Pourquoi l'État n'a pas à se mêler des arts et de la culture* | Version imprimée
par Thibaut André**
Le Québécois Libre, 15 juin 2013, No 312
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Dans la tête du commun des mortels évoluant dans nos vieilles économies occidentales, il est monnaie courante d'accepter le subventionnement des arts et de la culture via les fonds publics. Les arguments sont toujours les mêmes: sans subventions, comment les arts et la culture pourraient-ils éclore, vivre et survivre? Comment les masses pourraient-elles y avoir accès? Et c'est de sophisme en sophisme que nous naviguons dans le discours prémâché de nos grands défenseurs de l'intervention publique. Pourtant, à la réflexion, les arts et la culture ont-ils toujours été subventionnés?

Pour rappel, les arts et la culture sont au sommet de la pyramide des besoins. Les besoins de base (nourriture, gîte et protection) une fois assurés, l'ascension de notre apprenti-cultureux peut se poursuivre pour, une fois le stade ultime de la désutilité du travail atteint, l'épargne et le budget « arts et culture » constitués, allouer ce surplus à un acte de consommation oisif mais rencontrant néanmoins les préférences de la personne.

En Grèce et Rome antiques, ce privilège était souvent réservé aux aristocrates, gouvernants et riches marchands. Néanmoins, des théâtres de rue et prestations musicales non subventionnés étaient déjà connus. L'utilisation des fonds publics à des fins de distraction du peuple rencontrait déjà un succès de foule et assurait aux gouvernants une relative tranquillité ainsi que l'estime de ses citoyens. Panem et circenses (du pain et des jeux) est un leitmotiv éprouvé qui trouve toujours ses débouchés sous d'autres formes de nos jours.

Ne nous y trompons pas. Derrière des intentions louables se cachent d'autres intentions tout à fait inacceptables et liberticides.

Violation de la propriété privée par extorsion fiscale

Tout a un coût. Rien n'est gratuit. Même l'entrée du concert généreusement financé par monsieur le Bourgmestre. Ce dernier présente en fait la facture aux citoyens via le budget de la municipalité et lève des taxes et impôts locaux pour assurer son financement. Il n'y a pas de secret. Le concert, si vous n'y assistez pas, vous participez quand même au paiement de la douloureuse.

Voyez le budget de la culture dans vos pays respectifs. Ça se chiffre en centaines de millions d'euros et beaucoup de dépenses de la sorte sont masquées dans divers budgets locaux ou supranationaux. Pensez aux carnavals sponsorisés par l'Unesco dont le budget est financé par vos contributions fiscales.

Il faut donc la violence fiscale de l'État pour vous prélever une partie du fruit de votre travail ou encore opérer une ponction sur votre patrimoine pour financer les arts et la culture.

Une démarche anti-démocratique

Le fait d'imposer un événement artistique ou culturel financé par des fonds publics tient compte au mieux des goûts de la majorité, au pire des goûts d'une minorité omnisciente (par exemple, le cinéma francophone pseudo-intello où les frères Dardenne raflent les subventions et les prix du jury, mais n'obtiennent jamais le plébiscite du public vu le faible nombre d'entrées...). Dans les deux cas de figure, les goûts de l'individu ne sont pas pris en compte alors que ce dernier doit participer aux frais. On ne lui a pas accordé la liberté d'exprimer son vote démocratique en dépensant librement l'argent laissé dans sa poche pour des activités culturelles ou artistiques de son choix. Ou en choisissant de ne rien dépenser du tout, ce qui est aussi sa liberté. Même un grand référendum municipal ou national, pour autant qu'il soit possible, ne se montrera pas aussi démocratique que l'exercice des libertés individuelles car il y aura toujours au moins une unité (un individu) exprimant son désaccord sur un projet.

Par ailleurs, il est fréquent de voir que José le bon Wallon préfère dépenser ses petits sous dans un abonnement du Standard plutôt que se rendre à l'exposition d'art dont l'entrée est gratuite (mais pas le financement). Tout simplement parce qu'il se moque peut-être éperdument des arts et de la culture et c'est son droit. Il n'a pas à payer pour cela s'il n'en a pas exprimé la volonté. Dans le même ordre d'idée, sa femme exprimera sa préférence en payant 100 euros pour un ticket de concert de U2 pendant que leur fille optera pour le concert de Lady Gaga, les deux événements payants et non subsidiés ayant à leurs yeux plus de valeur que l'exposition et le concert « gratuits » cités plus haut.

Endettement

On est fauché, endetté jusqu'au cou. Le financement des fonctions régaliennes de l'État et au-delà consomme tellement d'argent que, comme cité plus haut, les dépenses allouées à des besoins non essentiels en deviennent très malsaines.

Les civilisations et les sociétés qui ont pu développer les arts et la culture sont celles qui ont accordé une place prépondérante au commerce et à son libre exercice dans une environnement juridico-fiscal relativement équilibré et respectueux de la propriété d'autrui. Et il n'y a rien d'étonnant à cela. L'accumulation de capital augmente les standards de vie et les individus, une fois délivrés des contraintes liées aux besoins essentiels, peuvent s'adonner à des activités non-économiques. Les arts et la culture, c'est quand on a accumulé de l'épargne, et même un surplus. Ça ne se finance pas via l'endettement public, mais sur fonds propres et privés.

Censure

L'art a bien existé sous les pires dictatures, me rétorquerez-vous! En effet, c'est indéniable. On peut même s'étonner qu'une telle floraison artistique ait eu lieu sous les Borgia à la Renaissance. Toutefois, ne nous y trompons pas: il était courant pour le pouvoir et ses proches à cette époque de faire preuve d'opulence en prenant un artiste prometteur ou confirmé sous son aile, le payant sur sa propre cassette, sans intervention du public. C'est ce qu'on appelle du mécénat.

Je rappellerai à nos zélés défenseurs des arts et de la culture par les fonds publics que nazis et communistes étaient intolérants et lapidaires vis-à-vis de toute forme d'art qui ne soutenait pas leurs théories extravagantes et nauséabondes. Le nazi Joseph Goebbels fit fermer l'école d'architecture Bauhaus en 1935 dans laquelle il trouvait « la plus parfaite expression d'un art dégénéré ». On n'était guère mieux loti en tant qu'artiste de l'autre côté du rideau de fer si les oeuvres ne servaient pas parfaitement l'appareil de propagande.

Avec Staline, les artistes sont entièrement mis au service du régime, ils doivent être syndiqués et être membres du Parti communiste. On ne rigolait pas avec l'art chez les Soviets. Certains auront l'audace de me rappeler l'adhésion de Picasso au Parti communiste espagnol. N'oublions pas que ce dernier, riche de son vivant grâce à son talent et son travail, y voyait là une distraction et un moyen de s'afficher avec son temps. Les communistes, de leur côté, le détestaient, lui et sa peinture abstraite, y voyant néanmoins un formidable outil de propagande.

Quoi qu'il en soit, lorsque l'État se mêle des arts et de la culture, il est évident que seuls ses mignons auront accès aux fonds nécessaires et malheur à ces artistes maudits qui oseront tancer le Dieu-État et ses cerbères.

Conclusion

Il n'y a rien de plus anti-démocratique que l'État se mêlant des arts et de la culture. Si votre production est bonne, mesdames et messieurs les artistes, elle trouvera acquéreur auprès du public qui exprimera ses préférences en dépensant ses deniers épargnés par l'absence de gabegie étatique en la matière. Si votre production ne trouve pas acquéreur, alors remettez-vous en question et changez de registre. Ne maudissez pas le public qui, quoi que vous en pensiez, possède certainement des goûts dans les domaines culturel et artistique.

Le fait de vous détourner de la souveraineté du public et de réclamer le subventionnement et la protection de l'État est un déni de démocratie et une atteinte aux libertés civiles et à la propriété privée d'autrui. Il convient que vous soyez à même d'anticiper les demandes de votre public-cible et d'y répondre en assurant une offre adéquate. De grâce, évitez d'aller pleurnicher auprès des autorités. Nous n'aurons au final qu'une offre raréfiée, peu innovante et coûteuse dans un contexte de spoliation fiscale et de dictature du « bon goût ».

En vous remerciant.

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*Texte publié le 29 mai 2013 sur CONTRARIO. **Thibaut André est belge et travaille dans le secteur financier. Titulaire d'un master en finance de l'ULG-HEC, il est adepte de l'École autrichienne d'économie.