Montréal, 15 septembre 2012 • No 303

 

Grégoire Canlorbe se définit comme un libéral classique, avec des sympathies libertariennes.

 
  OPINION Patagez

L'harmonie spontanée des intérêts

 

par Grégoire Canlorbe

 

          La plupart des gens ont une idée négative du marché libre. À leurs yeux, il se caractérise par des rapports de domination, qu'il est indispensable de corriger dans l'intérêt des « faibles ». Les patrons dominent les salariés, qui doivent leur obéir ou renoncer à leur emploi; les producteurs dominent les consommateurs, qui doivent se contenter des prix proposés. Il est nécessaire que l'État intervienne pour équilibrer les rapports marchands et contrer le pouvoir des « forts ».

 

          À cette vue pessimiste répond le principe de l'harmonie spontanée des intérêts, exposé par l'économiste Frédéric Bastiat au XIXème siècle. À savoir que tout échange volontaire est mutuellement avantageux, dans la mesure où il est précisément volontaire.

          Dans la langue de Bastiat: « L'équivalence des services résulte de l'échange volontaire et du libre débat qui le précède. En d'autres termes, chaque service jeté dans le milieu social vaut autant que tout autre service auquel il fait équilibre, pourvu que toutes les offres et toutes les demandes aient la liberté de se produire, de se comparer, de se discuter. » (Harmonies Économiques, Chapitre XVII)

          En effet, la liberté consiste à ne pas être agressé physiquement en sa personne ni en ses biens. Dans la mesure où vous ne pouvez m'obliger à fournir une prestation ni à céder un bien, vous devez également me proposer une prestation ou un bien, en échange de mes services. En d'autres termes, tant que les individus sont également libres, chacun choisit les offres qu'il soumet et les demandes qu'il exprime: personne n'est contraint de répondre à telle demande ni d'accepter telle offre.

          Ce en quoi un « libre débat » est nécessaire pour accorder les intérêts; « libre débat » qui conclura éventuellement sur un échange effectif.
 

Le marché libre exclut tout échange improductif

          Tout service proposé ne va pas inéluctablement être accepté et faire l'objet d'un échange. L'harmonie spontanée des intérêts ne signifie pas du tout qu'un individu est nécessairement amené à obtenir ce qu'il veut de la part des autres. Pour qu'un échange volontaire ait lieu, il faut, en effet, qu'il soit mutuellement avantageux. À savoir que chaque partenaire accorde plus de valeur à ce qu'il reçoit qu'à ce qu'il donne.

          Supposons que vous vouliez m'acheter une voiture de collection, à laquelle je tiens; malgré l'argent que vous me proposez, je refuse. Il n'y a pas eu échange. Ce qui n'est pas à interpréter comme une lacune du marché libre, lequel n'a pas vocation à satisfaire tous les désirs mais à favoriser les échanges exclusivement productifs.

          En aucun cas, la liberté ne garantit que tout intérêt doit être inéluctablement satisfait. Mais la grande vertu de la liberté, c'est qu'elle incite les individus à définir un terrain d'entente quoiqu'il en coûte, à entraccorder leurs intérêts d'une façon ou d'une autre. Quand la violence est prohibée, les individus n'ont pas d'autre choix que de coopérer et de concilier leurs fins mutuelles. Le marché libre n'est rien qu'un processus dynamique d'amplification et de perfection des échanges volontaires, en sorte qu'ils deviennent toujours plus productifs.
 

Pour satisfaire au mieux leurs propres intérêts, les entrepreneurs doivent rentrer en concurrence dans l'intérêt des employés et des consommateurs

          Le marché libre exclut donc logiquement tout rapport de domination. La coopération volontaire, étant mutuellement avantageuse, ne peut léser aucun acteur.
 

« Si un producteur tire ses prix vers le haut en espérant profiter d'un excès de demande par rapport à son offre, un producteur concurrent va venir alimenter l'offre et faire des bénéfices en proposant des prix plus bas. La situation du consommateur s'arrange nécessairement. »


          La concurrence est la conséquence naturelle de cet état de fait. Si vous malmenez vos salariés ou vos clients, vous risquez de les perdre au profit de vos concurrents, qui n'hésiteront pas à les traiter avec plus d'égard. Face à la concurrence, un employeur ou un producteur n'a pas d'autre choix que de satisfaire au mieux les intérêts de ses partenaires.

          Cela vaut notamment pour les prix et les salaires. Si un producteur tire ses prix vers le haut en espérant profiter d'un excès de demande par rapport à son offre, un producteur concurrent va venir alimenter l'offre et faire des bénéfices en proposant des prix plus bas. La situation du consommateur s'arrange nécessairement. De même, quand un employeur propose des salaires bas pour profiter d'un surplus de main-d'oeuvre, un employeur concurrent va offrir des salaires plus élevés pour attirer les candidats. Là aussi, la situation du salarié s'arrange nécessairement.

          Il est donc faux que salariés et consommateurs soient en position de faiblesse dans un marché libre; bien au contraire, la recherche du profit du côté des entrepreneurs fait qu'ils doivent servir au mieux les intérêts de leurs employés et clients. Ils ne les « dominent » en aucune façon.
 

Il est inutile, voire nuisible d'imposer des contraintes aux entrepreneurs

          Toute mesure visant à équilibrer les échanges en privilégiant les acteurs soi-disant « dominés » est au mieux inutile, puisque le marché libre se suffit à lui-même pour mettre les acteurs sur un pied d'égalité.

          Mais elle est le plus souvent nuisible, en ce sens qu'elle dégrade la situation de tous: les patrons comme les salariés, les producteurs comme les consommateurs. De telles mesures consistent toujours à restreindre la liberté de contracter des parties, supposément dans l'intérêt de la partie « opprimée ». Quand les restrictions sont trop élevées, l'échange devient simplement impossible. Toutes les parties en pâtissent.

          Alors que sur un marché libre, prix et salaires doivent nécessairement entraccorder les intérêts des consommateurs et salariés avec ceux des entrepreneurs, l'intervention de l'État brise ce processus dynamique. Imposer des prix plafonds, c'est condamner un producteur à faire faillite quand il doit vendre ses produits plus chers pour en tirer profit; au final, il renonce à poursuivre sa production et les consommateurs en pâtissent tout autant, puisque les produits ne sont plus en vente. En l'absence de ce contrôle des prix, il aurait pu y avoir un ralentissement plus ou moins accentué de la production pour éviter la pénurie ou une diminution progressive des prix à l'occasion du renforcement de l'offre concurrente. Producteurs et consommateurs auraient accordé leurs intérêts d'une façon ou d'une autre.

          Les méfaits du salaire minimum sont tout aussi éloquents. À moins que sa productivité ne soit supérieure au salaire qu'il exige, un individu va difficilement garder son emploi ou trouver un travail. La liberté de contracter fait qu'un candidat même peu productif et son patron peuvent éventuellement trouver un terrain d'entente, si le candidat en question accepte un salaire suffisamment bas. Cependant, s'il leur est interdit de fixer un salaire en dessous d'un certain seuil, ils ne pourront tout simplement pas trouver de terrain d'entente. Mais le salaire minimum, comme toute restriction à la liberté de contracter, joue également en défaveur des entrepreneurs. Les petits employeurs sont, en effet, désavantagés par le fardeau qu'il impose. Il n'est pas étonnant que Wal-Mart ait milité, il y a quelques années de cela, en faveur d'une hausse du salaire minimum aux États-Unis; en imposant ce poids à ses concurrentes plus petites, la firme pouvait se dispenser d'autant plus des contraintes de la concurrence.

          Pour la plupart des gens, il est contre-intuitif que le marché libre exclut tout rapport de domination et oblige les entrepreneurs à concilier leurs intérêts avec ceux des salariés et consommateurs. Certes, le principe d'une harmonie spontanée des intérêts, présente à tous les niveaux de l'économie, ne saute pas aux yeux. Cette vérité nécessite seulement un minimum d'attention logique.
 

 

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