Pour le logiciel Libre! (Version imprimée)
par Jean-Philippe L. Risi*
Le Québécois Libre, 15 août
2012, No 302
Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/12/120815-8.html


Malgré les avancées majeures effectuées au cours des vingt dernières années, les logiciels libres sont encore mal connus des principaux intéressés, c’est-à-dire le grand public et les entreprises. En effet, ils restent l’affaire d’enthousiastes de sous-sol, leur conférant malheureusement une mauvaise publicité et une faible chance de contribuer sérieusement à plusieurs débats sociaux.

Qu’est-ce qu’un programme?

Avant de se lancer dans le vif du sujet, il importe de comprendre qu’est-ce un programme informatique. Il s’agit d’une série d’instructions (souvent appelés algorithmes) dont l’objectif est d’effectuer une tâche précise. Par exemple, l’ensemble d’expressions suivantes

          DÉBUT

          AFFICHE « Hello World »

          FIN

pourrait être un programme dont l’objectif est d’afficher la phrase « Hello World » à l’écran. Ces instructions vont généralement êtres écrites à l’aide d’un langage de programmation (tel que le C ou VBA), la résultante étant un fichier texte nommé le code source. Ce dernier pourra être compilé, c’est-à-dire traduit en une série de 0 et 1 qui sera compréhensible et exécutable par un ordinateur. Un programme réel comme un navigateur Web ou un chiffrier n’est en réalité qu’une longue série d’instructions.

La question intéressante est donc: peut-on affirmer qu’un individu peut, de la même façon qu’il possède une maison, être propriétaire une série d’instructions devant exécuter une tâche? Évidemment non, puisque le concept de propriété ne s’applique pas vraiment à ce qu'on appelle en économie des biens publics. Ces derniers ont deux caractéristiques particulières, soit que leur consommation n’entraine pas leur disparition, et qu’il n’est pas vraiment possible de leur donner un prix.

Par exemple, jouer « Au clair de la lune » sur une flute à bec n’empêche personne d’autre d’en faire de même. La recette du pâté chinois peut également être utilisée à répétition sans qu’elle ne disparaisse pour autant, et il est impossible de faire payer les cuisiniers qui en font. Conséquemment, décider qu’un individu « possède » une organisation de notes dans le temps ou d’ingrédients dans un plat est illogique, et ne devrait pas être la norme dans une industrie économiquement cohérente.

Malheureusement, le gouvernement et les politiciens appliquent une réglementation et une rhétorique confuse aux biens publics. Depuis plusieurs années, de nombreux groupes de pression font du lobbying pour obtenir des privilèges et créer des barrières artificielles qui visent à les « privatiser ». En fait, les artistes et Mosanto possèdent le même modus operandi, c’est-à-dire obtenir des droits d’auteurs et des brevets pour conserver un pouvoir économique et des modèles d’affaires inadaptés.

Les licences d’utilisation pour les logiciels proviennent de la même logique. Il existe toute une série de lois imposant des sanctions très sévères aux individus qui brisent les licences d’utilisation de logiciels propriétaires ou encore les téléchargent sur le Web. Qui plus est, le processus d’installation d’un programme demande généralement à l’utilisateur d’accepter toutes sortes de contraintes, utilisant ainsi le droit contractuel pour que le tout soit légitime. D’un point de vue libertarien, cette façon de faire n’est donc pas nécessairement condamnable, mais reste discutable.

Le logiciel Libre

Afin de faire concurrence aux lois, Richard Stallman, physicien de formation, a laissé tomber en 1984 son emploi au MIT pour se lancer à temps plein dans le projet GNU et la Free Software Foundation. C’est en 1989 que la première licence dite « libre » (GNU GPL) a vu le jour, une véritable solution de rechange au système légal créé par le US Copyright Act de 1976. Ce contrat garantit à l’utilisateur le droit d’utiliser le programme, d’en lire le code source, de le modifier et de le redistribuer à volonté.

Ces conditions sont basées sur les valeurs morales de Stallman et ne prennent pas vraiment racine dans la philosophie libérale classique. En effet, si un programmeur décide de fournir un logiciel sans le code source, c’est son affaire ‒ un peu comme Coke qui vend des boissons sans pour autant en donner la recette. Ceci étant dit, cette licence était (et reste) un choix valable face aux incohérences véhiculées par les contrats d’utilisation des logiciels propriétaires. De plus, le conflit fondamental avec ce qui est économiquement rationnel, c’est-à-dire permettre la copie, est résolu. D’autre part, le libertarianisme ne promeut pas exclusivement les marchés traditionnels, mais bien toute forme de coopération consensuelle. Finalement, ces efforts auront encouragé la création d’autres types de contrats, notamment les licences MIT et BSD, qui suggèrent des contraintes différentes. Bref, l’embarras du choix!

Il est également important de mentionner que l’idée d’encourager les programmeurs à partager leur code source a eu des impacts sur le développement de nombreux logiciels. Depuis la première licence GPL, des développeurs (souvent bénévoles) ont créé de nombreux projets avec succès. Pensons notamment au navigateur Firefox, à l’outil de création de blogue WordPress ou encore au gestionnaire de base de données MySQL.

Le projet libre ayant eu le plus de succès reste incontestablement Linux, dont l’utilisation croit d’année en année. Linux est un kernel, c’est-à-dire un programme responsable de gérer les relations entre les composantes physiques de l’ordinateur. Par exemple, la majorité des serveurs (les ordinateurs qui servent à héberger des sites Web) utilisent Linux. Les superordinateurs utilisés pour la recherche de haut niveau sont sur Linux. Android, le système d’exploitation des téléphones intelligents de Google, est basé sur Linux.

Et les gouvernements?

Malgré une telle contribution à l'avancement technologique, le gouvernement du Québec n’utilise à peu pas les logiciels libres. Pour faire avancer le dossier, il aura fallu qu’un organisme à but non lucratif (Savoir-faire Linux) poursuive la RRQ en justice pour non-respect des règles d’octroi de contrat. En effet, puisque l’organisme s’était procuré des systèmes informatiques Microsoft sans procéder à un appel d’offre, l’achat de licence fut jugé illégal. Pourtant, ailleurs sur la planète, l’utilisation de Linux devient de plus en plus courante, notamment au ministère américain de la Défense, à la mairie de Munich ou encore au Parlement français.

Fait intéressant, le financement et l’implication des gouvernements envers le logiciel libre restent anecdotiques. Dans le cas de Linux, la majorité des améliorations proviennent surtout d’entreprises privées, d’organismes à but non lucratif ou de bénévoles. Pour ce qui est des entrées de fonds, on remarque que le gros de l’argent provient de dons ou de contrats avec des entreprises privées; par exemple la fondation Mozilla, dont 85% des revenus proviennent d’un contrat avec Google. Comme quoi des projets communautaires peuvent exister sans support de l’État!

Les libertariens devraient promouvoir les logiciels libres, puisqu’ils sont un excellent exemple d’une collaboration volontaire sans vocation de profit. Comme l’explique si bien Linus Torvalds (créateur de Linux), « I do not see open source as some big goody-goody "let's all sing kumbaya around the campfire and make the world a better place." No, open source only really works if everybody is contributing for their own selfish reasons. Now, those selfish reasons by no means need to be about "financial reward," though. »

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* Jean-Philippe L. Risi habite Québec où il est étudiant à l'Université Laval.