Montréal, le 20 juin 1998
Numéro 14
 
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LE MARCHÉ LIBRE
 
LA MEILLEURE FAÇON
DE RECYCLER
  
par Pierre Desrochers
  
  
          La production de résidus est souvent pointée du doigt comme l'une des conséquences les plus néfastes du libre marché. Ce qu'on ne souligne toutefois pas suffisamment, c'est que l'économie de marché a toujours fourni plusieurs incitatifs pour transformer la plupart des rebuts en ressources. Il suffit de consulter certains ouvrages publiés au début du siècle avec des titres comme Millions from Waste, By-Products in the Packing Industry et The Recovery and Use of Industrial and Other Waste pour s'en convaincre. En fait, on trouve même des textes remontant à l'Empire romain traitant de recyclage.(1) 
          La propension à recycler dans une économie de marché s'explique par trois facteurs: la valeur de certains résidus est souvent nulle pour leurs producteurs; les résidus sont des matières premières ayant déjà subies plusieurs transformations, ce qui limite le coût des investissement nécessaires pour les transformer en intrants utiles; les résidus sont ordinairement produits beaucoup plus près de leurs utilisateurs potentiels que les matières premières, ce qui permet d'amoindrir considérablement  les coûts de transport. 
  
          Comme nous l'avons toutefois mentionné dans des chroniques antérieures, une portion notable de déchets industriels n'est pas recyclée en raison de l'intervention gouvernementale dans le processus de marché, notamment en ce a trait à la mauvaise définition des droits de propriété et à la distortion systématique du système des prix. 
  
          La réglementation environnementale contemporaine a également considérablement réduit la réutilisation potentielle de résidus industriels. Il suffit pour s'en convaincre de voir comment la définition de « déchet » dans la législation contemporaine peut mettre des bâtons dans les roues des producteurs soucieux de réduire leur volume de résidus. On peut ainsi les regrouper en cinq grandes catégories:
1) les déchets sont des matériaux issus d'un processus manufacturier qui ne sont pas directement utilisés dans un autre processus; 

2) les déchets sont des matériaux issus d'un processus manufacturier pour lesquels le producteur n'envisage aucun autre usage au sein de son entreprise; 
  
3) les déchets sont des matériaux issus d'un processus manufacturier devant être détruits; 
  
4) les déchets sont des matériaux issus d'un processus manufacturier qui sont relâchés dans l'environnement; 
  
5) les déchets n'existent pas, il n'y a que des résidus devant être identifiés afin de leur trouver un nouvel usage.

          Le principal problème de l'approche légaliste (définitions 1 à 4) est qu'elle a été élaborée par des législateurs n'envisageant qu'une dimension du phénomène à la fois. Il est donc souvent très difficile de faire quoi que ce soit avec un résidu dès qu'il a été qualifié de « déchet ». La mention « déchet toxique » vient quant à elle tuer dans l'oeuf l'idée même de réutiliser un sous-produit. L'ironie de la chose, c'est que l'on trouve des composés chimiques en vente libre qui sont tout à fait identiques à certains déchets toxiques. La différence entre les deux, c'est que l'un n'est pas un résidu, mais que l'autre a été temporairement mis de côté lors du processus de production. L'un sera donc utilisé dans un procédé de fabrication, tandis que l'autre devra être détruit ou enfoui aux frais de son propriétaire. 
  
          Un exemple tiré de l'expérience américaine illustre bien l'absurdité de cette approche. C'est ainsi que si l'on verse un solvant sur une machine et qu'on l'essuie ensuite avec un chiffon, ce dernier devient un déchet toxique. Si par contre on asperge d'abord le chiffon avec le solvant et qu'on l'utilise ensuite pour essuyer la machine, il n'est pas considéré comme un déchet toxique. La différence est que dans le premier cas le solvant est considéré comme ayant été « émis » par la machine, mais pas dans le second. Cet exemple est évidemment extrême, mais il illustre bien les aléas de l'approche réglementaire. Le problème, c'est que la réglementation contemporaine établit une foule de barrières tout à fait arbitraires, allant de l'obligation d'utiliser des produits neufs à certains standards n'autorisant l'utilisation que de certains produits alors que des substituts recyclés pourraient convenir. 
  
          La législation environnementale est dispendieuse — plus de 130 milliards $ annuellement aux États-Unis seulement — et ses principaux résultats ont jusqu'à maintenant été de hausser le coût des produits facturés aux consommateurs tout en augmentant la pollution. Une alternative basée sur la liberté de commerce et les droits de propriété serait beaucoup plus flexible et efficace. Le capitalisme est donc une bien meilleure avenue vers le développement durable que les politiques des ministères de l'Environnement. 
  
 
(1) F. Talbot, Millions from Waste, Lippincott & Co., 1920; R.A. Clemen, By-Products in the Packing Industry, 
      University of Chicago Press, 1927; J. B. Kershaw, The Recovery and Use of Industrial and Other Waste, Benn., 1928. 
      On trouve également d'excellents ouvrages français sur le sujet, notamment: Gérard Bertolini, 
      Rebuts ou ressources? La socio-économie du déchet, Éditions Ententes, 1978; Gérard Bertolini, 
      Le marché des ordures. Économie et gestion des déchets ménagers, L'Harmattan, 1990; 
      Catherine de Silguy, La saga des ordures du Moyen âge à nos jours, L'instant, 1989. 
 
 
 
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