Les Québécois donnent moins | Version imprimée
par Gilles Guénette*
Le Québécois Libre, 15 février 2014, no 319
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Comme on l'a déjà vu dans les pages du QL, plusieurs études le confirment année après année: les Québécois sont les moins généreux au pays. Que ce soient l'Institut Fraser, Épisode, BMO Banque privée Harris ou Statistique Canada qui le disent, les résultats sont les mêmes: c'est au Québec que les organismes de charité reçoivent le moins d'argent. Le don annuel moyen au Québec est de 208 $ alors qu'il est plus du double (446 $) dans le reste du pays.

Et année après année, ils s'en trouvent pour tenter d'expliquer le phénomène en en amenuisant la portée. Par exemple, ce genre de calcul fait toujours sourire Yvan Comeau, titulaire de la Chaire sur la culture philanthropique de l'Université Laval, pouvait-on lire dans un article de La Presse publié au début de l'année. « On dit que les Québécois sont moins généreux. C'est vrai, mais ça s'explique », selon lui.

M. Comeau ne dit pas que l'écart s'explique en gros parce que les Québécois ne réclament pas de reçus d'impôt ‒ comme certains le prétendent depuis plusieurs des années ‒, mais plutôt parce que les Québécois donnent plus de temps que d'argent aux organismes de charité. Ce qui expliquerait l'écart entre les résidents de la Belle Province et ceux du reste du Canada, c'est que les premiers font plus de bénévolat et que ce bénévolat ne se retrouve pas dans les calculs statistiques qui se concentrent uniquement sur les sous.

Mais si les Québécois donnent plus de temps que d'argent, et que ce temps n'est pas pris en compte dans les statistiques, qui nous dit que les Canadiens des autres provinces ne font pas, eux aussi, la même chose? De même, si on prétend que les Québécois ne réclament pas nécessairement de reçus d'impôt lorsqu'ils font des dons en argent, qui nous dit que les Canadiens ne font pas pareil? Qui nous dit que l'écart entre la générosité des Québécois et celle des autres Canadiens n'est pas encore plus grand que celui qu'on nous présente année après années?

Je ne sais pas pour vous, mais lorsque je reçois un reçu d'impôt d'un organisme à qui je donne, je ne me force pas pour ne pas l'inclure dans ma déclaration de revenus. Pourquoi le ferais-je? Lorsque je reçois un reçu, je le place dans la pile de documents à remettre à mon comptable à la fin de l'année et c'est tout. Les organismes à qui on donne remettent automatiquement des reçus d'impôt. Les Québécois qui ne se prévalent pas de leurs retours d'impôt ne sont pas plus vertueux que leurs voisins canadiens, ils sont tout simplement négligents ou désordonnés.

Bien sûr, on ne donne pas pour recevoir un retour d'impôt. À part quelques personnes très fortunées pour qui les dons sont une façon de réduire l'énorme ponction fiscale dont elles sont victimes, la plupart d'entre nous donnons parce que ça nous fait plaisir. Parce que nous voulons aider notre prochain. Parce que nous voulons contribuer à bâtir un monde meilleur. Mais à voir comment les Québécois sont prompts à recourir aux différents programmes gouvernementaux, et à en réclamer toujours plus, il est difficile de croire qu'ils se priveraient soudainement d'une entrée d'argent simplement par principe...

Toujours est-il que selon M. Comeau, qui était interviewé aussi dans The Gazette, « Comparativement au reste du Canada et de l'Amérique du Nord, les contributions à des causes religieuses sont en général plus petites au Québec; environ un quart de tous les dons seulement sont faits à une cause religieuse dans cette province, contre près de la moitié à l'échelle nationale. » Comment expliquer alors que les Québécois, s'ils donnent moins à des organismes religieux, ne se sont pas tournés vers d'autres causes? Un transfert n’aurait-il pas dû s’effectuer ici?

Question d'argent

Ce n’est pas un hasard si année après année, les Québécois se classent parmi les Nord-Américains qui donnent le moins à des organismes de charité. Il y a nécessairement un lien à faire entre le fait que nous sommes les moins généreux et le fait que nous sommes parmi les plus pauvres au pays, les plus imposés en Amérique du Nord, et les plus « entretenus » par un État gourmand et omniprésent. Comme si cela n'était pas suffisant, il y aurait peut-être une autre raison pour expliquer cet écart.

Pour certains, le fait que les Québécois paient beaucoup d’impôts les absout de ce qui semble être leur manque de générosité privée ‒ après tout, l'État redistribue l'argent vers les pauvres, n’est-ce pas? Dans ce sens, l'État livrerait une « concurrence déloyale » aux oeuvres de charité. C’est ce qu'a soutenu Martin Boyer lors d’un colloque tenu à HEC Montréal en 2007. Le professeur a illustré cette analyse des plus intéressantes en ajoutant aux dons privés l’équivalent d’une portion donnée (de force évidemment) aux « oeuvres charitables » de l’État par l’entremise de l’impôt.

Comme l'écrivait Martin Masse à l'époque: « Si l’on suit cette logique, on peut présumer que plus l’État est gros, plus il prend en impôt et fait une concurrence déloyale, et moins les gens auront tendance à donner à des oeuvres privées. Non seulement auront-ils moins de ressources disponibles pour le faire, mais ils auront l’impression d’avoir déjà donné. Et effectivement, on ajoutant les deux types de contributions (privées volontaires et publiques forcées), M. Boyer arrive à des données surprenantes: les Québécois, qui paient plus d’impôt que la plupart des autres Canadiens, se retrouvent non plus à la traîne, mais dans la moyenne. Ils seraient donc ni moins, ni plus généreux que les autres Canadiens. [...] Mais tout ne s’équivaut pas. La charité, la générosité, la volonté d’aider son prochain, ne peuvent être que des vertus exercées dans un cadre volontaire. On n’a aucun mérite lorsqu’on est forcé à faire quelque chose. »

Effectivement. Et comme M. Masse concluait, « l’intervention de l’État engendre son contraire: la charité forcée rend les gens individualistes et insensibles aux autres ». Qu'à cela ne tienne, le gouvernement Marois annonçait au début du mois qu'il entend instaurer un « service civique » rémunéré et destiné aux jeunes ni au travail ni aux études. Ce « service civique », aussi appelé « programme volontaire de service citoyen », viserait à « encourager les jeunes à entreprendre une expérience de travail dans une communauté en contrepartie d'une allocation de subsistance » versée par l'État.

« Service civique », « bénévolat »: si les Québécois donnent plus de temps que d'argent au bonnes causes, tout porte à croire qu'ils seront bientôt payés pour le faire!

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* Gilles Guénette est titulaire d'un baccalauréat en communications et éditeur du Québécois Libre.