Montréal, 15 septembre 2012 • No 303

 

Jean-Philippe L. Risi habite Québec où il est étudiant à l'Université Laval.

 
  OPINION Patagez

Comment devenir une vache sacrée?
Trucs et conseils

 

par Jean-Philippe L. Risi

 

          Puisqu'aucun des trois principaux partis politiques au Québec ne prévoit réduire la taille de l'État et combattre les différentes corporations qui nous gouvernent, autant embarquer dans le train du nombrilisme avec les autres groupes de pression et sucer à qui mieux mieux les mamelles du gouvernemaman. Voici donc des trucs et conseils qui pourront vous aider à entrer dans le pas tant select club des vaches sacrées et devenir un privilégié.

 

Justifiez votre organisme avec du charabia romantico-mystique

          Utilisez par exemple la notion de « droit collectif » pour prouver le bien-fondé de votre existence. Ces droits sont surtout des permissions aux planificateurs sociaux de s'insérer partout; bref, une carte blanche pour piétiner les droits individuels qui ne font pas leur affaire. Parlez donc du « droit à la santé », du « droit à l'éducation », du droit à un service plutôt que du droit de faire quelque chose.

Variante pour veaux déjà gras

          Une autre version du même truc vise à promouvoir notre existence « collective ». Accorder à un regroupement d'individus une vie propre selon un processus arbitraire donne l'impression que vous êtes en faveur du bien-être des autres. Évidemment, cela permet de vous faire passer pour un ange venu d'ailleurs. Ne laissez jamais entendre que votre organisme reste composé d'êtres humains normaux, ayant leurs intérêts propres.

          Et tâchez de rester redevables à d'autres groupes aussi abstraits que le vôtre. Vous oeuvrez avec des bénéficiaires, des Québécois, des festivaliers, des francophones, des organismes, des travailleurs, des femmes, des artistes, au pire des familles, mais jamais au grand jamais pour un individu qui possède des droits.

Si possible, créez une fausse pénurie en offrant votre service gratuitement

          De façon générale, un marché permet de fixer un prix pour lequel la quantité demandée sera égale à la quantité offerte. Autrement, on se retrouve en situation de surplus ou de pénurie, des situations considérées comme étant néfastes... sauf si vous êtes une vache sacrée.

          Vous pouvez par exemple prétendre qu'une pénurie de votre service, visible par ses files d'attente, est en réalité une preuve incontestable de la popularité de votre projet! Prenez exemple sur le Festival d'été de Québec, l'événement estival fort appréciable qui permet de voir une foule d'artistes pour une somme dérisoire. Les organisateurs parlent sur toutes les tribunes de la rapidité avec laquelle s'effectue la vente de billets. Ils ne manquent pas non plus une occasion de se présenter comme des victimes des sites de reventes, mais comme par hasard personne dans l'organisme ne songe à faire le lien entre les deux éléments.

Variante pour veaux déjà gras

          Vous pouvez également utiliser la pénurie sous un autre angle, c'est-à-dire comme une preuve que le gouvernement ne vous subventionne pas assez. Pas besoin d'aller chercher loin dans l'actualité pour en trouver des exemples; pensez aux logements sociaux ou encore au financement du système de santé: le problème, c'est le manque d'argent!

Présentez des justifications économiques boiteuses

          La majorité des Québécois étant des illettrés économiques, parlez des « retombées positives » et des « effets multiplicateurs ». L'idée est de faire croire aux autres que le gouvernement fait pousser l'argent dans les arbres, et que toute dépense effectuée par ce dernier permet aux bénéficiaires directs et indirects d'obtenir des fonds, créant ainsi une croissance économique. Le génie de la chose est que vos adversaires doivent alors expliquer que l'État tire son argent de l'impôt et qu'il faut calculer le coût d'opportunité; bref, en faisant appel à des concepts économiques encore plus abstraits qui ne sont plus enseignés depuis belle lurette. À utiliser si votre entreprise peut « créer des emplois ».

Variante pour veaux déjà gras

          Une famille d'arguments encore plus subtils consiste à expliquer que vos actions servent à corriger des « inefficiences du marché ». Ces dernières étant des cas complexes, vous serez certains d'y perdre une majorité de la population tout en prenant le rôle du sauveur indispensable.
 

« Une famille d'arguments encore plus subtils consiste à expliquer que vos actions servent à corriger des "inefficiences du marché". Ces dernières étant des cas complexes, vous serez certains d'y perdre une majorité de la population tout en prenant le rôle du sauveur indispensable. »


          Songez à la taxe sur l'essence, dont l'objectif serait de réparer un tort environnemental causé à des individus en dehors de la transaction initiale. La justification classique derrière cette intervention est qu'elle permettrait de dédommager les victimes de la pollution (une externalité négative).

          L'intention est bonne, mais sa transformation en plan valide est loin d'être simple. Son application nécessite un calcul précis du coût économique relié au réchauffement climatique causé par la conduite automobile, ce qui est malheureusement infaisable. Qui plus est, l'histoire démontre que les premières taxes sur l'essence datent de bien avant la prise de conscience des problèmes environnementaux, et visaient simplement à trouver des fonds publics additionnels… Bref, camouflez-vous derrière des solutions à des problèmes complexes pour cacher vos intérêts.

Légiférez-vous une armure

          La mission d'un organisme public est généralement décrite dans un code de loi prévu à cet effet. Or, puisque ces lois sont généralement très abstraites, vous pourrez utiliser cette caractéristique à votre avantage pour faire ce que vous voulez sans être sérieusement jugé.

          Prenez par exemple le ministère de la Santé. Selon le code de loi prévu à cet effet, le ministre a comme responsabilité « d'assurer la protection sociale des individus, des familles et des autres groupes ». Cette description est tellement large qu'elle peut vouloir dire n'importe quoi. Même chose au ministère de l'Éducation, où son chef doit « promouvoir l'éducation, le loisir et le sport »; les clubs d'échecs sur Internet font donc partie de sa juridiction… Avec un mandat aussi vaste, votre organisme deviendra obèse en un rien de temps! Songez au fait que les deux postes les plus importants au gouvernement ont sous leur responsabilité des budgets d'environ 45 milliards de dollars (15% du PIB de la province), assez d'argent pour acheter cinq fois Power Corporation au complet toutes les années.

Variante pour veaux déjà gras

          Avoir des mandats mammouths confère également comme avantage d'être difficilement imputable. En effet, il y a peu de chance qu'on essaye de vous évaluer, et même si c'était le cas, l'exercice reste presque impossible. Vous pourrez être un parfait incompétent et causer des dégâts, mais vous resterez personnellement inatteignable.

          Pensez à Jean Charest qui s'auto-octroie la note de 8/10 quant à la gestion de son gouvernement en santé. Sur quel critère se base-t-il? Qu'est-ce qu'un score parfait implique? Historiquement, est-ce qu'un ministre a déjà eu un résultat inférieur à 5/10? De toute façon, les réponses à ces questions importent peu, puisque les lois ne prévoient aucune mesure contre l'incompétence, les déclarations farfelues et la non-atteinte des objectifs.

Exercice d'intégration: les élections

          En théorie, la démocratie devrait permettre aux citoyens de choisir des élus qui empêchent la création de vaches sacrées. Le gouvernement ne devrait pas servir à privilégier qui que ce soit. Sauf qu'en réalité, la majorité des partis vendent des projets à des groupes de pression capables de les mettre au pouvoir. Il suffit d'observer les promesses des différents partis lors des dernières élections pour s'en apercevoir: se distinguent-ils par les idées ou par leur clientèle électorale?
 

 

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