Retour sur la tragédie de Lac-Mégantic | Version imprimée
par Carl-Stéphane Huot*
Le Québécois Libre, 15 juin 2015, no 333
Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/15/150615-11.html


Voilà près de deux ans maintenant qu’un train pétrolier, échappant à tout contrôle, venait dévaster le centre-ville de Lac-Mégantic, faisant près de 50 morts. Depuis, les mesures de contrôle ont été resserrés et de nouvelles normes de sécurité ont été mises en place pour faire face, notamment, à la hausse du transport ferroviaire de pétrole. Le problème est que ces normes vont augmenter les risques pour les usagers et les gens qui habitent près des chemins de fer plutôt que de les diminuer.

Train de mesures

Une courbe de voie ferrée est conçue de manière à minimiser la contrainte horizontale sur le rail qui provient de l'inertie de rotation du train. On peut agir sur deux paramètres, à savoir le rayon de courbure de la voie – plus celui-ci est grand moins il y a d'inertie et de forces – et l'inclinaison du rail. De façon optimale, à vitesse donnée, il est possible de trouver toute une série de paramètres qui permettent de réduire presque à zéro les forces latérales. Pour des raisons économiques, il vaut mieux un rayon relativement faible et une inclinaison assez élevée. Il y a cependant une certaine marge (limitée) qui est prise en compte pour permettre à des trains de passagers de se déplacer à une vitesse autre que celle optimale, pour des raisons de confort notamment.

La très large majorité des voies ferrées en Amérique du Nord sont conçues pour une vitesse de 60 milles** à l’heure. Si la vitesse est sensiblement en dehors de celle pour laquelle le rail est conçu (que ce soit à la hausse ou à la baisse), la contrainte horizontale sur le rail est augmentée, ce qui entraîne à terme plus de fatigue et un taux de rupture plus élevé. Le second problème est que la position d'équilibre sur le rail est différente, faisant sensiblement plus frotter la roue sur le côté du rail – usant plus rapidement ces deux éléments, ce qui augmente là aussi le risque de rupture.

Afin de protéger les gens, les lois ont été modifiées pour réduire la vitesse des trains de matières dangereuses. Une vitesse de 50 milles à l'heure a donc été imposée de manière générale, avec une réduction à 40 milles à l'heure dans les centres-villes de 100 000 habitants ou plus. Or, c'est là, par la loi, qu’on impose au matériel ferroviaire d'être le plus sollicité.

Le gouvernement américain maintient une base de données sur les accidents ferroviaires depuis 1975. Il y indique beaucoup de choses dont la ou les causes majeures des accidents et le nombre de morts et de blessés. Sur 77 000 accidents, entre janvier 1975 et mars 2015, le National Transportation Safety Board (qui enquête sur les accidents de transports aux États-Unis) a déterminé près de 160 000 causes majeures pour ces accidents. De ces causes, seules 2,6% sont liées à la vitesse alors que 36,5% sont liées à la voie elle-même. En voulant réduire les risques de déraillements par la vitesse, on augmente sensiblement les risques de déraillement par détérioration des voies. Dire qu'il y a moins d'accidents qui se produisent à basse vitesse ne revient pas à dire que réduire la vitesse de manière permanente diminuera le nombre d'accidents.

Question d’épaisseur

On a beaucoup parlé de l'obligation faite aux transporteurs ferroviaires de modifier ou de changer leurs wagons-citernes transportant du pétrole pour les rendre plus résistants en cas d'impact. Concrètement, leur épaisseur passera de ½ pouce à 9/16 pouce (12,7 à 14,3 mm), on renforcera les valves, on ajoutera une couche isolante et on ajoutera aux extrémités un écran de protection contre les impacts. On obligera aussi les fabricants à normaliser les citernes. Cette opération vise à enlever les contraintes résiduelles qui restent dans l'acier après qu'on l'ait mis en forme et soudé, ce qui amène la citerne à avoir le maximum de résistance possible si elle subit un impact. Les contraintes résiduelles de fabrication s'ajoutant à celles de l'impact réduisent en effet la marge de résistance dont dispose la citerne en cas de collision. Le tout coûtera à l'industrie autour de 2,5 milliards de dollars durant les 10 prochaines années. Pour quel résultat? Une belle dose de poudre aux yeux pour l'essentiel. Voici pourquoi:

1) L'énergie nécessaire pour percer un trou dans une pièce est proportionnelle à l'épaisseur de celle-ci, au périmètre du trou et à la limite élastique du matériau.

2) L'énergie d'un objet en mouvement est proportionnelle à sa masse et à sa vitesse au carré.

3) Le percement ou non d'une citerne à vitesse et épaisseur données dépend de plusieurs facteurs: la pression à l'intérieur du réservoir, qui réduit la résistance de la citerne à mesure qu'elle monte, la grosseur de l'obstacle sur lequel le wagon s'arrêtera, qui augmente la possibilité de perforation à mesure que les dimensions de l'obstacle diminuent et l'angle que fait l'obstacle avec la paroi de la citerne – un angle de 90° étant le meilleur pour la résistance de la paroi. Cependant, les calculs faits à l'aide de la méthode des éléments finis démontrent qu'une citerne d'un demi-pouce d'épaisseur commencera à être en danger de fracturer lors d'un accident à 10 milles à l'heure, et celle d'un pouce à 15 milles à l'heure (voir ces documents du Département des transports des États-Unis ici ou ici). Les vitesses autorisées étant de 40 à 50 milles à l'heure, les côtés devraient avoir entre 8 et 12 pouces d'épaisseur et les extrémités, entre 10 et 16 pouces pour garantir leur intégrité lors d'un impact! C'est ridicule puisque cela empêcherait de transporter quoi que ce soit compte tenu de la limite de poids de ces wagons. L'ajout d'un seizième de pouce ne changera pratiquement rien, sauf qu’il permettra au gouvernement de dire qu’il a « fait » quelque chose pour ses citoyens. Quoi? Mystère.

Risque zéro

Certes, les étatistes aiment donner au gouvernemaman la grande mission de détourner le maximum de ressources productives vers des secteurs improductifs via lois et règlements de toute sorte. Donc, à moins de considérer que de forcer les compagnies à dépenser de manière improductive comme une vertu, il n'y a pas grand-chose là.

Nous avons besoin de ce que transportent ces wagons, peu importe ce que peuvent faire ou dire nos chers gaucho-environnementalistes. Transporter le pétrole sur les routes causerait encore plus de morts et de blessés, en plus de les détériorer plus rapidement. Certes, le transport du pétrole par pipeline serait probablement mieux pour la sécurité de gens, mais la situation est bloquée pour le moment…

Les meilleures intentions du monde ne peuvent faire de nos élus des êtres omniscients qui connaissent tout. Dans ce cas-ci (comme dans plusieurs autres), ils ont écrit toute une série de lois sans vraiment en juger les conséquences. Les nouvelles règles sont plus dangereuses que les anciennes, même si, a priori, il semblerait que non. En plus, le Bureau de la sécurité des transports du Canada et le National Transportation Safety Board – qui sont censés protéger le grand public – se sont contentés de dire ce que les gouvernements qui les paient attendaient d'eux, comme toutes les agences gouvernementales du monde d'ailleurs, et n'ont absolument pas protesté contre les nouveaux règlements. Pitoyable.

** Note aux lecteurs hors Amérique du Nord: Plusieurs industries nord-américaines, dont les chemins de fer, continuent d'utiliser le système de mesures impériales anglaises. Ce texte utilise ces valeurs. (1 mille =1609m; 1 pouce =2,54cm; 1 pied =12 pouces =30,48cm)

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* Carl-Stéphane Huot est gradué en génie mécanique de l'Université Laval à Québec.