Montréal, le 4 avril 1998
Numéro 5
 
 

Un regard libertarien
sur l'actualité québécoise et nord-américaine
  
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  Publié tous les samedis  
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SOMMAIRE 
 
LEMIEUX EN LIBERTÉ 
Jonesboro  
par Pierre Lemieux  
  
Page 2 
 
ÉDITORIAL 
Les fascistes de la SSJBM 
par Martin Masse  
  
Page 3 
 
NOUVELLES BRÈVES 
Nouveau ministère; trappe à homards; révolution conservatrice; et poissons d'Avril 
  
COURRIER 
DES LECTEURS 
Les fumeurs, des citoyens de seconde classe 
   
Page 4 
  
OPINION 
Big Brother, 30 ans plus tard 
par Jean-Luc Migué  
   
Page 5 

LE MARCHÉ LIBRE 
Les actes de Dieu et la providence de l'État 
par Pierre Desrochers 
   
Page 6 
   
LES PRIX BÉQUILLES 
aux organisations patronales; à l'Union québécoise pour la conservation de la faune; et aux PME qui veulent se faire déboguer par le ministre Manley  
  
VIVE LES 
QUÉBÉCOIS LIBRES 
Dominique Vachon, Jean-Luc Landry et la Chambre de commerce  
du Québec 
  
MOT POUR MOT 
Les bonnes résolutions 
de Bernard Landry 
  
 
 
 
 
 
 

 
LEMIEUX EN LIBERTÉ
 
JONESBORO
  
par Pierre Lemieux
  
           Quand, dans quelques décennies, les armes à feu auront fini d'être interdites à quiconque sauf aux agents de l'autorité à képi, quand des déséquilibrés utiliseront une automobile, une tronçonneuse ou des alumettes pour commettre des assassinats en série, à quel fétiche en fera-t-on porter la responsabilité? Comment réagiront les êtres infantilisés à qui les larmes et la fureur de la foule retireront d'autres droits sous prétexte que des irresponsables s'en servent pour commettre des ignominies? 
 
          Les réactions à la tuerie de Jonesboro, où deux gamins de 11 et 13 ans ont abattus en embuscade de petits confrères de classe et des instituteurs, laisse présager le pire. Un journaliste de Libération jette le blâme sur la « culture des armes à feu » – dont les adhérents se recrutent pourtant, en général, parmi les partisans de la loi et de l'ordre(1). Un journaliste de La Presse invoque ce tragique événement pour saluer les décrets adoptés en vertu la plus récente loi fédérale sur le contrôle des armes à feu – attribuant au passage à cette loi des prohibitions qui sont en vigueur depuis plusieurs années(2). Il est compréhensible qu'un événement aussi monstrueux suscite des réactions irrationnelles et que des démons secrets ressortent des placards. Mais la raison et la liberté devraient conserver leurs droits. 
 
          Le 20e siècle aura été caractérisé, en Occident, par la suppression graduelle du droit traditionnel de l'homme libre de posséder et de porter des armes. Même si les États-Unis ont été apparemment moins touchés, des contrôles significatifs y ont souvent précédé l'évolution dans d'autres pays (Canada, Angleterre, France…). Aux États-Unis, quelque 20 000 textes réglementent aujourd'hui, parfois jusqu'à l'extinction, le droit traditionnel de posséder et de porter des armes. Qu'à cela ne tienne, les deux gamins de Jonesboro ont, pour commettre leur crime, volé une camionnette et des armes, conduit sans permis, et porté leurs armes à un endroit où la loi de l'Arkansas (et la loi fédérale américaine) l'interdit, à savoir le périmètre d'une école. À quoi ont servi toutes ces interdictions?                       
 
          Le contrôle des armes à feu a entraîné des effets pervers qu'ont bien mis en lumière les recherches criminologiques et épidémiologiques des dernières années. Ces contrôles discriminent contre les honnêtes citoyens qui, en s'y conformant, renoncent à leur droit d'autodéfense devant des criminels ou des déséquilibrés qui n'ont que faire des lois(3). Le professeur John Lott, un spécialiste de la question, rappelle comment, en 1997, le dirigeant d'une école du Mississipi a utilisé son arme pour maîtriser un criminel qui venait de massacrer deux élèves et qui en aurait sans doute tué d'autres durant les quatre minutes et demie avant que la police n'arrive(4). Lotte pose la question que j'avais posée à la suite du massacre de Concordia à Montréal: Combien de vies innocentes auraient été épargnées s'il y avait eu sur place un honnête citoyen auquel la loi n'aurait pas interdit de porter des armes? 
 
          Il est vrai qu'il y a une différence entre, d'une part, les 1500 meurtres et les 4000 viols qui, selon une étude statistique récente de Lott et Mustard, seraient évités chaque année si les citoyens de tous les États américains avaient le droit de porter des armes(5) et, d'autre part, une légitime défense qu'il est bien difficile de concevoir contre des gamins à peine sortis de l'enfance. Il est également vrai que, même si l'effet net du droit de porter des armes consiste à réduire la criminalité, la disponibilité d'armes à feu, d'automobiles et de quoi d'autre encore risque de provoquer quelques horreurs plus visibles que les avantages généraux et permanents de la liberté.
De naïveté en démission 

          De naïveté en démission, on en arrive alors à ce qui, il y a quelques années, aurait semblé absurde: interdire la possession des chiens d'attaque, comme l'État français s'apprête à le faire(6). On croyait que la police servait à nous protéger contre les criminels et les fous: mais non, elle sert à dépouiller tout le monde des libertés dont pourraient abuser ceux dont elle prétend nous protéger. 
 
          Au Canada, le journaliste bien-pensant qui s'imagine qu'il pourrait, au besoin, obtenir une autorisation de posséder – et je ne parle pas de porter! – une arme pour sa protection, ou la jeune fille qui souhaiterait détenir chez elle une arme comme dernière ligne de défense contre l'agression, s'aperçoivent tout à coup que le contrôle des armes à feu vise davantage à prohiber l'autodéfense des honnêtes gens que d'empêcher les criminels et les désaxés de commettre des crimes. Il est révélateur que les bonbonnes lacrymogènes, arme de défense par excellence bien que plutôt inoffensive, furent parmi les premières armes à être interdites par le gouvernement fédéral après la loi de 1977 sur le contrôle des armes à feu. 
 
          Les conséquences de l'étatisme du 20e siècle, de la tyrannie tranquille d'un Big Brother doux et gentil, de la société déresponsabilisante qu'elle a encouragée, n'ont hélas! pas fini de nous étonner ni de nous faire frémir. 
 
          Il est trop tôt pour juger les gamins de Jonesboro: plusieurs faits sont encore inconnus. L'atmosphère des écoles publiques, le déclin de la famille, la violence avalisée par la loi étatique, la haine du plaisir encouragée par le puritanisme, le déboussolement des jeunes, comptent sans doute parmi les facteurs qui ont joué dans le spectacle de la violence gratuite qui, de plus en plus, fera partie du quotidien de nos tyrannies tranquilles. Les histoires de gamins bien nourris qui commettent des crimes insensés ne sont pas propres aux États-Unis: partout en Occident, plus on interdit la légitime défense, plus la violence gratuite se répand. 
 
          Et pendant ce temps, tout ce qu'il y a de bien-pensants collectivistes et d'horribles bureaucraties étatiques mènent des campagnes surréelles pour un « environnement sans fumée », la répression du travail au noir ou la protection de la culture! 
 
         Quand des enfants montent une embuscade et assassinent leurs petits confrères de classe et leurs instituteurs, il est absurde de jeter le blâme sur l'automobile ou les armes dont ils se sont servi (du reste illégalement), il est absurde de mettre en cause la liberté même qu'ils ont attaquée. Il convient plutôt de s'interroger sur la société monstrueuse qu'a engendrée l'étatisme déresponsabilisant qui parcourt tout le 20e siècle. 
 
 

Pierre Lemieux
 
 
1. Le Devoir, 26 mars 1998, p. A1. 
2. La Presse, 28 mars 1998, p. A9. 
3. Voir, à ce sujet, mon Droit de porter des armes, Paris, Belles Lettres, 1993. Plusieurs autres recherches importantes sont parues depuis. 
4. John R. Lott, The Real Lesson of the School Shooting, Wall Street Journal, 27 mars 1998, p. A-14. 
5. John R. Lott et David B. Mustard, Crime, Deterrence, and Right-to-Carry Concealed Handguns, disponible à http://www.lib.uchicago.edu/~llou/guns.html 
6. Le Monde, 12 mars 1998, p. 8. 
 
 
©Pierre Lemieux 1998 
Cette chronique de Pierre Lemieux revient aux deux semaines. 
 
  
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