La confusion des autorités face à la jeunesse militante | Version imprimée
par Gabriel Lacoste*
Le Québécois Libre, 15 avril 2015, no 331
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Nous avons vécu dernièrement au Québec une vague de « grèves » étudiantes ayant pour objectif de protester contre « l’austérité » et « les hydrocarbures ». L’événement a été (et continue de l’être) hautement médiatisé et discuté dans les radios et les journaux. Le récit tourne autour de bavures policières et de jeunes cagoulés qui entrent dans les classes pour y sortir les étudiants.

Les débats portent sur la nature démocratique ou légale de ce mouvement, sur le rapport à l’autorité et le conflit de générations. La grille d’opposition classique entre la gauche et la droite s’y déploie. D’un côté, la jeunesse incarne directement la voix du peuple contre des institutions politiques ploutocrates corrompues ayant perdu toute légitimité. Elle affirme sa liberté contre des autorités traditionnelles oppressantes: le patronat, le patriarcat, le gouvernement. Elle prêche le renversement de l’ordre établi. De l’autre côté (ici, ici et ici), ces mouvements sont décrits comme symptomatiques d'une perte de leadership des enseignants qui ont la responsabilité de transmettre des valeurs de respect à l’autorité. C’est le signe que la nouvelle génération sombre dans le culte de l’enfant-roi et qu’elle se croit tout permis. Le gouvernement et les tribunaux sont légitimes, donc nous devons y obéir. La police est alors admirée comme étant le seul groupe qui agit pour ramener l’ordre.

Voilà un cas où je suis franchement en désaccord avec la droite autant que la gauche. Mes raisons dépassent largement le contexte québécois. Je vois dans cette dichotomie une faille majeure dans la manière dont l’Occident moderne se raconte son histoire.

Le récit d’une jeunesse qui change le monde en combattant les forces de l’ordre, en occupant les rues, en manifestant ses idéaux contestataires date d’aussi loin que la Révolution française, si ce n’est pas plus. Il s’est déployé au 19e siècle dans des événements comme la commune de Paris et divers combats d’affirmation nationale (ici et ici). Il s’est renforcé de la lutte contre la guerre du Viêt-Nam et de mai 68. Tous ces symboles ont servi à construire un idéal romantique de la jeunesse fougueuse, combative et éclairée qui brasse un monde adulte qui s’encrasse dans le confort, la peur, l’ignorance et la servilité.

Cet archétype stimule d’une génération à l’autre de nombreuses personnes qui désirent devenir elles aussi des héros. Elles veulent « apporter leur contribution » à une révolution perpétuelle du pouvoir. Ce phénomène ne réinvente pas la roue. C’est une tradition qui se reproduit de façon aussi prévisible que le lever et le coucher du soleil. Lorsque les ténors d’une droite conservatrice et élitiste comme Denise Bombardier en appellent à un passé idyllique où les jeunes écoutaient leurs aînés, ils ne se rendent pas compte que c’est exactement ce qu’ils font en allant dans les rues. Ils appliquent le catéchisme du ministère de l’Éducation sur l’idéal citoyen et les vertus de la Révolution tranquille.

Par ailleurs, cette jeunesse militante ne s’oppose pas aux autorités, mais les appuient fanatiquement. Pour le comprendre, nous devons avoir une vue d’ensemble de la modernité occidentale et non regarder en autiste les potins de notre petit village.

Au cours des deux derniers siècles, nous avons assisté à une transformation des structures de légitimation du pouvoir politique. Auparavant, le clergé et la noblesse s’attribuaient au nom d’une rhétorique de droit divin un rôle de leadership auprès du peuple, se présentant à lui comme garant de l’ordre. Par la suite, une nouvelle caste dirigeante s’est formée à partir d’un idéal de réorganisation démocratique et scientifique de la société. Les États modernes sont nés, articulés autour de « programmes sociaux » visant à éclairer les masses, protéger les travailleurs de l’exploitation, garantir des soins à tous, égaliser les chances, moraliser les échanges et sauver la planète de catastrophes écologiques. Il en est résulté une nouvelle structure de contrôle mis en place par des fonctionnaires, munis du pouvoir de nous taxer et de nous régir massivement. L’autorité n’a pas disparu, mais a changé sa stratégie de relation publique. Ce phénomène n’est pas québécois, mais occidental.

Actuellement, ce vieux modèle est menacé dans son financement. Ses activités coûtent si cher que les représentants qui sont élus pour le diriger peinent à trouver des moyens pour verser des salaires à ceux qui le font fonctionner. C’est dans ce contexte que des théoriciens ont mis de l’avant un concept « d’austérité » et que les enseignants, les syndicats et les journalistes se sont donnés comme mission de le diffuser auprès des masses. L’objectif est de les conditionner à demander de nouvelles taxes, en suggérant que celles-ci ne viseront que le 1% des plus riches. Derrière cette rhétorique, il n’y a pas une contestation, mais un renforcement de l’ordre établi. C’est le pouvoir des fonctionnaires sur le reste des gens qui est monétairement remis en cause, et ceux-ci se battent pour le protéger.

Dans ce contexte, que fait la jeunesse militante? Elle récupère le discours des autorités politiques qui sont les plus directement reliées à elle: les enseignants. Elle s’en fait la porte-parole. C’est la raison centrale qui explique la passivité des directions de cégeps et d'universités face à leurs grèves et non une mythique perte de leadership face à des enfants-rois. Ce phénomène n’a rien de surprenant. Tout au long des révolutions qui ont vu les anciennes autorités être remplacées par les nouvelles, la jeunesse a servi de chair à canon, de disciples et d’étendards pour des adultes en position d’autorité désireux de renforcir leur rôle de réorganisateurs sociaux. Ici encore, il n’y a rien de différent sous le soleil. Ce message est éculé. Lorsque la droite y voit une contestation de l’autorité, elle ne saisit tout simplement pas qui commande et comment ceux qui dirigent orientent les étudiants.

Cette erreur de pensée prend encore plus de poids lorsque le patronat, le gouvernement et les grandes entreprises sont définis à tort comme ceux qui nous contrôlent. Le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, n’est qu’un médiateur entre les contribuables et ceux au sein de l’appareil d’État qui veulent se garantir un salaire et un emploi jusqu’à leur retraite. Il n’est pas vraiment un conducteur en contrôle d’un véhicule et encore moins l’incarnation d’un peuple. Il fait de son mieux pour éviter de mal paraître devant les caméras jusqu’à la prochaine élection et sert de bouc-émissaire aux coalitions de chialeurs.

Ensuite, les gestionnaires d’institutions commerciales n’ordonnent à personne d’acheter leur produit ou de travailler pour eux. Ils sont les représentants des épargnants qui investissent pour leur retraite et des consommateurs qui choisissent librement leur produit. Ils peuvent jouer de lobbying pour obtenir des passe-droits, comme n’importe qui dans un système économique organisé par une autorité centrale, mais ils n’ont pas inventé ou revendiqué ce mode de fonctionnement, ni ne le commande sournoisement à partir de réunions secrètes.

Devant ces mouvements sociaux, la jeunesse militante est confuse. Elle est convaincue de lutter pour la redistribution de la richesse, de protéger la veuve et l’orphelin et d’obstruer une vaste conspiration néolibérale menée par Wall Street et les grandes banques. Cependant, elle ne se rend pas compte qu’en fin de compte, elle aura seulement fait de la propagande pour un État contrôlant qui, pour continuer de payer ses hommes de mains, trouvera des moyens de plus en plus créatifs de saisir la propriété des gens ordinaires.

Cette jeunesse n’imagine pas comment les idéaux qu’elle défend sont néfastes. Depuis plus de 200 ans, ces efforts de réorganisation de la société n’ont pas amélioré notre sort. Ce sont des innovations et des efforts venant d’entrepreneurs, d’épargnants, d’investisseurs, de vendeurs et de travailleurs libres de leur choix qui ont fait de notre monde un lieu prospère. Les seules choses que l’État moderne nous a apportées, c’est de nous imposer une pénible bureaucratie scolaire qui complexifie inutilement notre entrée sur le marché du travail, de camoufler une pénurie de soins médicaux derrière de longues listes d’attente, de construire des routes qui ne mènent nulle part, qui congestionnent ou qui craquent, de dévaluer notre monnaie, et de parsemer nos échanges de règles qui éteignent nos initiatives.

Ce sont les libertariens qui articulent le mieux l’enjeu de ces conflits et qui en proposent une vision d’avenir. Selon eux, le problème de notre temps est la taille de l’État, qui est devenu d’une génération à l’autre de plus en plus envahissant en étouffant les systèmes concurrents dont la nature résulte de la libre volonté et de la responsabilité des individus. L’endettement public ne représente pas une menace pour nos « acquis », mais un nuage noir avant-coureur d’une confiscation massive de nos propriétés et des libertés qui vont avec elles. La jeunesse militante qui occupe les rues ne comprend pas ce qui se passe et se bat pour que ce danger se concrétise.

Le clivage entre la droite et la gauche, ainsi que les vieux clichés autour des conflits générationnels, méritent d’être repensés. Lorsque la droite valorise l’autorité d’aînés, elle ne comprend pas le monde à l’intérieur duquel elle se trouve et réfère à des vieux sages qui n’existent que dans leur imagination. Les autorités sont à gauche depuis belle lurette et elles se servent du romantisme révolutionnaire pour articuler leur propagande. Lorsqu’elles décident de le freiner en jouant les pragmatiques responsables à La Presse, elles ne font pas preuve de sagesse, mais craignent simplement la banqueroute de cet idéal, qui ne mériterait même pas d’en être un et qui devrait simplement être remplacé par un libre marché authentique.

Si la jeunesse militante voulait vraiment contester l’ordre établi, elle gagnerait à étudier la pensée libertarienne en mettant de côté tous les préjugés que les élites intellectuelles diffusent à son endroit. Vous pouvez être certain que vous verrez alors le corps enseignant se mobiliser pour arrêter leurs grèves et se ranger du côté de la police, dévoilant aux yeux du public leur vrai visage.

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* Gabriel Lacoste travaille dans le secteur des services sociaux et a complété une maîtrise en philosophie à l'UQAM.