La gauche ne respecte pas les assistés sociaux | Version imprimée
par Gabriel Lacoste*
Le Québécois Libre, 15 février 2016, no 339
Hyperlien: http://www.quebecoislibre.org/16/160215-3.html


Le 5 février dernier, Louis T a diffusé une capsule à l'émission Bazzo.tv dans laquelle il critique sarcastiquement les réformes à l’aide sociale. Il exprime assez bien l’opinion de « la gauche » à ce sujet: pour la « droite » conservatrice, les assistés sociaux se « la coulent douce » sur le dos des travailleurs. Or, explique-t-il, le montant de 8400 $ par an qu’ils reçoivent est inférieur de 9000 $ à ce qui est nécessaire pour payer leurs besoins de base, et 14 000 $ de moins que ce que reçoit un travailleur payé au salaire minimum. Seulement 3% des assistés sociaux fraudent. Bref, ils n’ont pas choisi cette situation; ils en sont prisonniers. Ils méritent notre aide. Le ton de Louis T montre qu’il méprise l’opinion contraire, ressentie comme irrespectueuse.

Cette montée de lait est typique de ceux qui analysent les problèmes sociaux en noir et blanc. Il y a les « bons » libres de préjugés: la gauche. Et il y a les « méchants » qui défendent des idées stupides pour justifier leur petitesse d’esprit: la droite. Louis T, preux chevalier des temps modernes, utilise sa tribune pour remettre ces derniers à leur place à coup d’arguments et de statistiques. Son public sympathise, croyant faire preuve de bonne conscience. La réalité est plus nuancée…

L’assistance sociale peut-elle être volontaire?

La gauche partage un dogme: l’adhésion à l’assistance sociale n’est quasiment jamais volontaire. C’est une situation si difficile que personne ne la choisit.

Les failles dans ce raisonnement? L’État détecte 3% de fraudes à l’aide sociale, mais ce phénomène est plus étendu, car peu se font prendre. Prenons le raisonnement de Louis T à l’envers. Si cette aide couvre si peu les besoins de base, comment se fait-il que des gens y demeurent pendant des années sans mourir? Mystère… Eh bien, c’est parce qu’ils ont d’autres sources de revenu: leurs proches, une job au noir, la quête. Sinon, ils économisent dans les banques alimentaires, les friperies et les magasins qui revendent des dons. Ils ont un HLM ou habite dans un logement subventionné. Ils partagent en colocation un petit espace. Ils se « débrouillent ». La preuve? La grande majorité ne dorment pas dehors et mangent assez pour vivre. Sur près de 170 000 assistés sociaux à Montréal, seulement 3000 sont itinérants.

Non, ils « ne se la coulent pas douce ». Peu de gens veulent se retrouver là. Je suis d’accord avec Louis T là-dessus. Cependant, il y en a qui calculent leurs options et qui trouvent cette vie moins pire que de travailler 40 heures par semaine à un petit salaire. Pour eux, l’oisiveté vaut le 14 000 $ de moins.

Des choix qui semblent impossibles pour une personne « normale » sont rationnels pour des marginaux. Tous n’ont pas les mêmes standards. Des hommes préfèrent dépenser la totalité de leur chèque d’aide sociale en drogues pendant 2 jours et coucher dehors plutôt que de payer leur loyer. Certains se contentent d’avoir un toit, et de manger et fumer en écoutant la télé. Vivre conformément à un idéal demande des efforts. Face aux épreuves, il y a des gens qui abandonnent et qui apprennent à tolérer la misère. Les statistiques sur la pauvreté mesurent mal cela.

Si vous pensez que ce qui précède correspond à des préjugés, sachez que c’est mon drame familial auquel je réfère. Mon père a abandonné ainsi sa volonté de vivre une vie heureuse, et je côtoie régulièrement au travail des hommes comme lui. Mon vécu ne prouve rien, mais je vous le confie pour éviter les accusations personnelles, tellement faciles chez mes opposants.

Le respect

Cela dit, comment respecter ceux qui se retrouvent dans cette situation?

Que signifie « respecter quelqu’un »? Pour la gauche, c’est veiller au bien-être de ceux qui ne peuvent le faire eux-mêmes en payant des impôts, en opinant du bon bord, en manifestant et en votant. Pour un libéral classique, c’est traiter les autres comme des êtres capables de faire des choix, d’en assumer les conséquences, puis d’en tirer les leçons. Évaluer qu’un assisté apte au travail ne l’est pas, et mérite d’être logé et nourri à vie, est donc méprisant. C’est le traiter comme moindre que ce qu’il est.

Si le choix de mon père me mettait en colère, c’est parce que je le croyais meilleur. C’était ma manière de le respecter, même s’il ne le faisait pas lui-même.

Oui, il y a des victimes de malchance qui ne peuvent pas travailler. Les dédommager est moralement convainquant. Peu de gens en doutent. Le problème, c’est lorsqu’on les confond avec des personnes responsables dont la volonté vacille.

Si je refuse de donner indéfiniment 600 $ par mois à quelqu’un qui est apte au travail sans contrepartie, c’est parce qu’il vaut mieux que ça. « La meilleure façon de tuer un homme, c’est de le payer pour être chômeur », chantait Félix Leclerc. Cette conception du respect est facile à comprendre sous l’angle familial. Dire « non » à un enfant de 25 ans qui demande de l’argent n’est pas « cruel » ou « égoïste », mais responsable. C’est l’exposer à l’âge adulte en le croyant capable de faire face aux défis que cela implique.

Qu’est-ce que je crois? Que sans l’aide sociale, un grand nombre de gens commenceraient à fonctionner en société. Je le pense, car j’ai foi en eux.

Qu’est-ce que la gauche pense, elle? Elle regarde tous les assistés sociaux comme inaptes, blâmant le système de ne pas leur faire une place. Cela n’est pas respectueux. C’est méprisant. La pire façon d’aider un alcoolique, c’est lui donner une bière en lui disant que c’est dans sa nature. Eh bien, une bonne façon de nuire à un dépressif, c’est de subventionner son inactivité en pleurant sur son destin.

Les sentiments moraux de la droite

La « gauche » réduit les sentiments de leurs opposants au mépris ou à l’indifférence. La « droite » regrouperait ainsi un ensemble d’opinions moralement inférieures.

Cette attitude est trompeuse. Ce que certains ressentent à la vue d’un assisté apparemment apte au travail est davantage de la colère que du mépris. Selon eux, vivre du travail d’un autre par faiblesse de volonté est condamnable. La nuance est importante, car cette colère est un sentiment moral. Ceux qui la ressentent le font parce qu’ils ont des standards de respect et non parce qu’ils sont égoïstes ou haineux. Ils ne veulent pas abuser ainsi d’autrui, et se désolent de ceux qui le font.

Bien sûr qu’il y en a pour mépriser ouvertement les assistés sociaux sous le coup de cette colère. Il est cependant possible de surmonter cette réaction sans suivre la gauche. Il faut voir les limites posées à l’assistance comme un moyen de reconnaître la dignité des personnes aptes qui faiblissent devant les épreuves. C’est leur dire « lève-toi et marche » plutôt que de leur tendre une béquille.

L’État corrupteur

Oui, une société (et non un État) doit aider ceux qui passent par des moments difficiles et veiller au bien-être des accidentés graves. En fait, ce standard est assez répandu pour se dispenser du pouvoir politique dans un contexte de prospérité. Les familles, les proches et les citoyens sont disposés à le faire s’ils sont exposés librement à cette responsabilité. Ce que peu de gens veulent faire, c’est subventionner avec leur travail sans discernement le chômage de n’importe qui.

Ce qui motive la gauche, c’est la méfiance en l’individualité des êtres humains. Seul avec notre conscience, nous laisserions mourir des gens de faim. En groupe muni du pouvoir de contraindre, nous serions meilleurs. La faille dans cette vision? Entourés d’étrangers puissants, notre aide est aveugle. Il devient trop facile de s’y accrocher ou d’en être abusé. Lorsque nous solutionnons ainsi la misère d’autrui, nous sommes dans le noir. Les échecs de l’assistance sociale en sont la meilleure illustration.

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* Gabriel Lacoste travaille dans le secteur des services sociaux et a complété une maîtrise en philosophie à l'UQAM.