

          Nul doute que lorsque François Hollande sera élu, les conséquences de son mandat seront dramatiques et que l’Europe risque de ne pas y survivre. La France non plus d’ailleurs… mais je parle de la France éternelle, celle d’avant.
 

 

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