Libérez-nous des syndicats! | Version imprimée
par Éric Duhaime*
Le Québécois Libre, 15 avril 2013, No 310
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De progressiste, le syndicat se métamorphose en réactionnaire. Le mouvement syndical au Québec évoquait, il y a un demi-siècle, une organisation de défense des travailleurs. D'une force de changement légitime, rebelle et contestataire, il s'est transformé en privilégié du système. Les syndicats sont véritablement devenus la principale force d'inertie qui aujourd'hui empêche le Québec de se moderniser.

L'animateur et chroniqueur polémiste Éric Duhaime met en lumière dans cet essai une réalité syndicale, économique et politique que l'on doit regarder bien en face, tout en proposant des pistes de solutions constructives. De gauche ou de droite, travailleur ou employeur, syndiqué ou non, sa vision ne laissera personne indifférent et suscitera certainement une importante réflexion.

Nous reproduisons ici l'avant-propos de Libérez-nous des syndicats! avec l'aimable permission de l'auteur.

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De plus en plus de Québécois souhaitent une réforme en profondeur de l'État. L'appétit des gens pour d'importants changements est là. Plusieurs n'ont déjà qu'une seule question aux lèvres: On veut bien revoir de fond en comble notre « modèle », mais par où doit-on commencer?

Par l'attente inacceptable dans notre réseau de la santé? Par le taux de décrochage anormalement élevé de nos jeunes garçons? Par l'explosion des coûts de nos CPE? Par notre endettement public astronomique? Par notre Régie des rentes où notre régime de retraite se vide?

Les chantiers semblent si nombreux à entreprendre qu'on a l'impression qu'il faudrait mettre des cônes oranges pratiquement sur tout ce qui est public et s'éparpiller aux quatre coins de la provinces pour débuter les travaux majeurs de rénovation tant attendus. Le Québec au grand complet ressemblerait à peu près au trajet cauchemardesque auquel sont quotidiennement confrontés les automobilistes montréalais.

Personnellement, je ne suis peut-être pas certain de l'endroit où cette corvée nationale de mise à niveau doit débuter mais une chose est claire: aucun de ces changements ne sera possible tant et aussi longtemps que l'on ne se sera pas débarrassé du pouvoir d'immobilisme donné ces dernières décennies aux grandes centrales syndicales québécoises. Ces syndicats sont devenus les principaux agents du statu quo, grassement financés par des cotisations, contre qui pratiquement personne ne peut aujourd'hui espérer rivaliser.

Le plus bel exemple de ce que je viens d'affirmer est sans doute la réaction du syndicat des enseignants, la CSQ, lorsque le chef de la Coalition Avenir Québec, François Legault, annonça l'année dernière ses intentions en matière d'éducation. Le leader caquiste proposa une évaluation des enseignants, accompagnée d'une hausse salariale de 20%. Sans même consulter un seul membre, le président de la CSQ à l'époque, Réjean Parent, réagissait à chaud pour dénoncer le politicien qui proposait pourtant d'augmenter le salaire des professeurs de 20% et cela uniquement parce que Monsieur Legault a eu le malheur de vouloir identifier les enseignants les moins performants et se donner éventuellement la possibilité de les congédier. Quel sacrilège!

Le message lancé par les Réjean Parent de ce monde est simple: le monopole syndical sera là, partout, pour empêcher la moindre petite remise en cause du statu quo. N'essayez même pas de dorer la pilule et rendre cela avantageux pour les syndiqués. Ne pensez surtout pas toucher à un quelconque de leurs acquis. Les syndicats sont bien assis dessus et entendent les défendre bec et ongle.

Telle une pieuvre, les tentacules des syndicats s'étendent aujourd'hui dans chacune des sphères d'activités de nos vies. Leurs ventouses sont bien agrippées au roc de leurs conventions collectives pour que plus rien ne bouge. Des centaines d'autres organisations tapageuses dépendent aussi maintenant de ces grandes centrales, quand elles ne sont pas carrément leurs créatures. Pensez aux associations étudiantes, féministes, environnementalistes, autochtones ou autres.

Cet essai vous démontrera que partout, ces lobbies obnubilés par leurs seuls privilèges grugent petit à petit notre patrimoine collectif et désagrègent, lentement mais sûrement, notre ciment social.

Nous en avons pourtant tous tellement marre de ce corporatisme rampant et nuisible. Ce fameux « modèle québécois » que les syndicats ont largement contribué à concocter ces dernières décennies n'a finalement plus rien d'un modèle et il est tout sauf québécois. Si c'était vraiment un modèle, d'autres l'imiteraient. Personne, nulle part dans le monde, n'accourt ici pour tenter d'importer notre type d'interventionnisme d'État ou de privilèges consentis aux syndicats. Il ne faut pas non plus avoir en haute considération l'histoire du Québec pour croire qu'il y a quelque chose de typiquement québécois dans la sclérose, le déclin et la dépendance économique causés par la domination du discours syndical et l'obésité de l'État qu'elle a enfantée, comme on le verra dans les prochains chapitres.

Historiquement, nos ancêtres ont défriché ce coin de terre au climat parfois rude et hostile à force de travail. Le Québec dont nous avons hérité et dont on doit être fier est celui qui s'est construit, au fil des générations, à la sueur du front de femmes et d'hommes qui n'attendaient après personne, qui se sont pris en main et qui ont bossé sans compter les heures pour assurer un avenir meilleur à leur progéniture.

Ce qui nous a fait collectivement avancer et ce dont on peut s'enorgueillir, c'est le travail bien fait de monde qui a le coeur à l'ouvrage, certainement pas l'épaisseur des conventions collectives.

On a pourtant l'impression que ce véritable modèle universel de la prospérité humaine ne domine plus dans le paysage québécois ces dernières décennies. Un nouveau « modèle » le concurrence désormais dans le Québec qui se veut moderne et progressiste où tous sont tentés d'utiliser la « solidarité sociale » afin de tirer un profit particulier au détriment de l'intérêt général. Bref, tout le monde cherche à s'en mettre plein les poches, sans se soucier une seconde de ceux et celles qui l'entourent, encore moins de ceux et celles qui suivront.

On évoque abondamment dans notre société un certain corporatisme affairiste qui tente d'enrichir une caste de gras-durs, amis du pouvoir, et cela au détriment de l'intérêt général. Ce serait, selon certains, la source de tous nos maux.

C'est ce que les anglophones appellent judicieusement le « crony capitalism », soit un système économique de copinage entre gens d'affaires et représentants du gouvernement, où se distribuent différentes faveurs. On peut penser spontanément à de nombreux exemples récents dont on a abondamment entendu parler: contributions politiques en échange de subventions, de contrats d'asphaltage, de crédits d'impôts ou même de permis de garderies publiques.

Tout cela est évidemment scandaleux et largement dénoncé quotidiennement sur toutes les tribunes.

Ce qu'on tait cependant trop souvent est le même type de marchandage, mais cette fois-ci entre les politiciens et les syndicalistes: le corporatisme syndical. Pour une raison étrange, ce favoritisme serait aux yeux de certains plus acceptable ou, au minimum, moins immoral. En tous les cas, on en parle pas mal moins et en termes beaucoup plus nuancés.

En fin de compte, on s'imagine que l'homme d'affaires agirait à des fins strictement mercantiles et personnelles alors que le syndicaliste intervient ultimement au nom et dans l'intérêt de ses membres, voire même de la société. Le premier ne serait qu'un vulgaire avare machiavélique, tandis que le second incarnerait un espèce de génie altruiste et démocrate.

À tort, on associe donc le premier type de corporatisme à la droite alors que le second serait de gauche.

Or, dans le contexte québécois actuel, en l'absence quasi-totale de droite religieuse, la polarisation entre la droite et la gauche se résume pratiquement à celle entre ceux, d'une part, qui réclament moins d'État versus ceux, d'autre part, qui en souhaitent davantage.

Par conséquent, pour tous ceux qui croient véritablement à la liberté de marché (ceux qu'on étiquette à droite), les deux sont tout aussi détestables. Les deux pervertissent les bienfaits de l'économie libérale (libéral dans le sens philosophique et surtout pas dans le sens partisan sur la scène politique québécoise ou canadienne). Quant à moi, ce sont deux formes de corporatismes similaires, et j'ajouterais même de gauche puisque, s'il faut les situer sur cet axe, toutes deux partent de la prémisse qu'il faut plus d'interventions de l'État pour améliorer leurs conditions particulières.

Qu'on tente de prendre la population en otage pour l'arnaquer en groupe ou individuellement ne change pas nécessairement grand-chose en terme de résultat: l'honnête citoyen, travailleur et contribuable, s'en troupe dépouillé.

J'en ai marre de me faire dire que je défends les riches et les puissants contre le prolétariat parce que je ne souscris pas aux thèses syndicales dominantes. Mon expérience de vie personnelle m'a maintes fois prouvé exactement le contraire. Je n'oublierai jamais une prise de bec entre Henri Massé, l'ex-président de la FTQ, et Mario Dumont, alors chef de l'ADQ et aussi, à l'époque, mon patron. Monsieur Massé sortait d'une commission parlementaire et en profita pour épingler Mario parce qu'il n'appréciait pas que l'ADQ appuie un projet de loi du gouvernement libéral de l'époque permettant de faciliter la sous-traitance. Il accusa Mario d'être à la solde du patronat, de défendre les puissants contre le pauvre travailleur. La vieille rhétorique syndicale habituelle.

Mario esquiva les insultes et quitta sans faire tout un plat. Il était trop poli et bien élevé pour rappeler à Massé que lui, comme les autres députés de l'Assemblée nationale, gagnait à l'époque 73,500$, comparé à plus de 140,000$ pour le président de la FTQ. Mario aurait aussi pu lui répondre: « C'est ça mon Henri, vas continuer à croire tes fictions en buvant les meilleurs crus au Louis-Hébert (restaurant cossu sur la Grande-Allée, à deux pas de l'Assemblée nationale, bien fréquenté par la gauche caviar) pis demande après à ton chauffeur d'aller te reconduire dans ton char payé par les travailleurs pendant que tu vas cuver ton vin dans l'arrière de ta limousine. Moi, j'ai trois enfants pis une femme qui m'attendent à la maison. Je vais conduire moi-même ma mini-van que j'ai payé avec mon argent pour aller rejoindre sobrement ma famille à Cacouna. »

On se faisait regarder avec dédain par ces syndicalistes-là, snobinards par-dessus le marché, parce qu'on était supposément du côté des « riches ». En réalité, à titre de conseiller principal de Mario, avec ma maîtrise en administration publique et dix ans d'expérience, je gagnais moins qu'un réceptionniste à la FTQ et mon salaire n'équivalait qu'à une fraction du compte de dépense de certains dirigeants syndicaux.

Si au moins ces leaders syndicaux prêchaient par l'exemple, menaient un train de vie modeste et faisaient preuve de grande proximité avec le peuple qu'ils prétendent défendre. On a souvent l'impression, au contraire, qu'ils mènent la vie des gens riches et célèbres. Ça les rend encore plus détestables. Ils ont tous des revenus dans les six chiffres. Ils sont copains-copains avec l'élite financière et politique. Ils en constituent en fait la crème de la crème. Une caricature de la gauche caviar.

Rappelez-vous quand on apprenait par hasard, parce que son fils avait dû être évacué à la suite d'un accident en Cessna, en aout 2008, que l'ex-président de la FTQ, Henri Massé, prenait part à un voyage de pêche dans une pourvoirie de grand luxe dans le Nord du Québec. Il était l'invité de son ami, le grutier Guay. Plusieurs hélicoptères privés participaient aussi à cette expédition.

Plus récemment, on découvrait que Michel Arsenault, l'actuel président de la FTQ, et Jean Lavallée, l'ex-président de la FTQ-construction, avaient passé une semaine de vacances aux Bahamas, sur le luxueux yacht de l'homme d'affaires Tony Accurso. Radio-Canada révélait aussi en décembre 2011 que le même Michel Arsenault avait reçu du même Tony Accurso un cadeau provenant de chez Birks, d'une valeur de plus de 12,000$.

Au même moment, Le Devoir rapportait également que le même Jean Lavallée et un dirigeant du Fonds de solidarité de la FTQ, Louis Bolduc, avaient eu droit à des cures d'amaigrissement dans un centre de santé en Allemagne, aux frais de Tony Accurso toujours.

En connaissez-vous bien des gens qui partent en week-end dans l'hélicoptère d'un ami pour un voyage de pêche dans le Grand Nord avec leur fils, ou qui reçoivent de leurs chums des généreux cadeaux de 12,000$ achetés chez Birks, ou qui ont les moyens de séjourner sur un yacht de 36 mètres qui se loue plus de 55,000$ par semaine, ou qui se payent des cures amaigrissantes dans les meilleurs centres spécialisés en Europe?

Et ça, comme dirait Jean Perron, c'est juste la pointe de l'asperge.

On a eu vent de ces histoires sur le train de vie royal de nos élites syndicales uniquement parce que le fils d'Henri Massé s'est blessé et parce que Tony Accurso s'est retrouvé sous la loupe des médias ces derniers mois. Sinon, on n'en aurait jamais entendu parler. Il y en a combien d'autres des extravagances du même type, toutes payées par des entrepreneurs privilégiés des syndicats ou carrément à même les cotisations syndicales des travailleurs?

Mais le boute du boute, est de voir ces mêmes leaders syndicaux épouser, par exemple, la cause du mouvement Occupy pour dénoncer la concentration de la richesse dans les mains du 1% des plus fortunés et se réclamer du 99%. Quelle hypocrisie! À un moment donné, certains gauchistes devront se rendre à l'évidence et constater que leurs précieux alliés syndicaux SONT le 1%!

En tous les cas, moi, pendant mes quinze années passées dans les officines du pouvoir à la Chambre des communes et à l'Assemblée nationale, jamais n'ai-je vu un lobby aussi riche, aussi omniprésent et aussi puissant. On est loin des prétentions de défense de la veuve et de l'orphelin.

À l'heure où le Québec fait la lumière sur la corruption et la collusion dans l'industrie de la construction et entreprend de grandes réformes en vue de combattre une certaine forme de corporatisme de copinage, le moment semble bien choisi pour s'attaquer à aussi l'autre corporatisme, celui des syndicats, qui asphyxie tout autant, sinon davantage, notre société, comme je m'efforcerai de le démontrer.

Pendant qu'on vit pratiquement au rythme des révélations chocs à la commission Charbonneau, qu'on sort d'une grave crise étudiante largement financée par ces mêmes syndicats et qu'on vient d'élire un nouveau gouvernement du Parti québécois qui pratique ouvertement le copinage avec les syndicats, n'est-ce pas le moment idéal pour nettoyer les écuries québécoises de nos relations de travail? Le « timing » ne m'apparaît jamais avoir été aussi bon!

Quand l'envie m'est venue d'écrire ce deuxième essai, je ne pouvais traiter ou aborder autre chose que cette forme de magouillage. Pas la magouille des honnêtes travailleurs, mais bien celle des leaders syndicalistes à la tête des grandes centrales.

La première personne avec qui j'ai partagé l'idée de ce projet fut ma mère. Pour une raison que je m'explique encore mal, sa réaction fut extrêmement négative. Voici en vrac quelques-unes des phrases qu'elle me lança: « T'as pas peur des représailles? », « Tu t'attaques à bien trop gros », « Veux-tu te faire tuer? », « N'écris pas là-dessus » et « Trouves-toi un autre sujet ».

En fait, la crainte que je lisais alors dans ses yeux était plus grande encore que celle aperçue quelques années plus tôt quand je lui ai annoncé mon intention d'aller travailler à Bagdad pendant la guerre.

À voir le tabou que je soulevais, sans qu'elle le veuille, on ne peut plus involontairement, ma mère venait de me convaincre que je devais absolument écrire ce livre! Il faut briser cette loi du silence, cette Omerta malsaine, et débattre haut et fort sur la place publique, dès maintenant, de ce que sont devenus nos syndicats québécois tout puissants.


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Tout au long de cet essai, vous remarquerez que je n'ai aucune note en bas de page ni même de bibliographie à la fin de l'ouvrage, comme ce fut également le cas de mon premier essai L'État contre les jeunes: Comment les babyboomers ont détourné le système.

Cette absence est délibérée. Je voulais éviter la confusion des genres. Les citations ou références à des études ou des statistiques, tout au long du texte, sont généralement accessoires et secondaires pour étayer mon propos.

J'ai écrit un pamphlet politique, pas une étude scientifique. J'exprime, d'abord et avant tout, mes opinions.

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* Éric Duhaime est animateur de Duhaime Le Midi à CHOI Radio X 91.9 Montréal. Il est également chroniqueur et polémiste pour Le Journal de Montréal et le National Post.