Les mythes de la démocratie - Mythe 1 : Chaque vote compte* | Version imprimée
par Frank Karsten et Karel Beckman
Le Québécois Libre, 15 septembre 2015, no 334
Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/15/150915-5.html


C’est ce que nous entendons systématiquement lors des élections. Cette idée que chaque vote compte véritablement. Ce qui est vrai – chaque vote compte pour un sur cent millions (si nous considérons le cas des élections présidentielles américaines). Mais si vous influez sur une élection à mesure d’un sur 100 millions, ou 0.000001%, en réalité vous n’avez aucune influence. La probabilité pour que votre vote décide du vainqueur de l’élection est astronomiquement faible.

Et les choses sont encore pires parce que vous n’accordez pas votre vote à une mesure ou à une décision particulière. Vous votez pour un candidat ou un parti politique qui prendra des décisions en votre nom et place. Mais vous n’avez absolument aucune influence sur les décisions prises par cette personne ou ce parti. Vous ne pouvez pas les contrôler. Durant quatre années, ils peuvent décider ce qu’ils veulent, et il n’y a rien que vous puissiez faire contre cela. Vous pouvez les bombarder d’emails, tomber à genoux devant eux ou les maudire – ils décident.

Chaque année, l’État prend des dizaines de milliers de décisions. Votre unique vote, dirigé vers quelqu’un qui peut faire comme bon lui semble sans vous consulter, n’a aucun impact mesurable sur ces décisions.

Souvent, votre vote n’est même pas un véritable choix. Il constitue plus l’indication d’une vague préférence. Il existe rarement une personne ou un parti avec lesquels vous êtes d’accord sur tous les sujets. Mettons que vous ne vouliez pas que de l’argent soit dépensé dans les aides aux pays du Tiers-monde, ou dans la guerre en Afghanistan. Vous pouvez voter pour un parti qui s’oppose à cela. Mais peut-être ce parti est-il aussi en faveur d’une hausse de l’âge légal de départ à la retraite, un point sur lequel vous n’êtes pas d’accord?

Qui plus est, après qu’un parti ou une personne ayant reçu votre vote aient été élus, ils tiennent rarement leurs promesses. Et que faites-vous à ce moment-là? Vous devriez être capable de les poursuivre en justice pour fraude, mais vous ne pouvez pas le faire. Au mieux, vous pouvez toujours voter pour un parti ou un candidat différent dans quatre ans – et ce avec tout aussi peu de résultats.

Le vote est l’illusion de l’influence donnée en échange d’une perte de liberté. Lorsque Thomas et Jeanne se présentent au bureau de vote, ils pensent qu’ils influencent la direction dans laquelle le pays avance. Cela n’est vrai que d’une façon minime. Pendant ce temps, 99.9999% des électeurs décident de la direction dans laquelle les vies de Thomas et Jeanne iront. Ils perdent ainsi beaucoup plus de contrôle sur leurs propres vies qu’ils n’en gagnent sur les vies des autres.

Ils auraient beaucoup plus d’« influence » s’ils pouvaient simplement prendre leurs décisions eux-mêmes. Par exemple, s’ils pouvaient décider eux-mêmes de leurs dépenses, au lieu d’avoir à payer la moitié de leur revenu en impôts de par les différents prélèvements obligatoires.

Pour prendre un autre exemple, dans notre système démocratique les gens ont un contrôle très faible sur l’enseignement dispensé à leurs enfants. S’ils souhaitent changer les méthodes d’enseignement et veulent avoir plus d’influence que celle qu’ils ont avec leur bulletin de vote, ils doivent rejoindre ou mettre sur pied un groupe de pression, ou présenter des pétitions à des hommes politiques, ou organiser des manifestations devant des édifices publics. Il existe des associations de parents qui essaient d’influencer les politiques éducatives de cette façon. Cela exige beaucoup de temps et d’énergie et n’a à peu près aucun effet. Il serait tellement plus simple et plus efficace de faire en sorte que l’État n’intervienne pas dans l’éducation et laisse les professeurs, les parents et les étudiants faire leurs propres choix, tant individuellement que collectivement.

Bien entendu, la classe au pouvoir presse les gens à voter. Elle met systématiquement l’accent sur le fait qu’en votant les gens ont véritablement une influence sur les décisions de l’État. Mais l’important pour elle est d’abord et avant tout que le taux de participation soit élevé, ce qui lui fournit une marque d’approbation, ainsi qu’un droit moral de gouverner le peuple.

Beaucoup de gens croient que le fait de participer aux élections est un devoir moral. On entend souvent dire que si vous ne votez pas, vous n’avez ni le droit d’avoir votre mot à dire dans les débats publics, ni de vous plaindre des décisions politiques. Après tout, vous n’avez pas utilisé votre bulletin de vote, alors votre avis ne compte plus. Les gens qui tiennent ce discours ne parviennent pas à imaginer qu’il existe des personnes qui refusent de souscrire à l’illusion de l’influence vendue par la démocratie. Ils sont atteints par le syndrome de Stockholm. Ils se mettent à aimer leurs ravisseurs et ne réalisent pas qu’ils échangent leur autonomie contre le pouvoir que des hommes politiques et des bureaucrates ont sur eux.

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*Extrait du livre Dépasser la démocratie (par Frank Karsten et Karel Beckman et traduit par Benoît Malbranque), publié le 3 avril 2013 sur le site de l’Institut Coppet.