Pour le droit de déblatérer | Version imprimée
par Pierre-Guy Veer*
Le Québécois Libre, 15 avril 2013, No 310
Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/13/130415-11.html


Chaque année au mois de mars, le gouvernement québécois lance une campagne de pub pour sensibiliser les gens contre l'homophobie. Celle de 2013 vise à mesurer l'ouverture d'esprit des gens face à certaines situations. Au-delà de l'inutilité de cette campagne – le gouvernement n'a pas à utiliser l'argent des impôts pour « aider » l'acceptation de qui que ce soit –, ce qui a surtout retenu l'attention, c'est la réaction de certaines personnes, dont Jeff Fillion, le controversé animateur de radio.

Sur les ondes de sa station satellite – on paie pour l'écouter –, il a ouvertement exposé son malaise à ce que ses enfants voient deux hommes ou deux femmes s'embrasser à la télévision, plaidant que ça devrait être diffusé après 22 h. Il pointe également du doigt certains homosexuels comme Jasmin Roy, président d'une fondation contre l'homophobie, qu'il accuse de jouer les victimes et qu'il qualifie de « lobby rose ». Il n'en fallait pas plus pour que le torrent de la rectitude politique (et des menaces de mort, semble-t-il) déferle de nouveau sur Fillion.

Est-ce que ces paroles étaient déplacées? Sans doute. Est-ce qu'elles montrent une certaine fermeture d'esprit? Peut-être. D'ailleurs, je semble avoir moi-même créé un certain malaise lors de mon passage dans ses studios, quand je lui ai révélé une partie « invisible » de moi-même. A-t-on le droit de rire de ses paroles? Certainement. Avait-il le droit de prononcer ces paroles? Absolument!

« Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous puissiez le dire », disait Voltaire. Combien de personnes sont mortes ou ont été torturées parce qu'elles ont osé parler contre le roi? Veut-on retourner à une époque où seuls les discours épurés et approuvés par le gouvernement peuvent être prononcés? Certains affirment que le Canada s'engage sur cette pente glissante, avec une décision récente de la Cour suprême au sujet d'un pasteur saskatchewannais et de ses dépliants jugés haineux. Cette rectitude ne peut mener qu'à une « bien-pensance » généralisée, pour reprendre les mots de Jacques Brassard.

Elle est encore très présente au Québec, cette bien-pensance, malgré la présence de voix « discordante » comme celles du RLQ et de sites comme Antagoniste ou Le Québécois libre. Pensons seulement à des chroniqueurs comme Richard Martineau et Sophie Durocher qui ont été crucifiés sur la place publique parce qu'ils ont osé s'opposer aux carrés rouges. Ou encore au mouvement de Radio X Écoeuré de payer, qui a rapidement trouvé un adversaire, Écoeuré de penser, venant de gens qui n'ont visiblement aucun problème à se faire piétiner leurs libertés et à se faire voler un pourcentage indécent de leur salaire en taxes et impôts (et dont le niveau d'éducation ne dépasse pas le primaire). Ou à ce « scandale » créé par le magazine Maclean's, qui osait qualifier le Québec de province la plus corrompue – chacun sait que toute critique contre le Québec est un crime de lèse-majesté –, une affirmation que la commission Charbonneau confirme de jour en jour. Ou à cet autre « scandale », dans lequel le député fédéral de Beauce Maxime Bernier a osé remettre en question l'utilité de la liberticide loi 101, ce qui lui a valu de nombreuses attaques et même une invitation au silence.

Non, je ne veux pas vivre dans une telle société. Accepter la liberté d'expression, c'est accepter les vues contraires au siennes, disait Noam Chomsky. Si on les refuse, alors la société stagne.

Assez grand pour se défendre

Je ne veux pas vivre non plus dans une société où les gens lésés dans le passé sont pris en tutelle aujourd'hui afin qu'on force leur acceptation. Jusqu'à l'élection de Claire Kirkland-Casgrain, les femmes au Québec avaient le même statut juridique qu'un enfant. Elle a remédié à la situation, permettant aux femmes d'obtenir enfin l'égalité juridique qu'elles revendiquaient. Malheureusement, certaines féministes n'étaient visiblement pas satisfaites. Maintenant, elles exigent qu'on force les employeurs privés à engager un certain quota de femmes, comme dans la construction. Par contre, je doute qu'elles veuillent faire la même chose pour les hommes dans l'enseignement, les garderies ou les soins infirmiers... S'il y a « si peu » (terme subjectif) de femmes en construction, dans la mécanique automobile ou même en politique, ne serait-ce pas parce qu'elles ne s'y intéressent pas? D'ailleurs, choisir une personne uniquement à cause de son sexe peut parfois donner des choix pour le moins douteux.

La même chose vaut pour les gais. Jusqu'en 1968, c'était un crime passible d'emprisonnement pour deux hommes que de s'embrasser ou de se tenir la main en public. Heureusement, Pierre Trudeau (dans ce qui constitue sans doute la seule action intelligente de sa carrière politique) a mis fin à cette aberration sans base rationnelle. Beaucoup de chemin a été parcouru depuis 45 ans: les gens font leurs sorties du placard sans honte, l'homosexualité est ouvertement discutée dans les écoles, et semble même banale – dans des exercices de démystifications sur le sujet que j'ai faits avec le GRIS-Québec, la majorité des jeunes devant qui je parlais connaissaient une personne gaie –, et les gais « peuvent » maintenant se marier, quoique l'intervention de l'État dans ce domaine soit discutable. Mais pour certains, ça ne semble pas assez.

Je n'irais pas jusqu'à les qualifier de lobby rose, mais ils jouent effectivement les victimes en se plaignant dans les médias au sujet de l'homophobie. Oui, elle doit être dénoncée, mais je refuse qu'on utilise la coercition de l'État pour « corriger » la situation. Seul le temps peut amener l'acceptation et la fin des préjugés. Même après la fin de la ségrégation aux États-Unis il y a environ 50 ans, les Noirs et les mariages interraciaux étaient vus d'un oeil suspicieux; plus maintenant. Toutefois, le forçage de l'égalité dans le mouvement des droits civiques aurait mené certains politiciens à vouloir indirectement maintenir l'inégalité des Noirs pour calmer les peurs de certains, notamment avec la guerre à la drogue.

En conclusion, je défends corps et âme la liberté de Jeff Fillion et de quiconque d'exprimer son « malaise », si irrationnel soit-il, face à l'homosexualité, même si ça me touche directement, ou à quoi que ce soit d'autre qui va à l'encontre de la rectitude politique. Il ne menace ni la vie, ni la propriété de qui que ce soit avec ses paroles et a donc le droit de les prononcer en toute liberté. Évidemment, il doit s'attendre à ce que des gens lui répliquent, ce qui a été abondamment fait. Seul le temps pourra (peut-être) un jour lui faire accepter/mieux tolérer deux hommes qui s'embrassent; forcer le jeu, surtout avec des fonds publics, risque de maintenir son dégoût encore plus longtemps.

----------------------------------------------------------------------------------------------------
* Pierre-Guy Veer est étudiant au bac en économie-politique à l'Université Laval.