Le Front national, la droitisation de l'UMP et la recomposition de la droite: la réponse libérale (Version imprimée)
par Jean-Louis Caccomo*
Le Québécois Libre, 15 août
2012, No 302
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La plupart des commentateurs et des observateurs de la vie politique française s'accordent à dire que la droite parlementaire est engagée dans un processus de « droitisation », amorcé par le président-candidat Nicolas Sarkozy dans l'entre-deux tours des élections présidentielles, destiné à reconquérir le vote des électeurs du Front national (FN). Cette évolution est illustrée notamment par l'appel du pied explicite de Nadine Morano aux électeurs frontistes ou le désistement du candidat de l'Union pour un Mouvement Populaire (UMP) en faveur du candidat du FN arrivé en tête dans certaines circonscriptions emblématiques.

Ces mouvements de tranchée conduisent à s'interroger sur la question de la proximité voire de la porosité des « valeurs ». D'autant plus que, dans le même temps, l'état-major parisien de l'UMP refuse toute idée et projet d'alliance avec le parti de Marine Le Pen tandis que près de 64 % des militants UMP se disent quant à eux favorables à un tel rapprochement. Cette situation n'est guère tenable à terme et est sans doute le prélude à une recomposition de la droite que Marine Le Pen appelle de ses voeux, à condition qu'elle se fasse autour de son parti.

Dans ce contexte, il nous apparaît primordial aujourd'hui de nous interroger sur les fondements idéologiques du discours du Front national, ne serait-ce que pour évaluer le sens, l'opportunité et l'efficacité d'un tel rapprochement entre une droite dite républicaine et une droite qualifiée d'extrême.

Le fait le plus marquant dans le discours du Front national est sans nul doute sa critique radicale et virulente du libéralisme, plus souvent qualifié d'« ultralibéralisme », ce qui la conduit à s'attaquer à la mondialisation (rebaptisée « mondialisme ») et aux marchés financiers pour prôner un retour au protectionnisme, une sortie de l'euro, une fermeture des frontières et une préférence nationale.

Ce positionnement conduit Marine Le Pen à considérer tous ses ennemis comme des traîtres à la nation et à se présenter comme l'unique défenseur de la patrie. Alors que les libéraux de ce pays peinent à se retrouver sur l'échiquier politique national et que le courant libéral au sein de l'UMP trouve difficilement sa place, les ténors du FN voient des libéraux partout: Sarkozy était le président libéral à abattre, le Parti socialiste (PS) est libéral, l'Europe est libérale.

Comble de cette paranoïa singulière, même le front de gauche et l'extrême-gauche – foncièrement anticapitalistes et antilibéraux – sont taxés d'agents du péril libéral et mondialiste: en étant favorables à la régularisation massive des sans-papiers et à une immigration sans limite, ils seraient les complices objectifs du grand patronat, qui profiterait ainsi d'une main-d'oeuvre bon marché et corvéable à merci faisant concurrence aux travailleurs nationaux.

Ainsi, dans sa posture antilibérale, le discours du Front national se réfère fondamentalement aux théories et idéologies socialistes qui conduisent à préférer l'État-providence à l'État-gendarme cher aux libéraux. Le seul point qui le différencie des partis de gauche est son caractère nationaliste, illustrée par la « préférence nationale », qui ne manque pas de nourrir les réflexes xénophobes parmi les plus fragiles qui se sentent menacés par l'étranger. Dans cette optique, la seule façon de préserver le modèle social français, fondé sur un État-providence volontariste et généreux, c'est de le réserver aux seuls nationaux. Ce discours rejoint en tout point les théories national-socialistes des années 1930 fondées sur la fermeture des nations au nom de l'intérêt de la patrie et de la préservation du modèle social.

On connait aujourd'hui tous les malheurs dans lesquels nous ont entraînés ces discours par le passé. De plus, on se doit de souligner que le discours libéral est à l'exact opposé des thèses frontistes. Au lieu de prôner la fermeture et le repli sur ses frontières au nom de la préservation de l'État-providence, le libéral préfèrera la réforme de l'État-providence au nom de la préservation de l'ouverture au monde qui est un acquis de l'après-Seconde Guerre mondiale.

La question des flux migratoires illustre particulièrement ce débat. Ainsi, pour le Front national, les flux migratoires constituent une menace pour notre modèle social et pour l'équilibre de nos comptes publics. Dans un contexte de crise caractérisé par un chômage important, les travailleurs immigrés vont concurrencer les travailleurs nationaux, exerçant une pression à la baisse des salaires.

De plus, en s'appuyant sur de forts prélèvements eux-mêmes basés sur une fiscalité de nature progressive qui répond à un souci de justice sociale (faire payer plus ceux qui ont le plus de revenus), et finançant des dépenses sociales et de santé réputées les plus généreuses au monde, l'État-providence conduit à nourrir une émigration économique (fuite des talents, expatriation des capitaux, exilés fiscaux) dans le même temps qu'il déclenche une immigration sociale.

La conclusion logique pour le Front national: puisqu'il n'est pas question de remettre en question l'État-providence, et a fortiori, si l'on veut le renforcer, alors il faut limiter les flux migratoires, notamment les flux d'immigration. Pour un libéral, la conclusion est l'exact inverse: puisqu'il n'est pas question de revenir sur l'ouverture des frontières, notamment en raison d'un droit fondamental et sacré qui est la liberté de circulation des individus, alors il faut réformer la fiscalité et l'État-providence dans un contexte d'économie ouverte.

Cet exemple illustre l'opposition radicale entre la philosophie libérale et les thèses du Front national. Il y a peu de valeurs communes entre les deux. Comment cela se traduit-il sur l'échiquier politique français, notamment à la droite de cet échiquier?

La recomposition de la droite est l'occasion historique de réfléchir sur ses fondements idéologiques, ce qui lui permettrait de trancher cette question lancinante de l'opportunité d'un rapprochement avec le Front national incompatible avec un rapprochement avec le centre. Elle serait aussi l'occasion de redécouvrir ses racines libérales et donc de donner toute sa place à un courant libéral s'appuyant sur des valeurs claires et fortes, permettant d'évacuer tout rapprochement ou tentation d'alliance avec le Front national.

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* Jean-Louis Caccomo est Maître de Conférences en Sciences Économiques à l'Université de Perpignan.