Montréal, le 26 septembre 1998
Numéro 21
 
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     « Man is a credulous animal and must believe something. In the absence of good grounds for belief, he will be satisfied with bad ones. »  
   
Bertrand Russell
  
  
  
  
  
 
 
 
 
 
 BILLET
  
LA LANGUE DE CHEZ NOUS
  
par Brigitte Pellerin
   
  
          Ah, la, la, c'est que ça commence à devenir sérieusement encombrant, les chicanes d'enfants d'école sur les politiques linguistiques. Should Eaton's display english signs or not?, telle est devenue la question.  
  
          Sans blague, vous ne trouvez pas qu'on est rendu un peu loin?  
  
          Au fond, c'est quoi le problème? Les francos veulent préserver la langue et la culture françaises en terre d'Amérique? D'accord. Les anglos veulent avoir le droit d'obtenir des services qui leur sont adressés – dans les deux sens du terme – en anglais? D'accord. Il me semble que ce n'est pas si compliqué. Il doit bien y avoir un terrain d'entente, à la fin.  
  
          Imaginons un moment que les lois sur la langue et la police de l'OLF n'existent pas. Rêvassons un peu et tentons une hypothèse sur ce qui se passerait si tout le monde était libre de s'exprimer dans la langue de son choix. Quid 
  
          Laissez faire vos voisins, le rapport Durham et les bouffonneries de la Société St-Jean-Baptiste et posez-vous simplement la question: comment MOI j'agirais? Quelle langue utiliserais-je?  

          Ben, ça dépend. 

Pas pareil partout 
  
          Ça dépend d'abord du lieu où vous êtes. À Chicoutimi et Rimouski, pas beaucoup de problème. Même chose à Québec, Trois-Rivières et Drummondville. Ce sont des régions plutôt homogènes côté langue. Le français y est largement majoritaire, que ce soit au travail, à l'école ou dans les chaumières. Une fois de temps en temps, il faut se délier le côté anglais pour accomoder un touriste perdu ou le beau-frère de l'Ouest. À part ça, c'est le beau fixe. 
  
          Évidemment, ce n'est pas la même soupe à Montréal. Dans le quartier où j'ai installé mes pénates, c'est carrément moitié-moitié. Tout le monde se débrouille dans les deux langues, et la vie quotidienne semble s'en accomoder plutôt bien. Le train-train, par ici, il fait tchou-tchoow. 
  
          Ça dépend aussi de ce que vous faites pour gagner votre croûte. Plus on pitonne souvent, plus on speake l'englishe. Les logiciels, l'internet, même le manuel d'utilisation de l'imprimante, tout est plus facile à utiliser dans la langue d'origine – il faut voir la qualité des traductions pour s'en convaincre. Même chose pour les gens qui travaillent dans le domaine dit « des services ». Le client est roi, et c'est à nous à nous démerder pour qu'il se sente chez lui dans notre salon. 
  
          Donc, on parle anglais le jour et français le soir. Et puis après? Réalisez-vous à quel point on est choyé de pouvoir s'exprimer dans les deux langues? C'est une richesse considérable, une occasion incroyable d'élargir notre culture – au sens le plus fort du terme. 
  
          Alors, si on était tous absolument libres d'utiliser la langue de notre choix, que ferait-on? Le gros bon sens, c'est quoi? 
  
          Ben oui, certainement qu'on utiliserait la langue « de circonstance ». Et si l'anglais prend de plus en plus de place, que voulez-vous qu'on y fasse? Ce n'est certainement pas une loi qui va empêcher les gens de s'exprimer d'une telle façon pour qu'ils puissent être compris par la majorité. 
  
Préserver: oui, mais... 
  
          Et la préservation du français, dans tout ça? Laissez-moi vous dire un truc: chérir le français, personne n'est plus d'accord que moi là-dessus. Je suis de celles qui tentent de suivre les conseils d'Anatole France: « Caressez longuement votre phrase, et elle finira par sourire ». 
  
          La protection du français passe nécessairement par la volonté INDIVIDUELLE de chaque personne qui l'utilise. Si les francophones y croient vraiment, ils prendront les moyens pour y arriver. Et souhaitons qu'ils le fassent, parce que ce serait vraiment dommage de perdre cette attache culturelle. 
  
          Pour faire une histoire courte: oui à la préservation du français. Pas parce que la loi nous y oblige, mais parce que ça en vaut la peine. Mais pas à n'importe quel prix. 
  
          Pas en échange d'une bureaucratie horriblement coûteuse et qui a le don de se mettre les pieds dans les plats à toutes les deux semaines. Et surtout pas au prix d'un downhill spectaculaire côté qualité. Parlons français: oui. Mais pas n'importe comment, de grâce. 
  
          Et qui sont ceux qui massacrent le plus la langue des héritiers de Molière? Je vous le donne en mille: les militants unilingues francophones. C'est quand même incroyable que ceux qui gueulent le plus pour obtenir des mesures protectrices ne sachent même pas s'exprimer convenablement. « Icitte on parle frança, stie »... ça vous dit quelque chose? 
  
          Que tous les éternels persécutés et autres xénophobes retiennent bien ceci: commencez donc par apprendre votre langue maternelle comme du monde, et tâchez de l'utiliser d'une façon minimalement décente. Peut-être qu'après, on vous prendra au sérieux. 
  
          En attendant, allez vous rhabiller. C'est gênant pour tout le monde. 
  
  
  
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