Montréal, 15 août 2012 • No 302

 

Pierre-Guy Veer est journaliste indépendant.

 

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Les conséquences négatives
de l'imposition de l'égalité

 

par Pierre-Guy Veer

 

          Les gens qui ont des opinions de gauche (qui veulent plus d'intervention du gouvernement dans l'économie, principalement) adorent l'égalité. Pour eux, la plupart de nos problèmes seraient réglés si nous étions tous égaux. Mais égaux comment? En intelligence? Je ne crois pas qu'ils veuillent que nous soyons des clones. Serait-ce plutôt sur le plan matériel (en termes de richesse, ressources, opportunités)? Si tel est le cas, alors cela soulève de nombreux problèmes. Non seulement existe-t-il plusieurs conceptions de l'égalité pour la gauche, mais en plus, elles sont mutuellement incompatibles.

 

          Il y a tout d'abord l'égalité la plus populaire: celle des richesses. Pour les promoteurs de ce type d'égalité, l'humanité se porterait tellement mieux si nous pouvions tous vivre également bien avec un salaire similaire et avoir des vies mieux remplies.

          Imposer l'égalité des richesses entraîne toutefois plusieurs conséquences. En premier lieu, on éliminerait les incitations à se dépasser. En effet, même si on fait abstraction du fait que leur profession est cartellisée, les médecins reçoivent nécessairement un salaire plus élevé que les concierges à cause des nombreuses années d'étude et de formation nécessaires, sans compter tout le stress et les dangers reliés à la profession. Vouloir égaliser les salaires vers le bas découragerait les futurs médecins d'entreprendre leur carrière, tandis que les égaliser vers le haut ferait exploser les couts de l'entretien ménager.

          Ensuite, la seule mesure qu'on pourrait qualifier d'objective pour le bien-être humain est la satisfaction des désirs. Malgré leur écart titanesque de revenus, le Dalaï-lama et Bill Gates semblent relativement satisfaits de leur vie. A-t-on vraiment d'un jet privé, d'un écran de 60 pouces et d'un ordinateur dernier cri pour être heureux? Mais encore là, la satisfaction des désirs pose problème. Que doit-on faire si une personne a des désirs très dangereux (meurtre, drogues)? Aussi, à supposer qu'il soit possible de vraiment égaliser le niveau de richesse, que doit-on faire si quelqu'un dilapide son argent au casino? La société devrait-elle encore l'aider?

Égaliser les ressources

          D'une façon similaire à l'égalité des richesses, certaines personnes préfèreraient plutôt que les gens soient égaux dans les ressources qu'ils détiennent. Une fois cette égalité réalisée, les gens se débrouilleraient.

          Encore là, ce type d'égalité pose problème. À l'exception des ressources gratuites de la nature (soleil, air, pluie), tout ce que nous consommons a été transformé d’une façon ou une autre par les humains. Vouloir distribuer ces ressources « également » pour tous pourrait, tout comme une égalisation salariale vers le bas entre médecins et concierges, décourager ladite production. Sans compter qu'on n'a pas tous les mêmes habiletés avec les ressources qu'on reçoit. Si je recevais une montagne de sable, je m'en servirais au mieux comme terrain de volleyball. Mais dans les mains de ces artistes qui fréquentent les concours de sculptures de sable, cette même montagne deviendrait un objet d’art.

          Parlant de talent, est-ce que leur absence peut compter comme un manque de ressource? Est-ce que le fait que je sois calé en économie et pas en chimie fait de moi une personne « démunie »? C'est pour cette raison que les humains ont créé le commerce: afin de profiter des talents particuliers et des circonstances spécifiques des uns et des autres. Sans cela, nous serions obligés de tout produire nous-mêmes.

Égalité des opportunités

          Une autre sorte d'égalité populaire, surtout aux États-Unis, est celles des opportunités. Si tout le monde avait le même point de départ dans la vie, alors nous serions tous sur un pied d'égalité dans nos chances d'obtenir un emploi, par exemple.

          Encore une fois, on se retrouve avec un manque de balises objectives. Comment peut-on vraiment mesurer les opportunités? Si c'est par le nombre d'options qui s'offre aux gens, alors l'égalité est impossible. En effet, il y aura toujours des emplois – ingénieur, chirurgien, architecte – qui exigeront une longue et pénible formation. Puisque chacun nait avec différentes priorités, et donc avec différents coûts d'opportunité (faire X signifie qu'on ne peut pas faire Y de façon optimale), ce ne sera pas tout le monde qui voudra dépenser autant d'énergie sur une formation aussi ardue.
 

« Si on considère l'égalité morale comme la seule qui soit juste – personne ne peut prétendre avoir une autorité sur qui que ce soit –, alors on doit oublier toute forme d'égalité matérielle. »


          Il semble plus juste de parler de liberté de rechercher et de profiter des opportunités qui s’offrent à nous plutôt que de comparer leur nombre. Si le gouvernement considère tous ses citoyens égaux devant la loi, alors ils sont complètement libres de choisir les emplois qu'ils veulent. Évidemment, certains employeurs pourraient arbitrairement discriminer certaines personnes. Aussi enrageant cela peut-il être, il serait immoral de forcer un employeur d’embaucher une personne qu'il ne veut pas; c'est une question de respect de la propriété privée. S'il est assez inconscient pour refuser d'engager des femmes ou des personnes ayant d’autres caractéristiques malgré leurs compétences, alors tant pis pour lui. D’autres employeurs ayant des pratiques d’embauche non discriminatoires pourront profiter de ces compétences et auront un avantage concurrentiel sur lui.

L'incompatibilité

          Les notions énumérées ci-haut semblent très belles, mais elles sont fortement incompatibles entre elles. En effet, l’égalité des richesses n’empêche pas l’inégalité des ressources et des opportunités, puisque tout le monde n’a pas la même capacité d’utiliser son argent à bon escient. De même, l’égalité des ressources amène une inégalité des richesses et des opportunités, puisque certains sont plus débrouillards que d'autres.

          Elles sont également incompatibles avec une société qui reconnaît la propriété privée, droit sans lequel rien ne se produit, ce qui pousse les gens à se battre entre eux. Vouloir égaliser les richesses, et surtout les ressources, sous-entend que l'on peut s’approprier le fruit du travail (que l'on suppose honnête) d'une personne pour le donner à une autre sans compensation. Si ce n'était pas le gouvernement qui faisait l'opération, on serait clairement en présence de vol. Et tel que mentionné, on ignore si les promoteurs veulent que l'on pallie l'irresponsabilité en donnant toujours plus d'argent ou de ressources. Si tout le monde a droit à du fer, doit-on pallier les pertes de ceux qui le laissent rouiller?

          Par ailleurs, est-ce qu'une égalité matérielle est vraiment nécessaire? A-t-on tous besoin d'une voiture de luxe et d'un château sur le bord de la mer? N’est-il pas plus pertinent de souhaiter que chacun ait un strict minimum pour vivre? Si tel est le cas, alors l'égalité matérielle est futile. Si on a de quoi se nourrir, se vêtir et se loger correctement, à quoi bon vouloir prendre de force les biens des autres? Sans compter qu'en redistribuant la richesse, on appauvrit les masses au lieu de les enrichir. Les dirigeants communistes depuis Deng Xiaoping semblent avoir au moins compris ce principe. D'ailleurs, qu'est-ce qui est préférable: une société où tout le monde gagne 20 000 $ ou une autre où les plus pauvres gagnent au moins 20 000 $ alors que les plus riches gagnent 100 000 $ et plus?

Un problème d'injustice?

          À la base du plaidoyer pour l'égalité semble exister un sentiment d'injustice. On continue de répéter que les riches s'enrichissent aux dépens des pauvres. Si l'affirmation a son fond de vérité dans notre société corporatiste, il demeure néanmoins que prendre aux pauvres pour donner aux riches est tout aussi injuste que de prendre aux riches pour donner aux pauvres. Et si les riches s'enrichissent sans violer les droits des pauvres, où est le problème?

          Si l'inégalité matérielle cause autant de problème, peut-être devrait-on plutôt se tourner vers l'égalité morale, c'est-à-dire dans nos relations avec les autres. Friedrich Hayek plaide pour l'égalité devant la loi, principe très populaire qui a notamment permis d'éliminer plusieurs lois racistes et sexistes. Ce principe a toutefois une faille: on peut tout être également égaux face à un gouvernement autoritaire et interventionniste. Par exemple, de nos jours, avec la multiplication des lois « antiterroristes », il semble que n'importe qui puisse être placé sous écoute ou arrêté sans mandat...

Égalité d'autorité

          Il semblerait alors que le seul type d'égalité qui permette une véritable égalité entre les gens soit une égalité d'autorité, tel qu'imaginé par John Locke. À son époque (fin du 17e siècle), le droit divin était encore la norme; certaines personnes était prédestinées d'avance à en diriger d'autres. Il a complètement défait cet argument dans son Second traité sur le gouvernement, en affirmant que le pouvoir de diriger les autres est réciproque, et donc que nous sommes tous égaux, sans que quiconque puisse assujettir les autres.

          Parallèlement, le philosophe Emmanuel Kant croyait que les meilleures conditions politiques sont celles où chacun peut, tout comme les autres, obliger son prochain à respecter ses droits. Nous avons donc droit à l'intégrité de notre corps, à notre travail et à détenir une propriété. On peut également mutuellement s'obliger à quelque chose au moyen d'un contrat.

          En conclusion, si on considère l'égalité morale comme la seule qui soit juste – personne ne peut prétendre avoir une autorité sur qui que ce soit –, alors on doit oublier toute forme d'égalité matérielle. En effet, affirmer qu'une personne a droit aux fruits d'une autre, c'est affirmer qu'on a l'autorité nécessaire pour effectuer le transfert, et donc que nous sommes inégaux dans notre autorité sur les autres.
 

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