Du pétrole et des hommes | Version imprimée
par Pierre Desrochers*
Le Québécois Libre, 15 novembre 2014, no 326
Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/14/141115-3.html


Dans une chronique parue le 11 octobre dernier dans La Presse (« De Cacouna au Califat »), Boucar Diouf nous dit préférer la molécule d'eau aux hydrocarbures parce que le « pétrole répond à un désir de l'humanité alors que l'eau est pour nous un besoin irremplaçable ». Le pétrole, source de tensions et de conflits, serait tout juste bon à être remplacé par des énergies vertes.

Biologiste de formation et Sénégalais d'origine, M. Diouf devrait pourtant savoir qu'encore aujourd'hui plus d'un milliard de personnes (et dans les faits sans doute beaucoup plus) n'ont toujours pas accès à l'eau potable, que chaque jour environ 5000 personnes (dont une majorité d'enfants) meurent de maladies liées à l'insalubrité de l'eau qu'ils consomment et que l'Afrique subsaharienne est la région la plus touchée par cette situation.

Bien que la chose soit peut-être difficile à imaginer pour les lecteurs de M. Diouf, l'abondance d'eau potable que nous tenons aujourd'hui pour acquise en ouvrant machinalement nos robinets n'est devenue réalité qu'avec le développement économique et notre utilisation massive de sources d'énergie telles que les hydrocarbures qui ont permis, entre autres choses, le développement et le déploiement à grande échelle de techniques d'assainissement et de transport de l'eau. Il n'y a d'ailleurs pas si longtemps que la majorité des gens dans les économies les plus prospères de la planète préféraient consommer des boissons alcoolisées telles que le vin, la bière et le cidre, ou encore des boissons bouillies comme le thé, car elles étaient moins susceptibles de les rendre malades.

L'humoriste-biologiste devrait également comprendre que les carburants et autres produits dérivés du pétrole sont indispensables pour le transport de denrées nutritives, telles que les kiwis, et pour la fabrication d'innombrables produits synthétiques, tels que les instruments médicaux en plastique, les détergents, les vitamines et les désinfectants.

Scientifique de formation, M. Diouf devrait se familiariser avec les problèmes inhérents aux énergies alternatives dont il fait la promotion. Il comprendrait rapidement qu'elles relèvent davantage du grigri et de la pensée magique et qu'elles ne sont pas une alternative valable aux technologies existantes. Par exemple, l'éolien et le solaire ne génèrent que de petites quantités intermittentes d'électricité. Ils sont donc pratiquement inutiles dans la quasi-totalité du secteur des transports et ne fournissent aucune autre matière première. Les biocarburants sont quant à eux difficiles et coûteux à produire, surtout ceux qui ne requièrent pas de terres agricoles. Outre le fait que nous ne pourrons jamais en produire en quantité suffisante, ils ne peuvent de plus constituer qu'une petite fraction du combustible utilisés dans les moteurs à essence et diesel sous peine de les endommager.

Pour ce qui est des conséquences environnementales du pétrole, M. Diouf devrait garder à l'esprit que remplacer les produits fabriqués avec le pétrole (des matériaux de construction à certains de nos vêtements) par des solutions de rechange cultivées sur des terres agricoles ou extraites de la nature sauvage aurait de graves conséquences pour la biodiversité de notre planète. Après tout, c'est bien le pétrole (en fait, le kérosène) qui a permis de sauver les baleines que M. Diouf a appris à connaître lors de son passage à l'Université du Québec à Rimouski.

Ce n'est pas un hasard si l'espérance de vie de l'humanité a plus que doublé et le nombre d'humains vivants sur notre planète a été multiplié par plus de sept depuis le développement des combustibles fossiles au cours des deux derniers siècles. Maintenir des milliards d'humains hors de la pauvreté, et en sortir les autres, est présentement impensable sans poursuite de l'exploitation des ressources pétrolières. Loin de n'être qu'un simple « désir de l'humanité », les produits à base de pétrole, bien qu'imparfaits, demeurent des alternatives supérieures aux technologies qu'ils ont remplacées. Il n'existe présentement aucune source ou combinaison de sources d'énergie et de matériaux synthétiques constituant un choix techniquement supérieur et plus vert que le pétrole.

M. Diouf devrait comprendre que si l'eau est indispensable à la vie, notre consommation de pétrole et d'autres formes d'énergie fiable et abordable est loin d'être une dépendance nocive pour notre santé et notre environnement, mais qu'elle est bien plutôt comparable à une saine alimentation.

Pour des références plus détaillées sur les questions soulevées dans ce texte d'opinion, le lecteur est invité à consulter la première partie du texte « Comment l'innovation rend les sables bitumineux de l'Alberta plus verts » de Pierre Desrochers et Hiroko Shimizu (Institut économique de Montréal, octobre 2012).

----------------------------------------------------------------------------------------------------
*Pierre Desrochers enseigne au Département de géographie de l'Université de Toronto Mississauga.