Montréal, le 7 novembre 1998
Numéro 24
 
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LEMIEUX EN LIBERTÉ
  
PUBLICITÉ ÉLECTORALE:
DES SLOGANS CUCUL
ET DÉNUÉS DE SENS
 
 par Pierre Lemieux
  
  
           Les premières salves de la campagne électorale ont tonné dans la presse du week-end qui précédait l'annonce de l'élection du 30 novembre. Les partis politiques établis se sont dépêchés de publier des réclames qui ne tombent pas sous le coup des « lois » par lesquelles, une fois la campagne officielle déclenchée, ils limitent la liberté d'expression de leurs concurrents. Si on échappe un moment à l'endoctrinement étatiste que nous avons subi toute notre vie, on constate que ces premiers coups de pub sont constitués de slogans vides qui font pâlir les réclames commerciales les plus cucul. 
Moi, j'ai confiance 

          Le Parti Québécois parle sans rire du « modèle québécois », qui n'est pourtant qu'un plagiat grossier (les lois antifumeurs, par exemple) ou exacerbé (exemple: le protectionnisme culturel) de la tyrannie administrative anglo-canado-américaine; du « laisser-faire », qu'il orthographie comme s'il avait appris le français à l'école publique; du « chef néolibéral Jean Charest », alors que celui-ci en sait autant sur le néolibéralisme que Lucien Bouchard sur le marxisme-léninisme tendance Althusser. Le PQ verse quelques larmes sur les pauvres que ses lois prétendent protéger tout en les enfonçant davantage dans la dépendance. Après avoir répété les scies de la « concertation » et de la « solidarité », la pub se termine sur l'épitomé de l'esprit critique New Age: « Moi, j'ai confiance ». 
  
          La référence à l'épouvantail du « néolibéralisme » mérite qu'on s'y arrête. Le terme est employé par les ennemis de la liberté pour décrier l'éventail philosophique qui va des libéraux classiques aux libertariens contemporains. Même si la seconde moitié du vingtième siècle a été marquée par une contestation intellectuelle de l'État qui a placé les étatistes sur la défensive (voir, par exemple, les textes réunis par John T. Sanders et Jan Narveson dans For and Against the State, Londres, Rowman & Littlefield, 1996), ce mouvement est largement ignoré par les fétichistes de l'État et, encore davantage, par les insulaires québécois. 
  
          Je parie cent dollars à Lucien Bouchard qu'il n'a jamais lu vingt pages d'un philosophe ou d'un économiste libertarien; et, à Jean Charest, le même montant qu'il n'a jamais rencontré un libertarien de sa vie. Évidemment c'est une tactique bien connue du Prince que d'inventer des ennemis imaginaires afin de mobiliser et de distraire le bon peuple. Heureusement que le Web est en train de changer cela – ce qui explique pourquoi les étatistes en ont une peur bleue. 
  
          Le PLQ (je m'interdis de l'appeler « libéral » de peur que l'Office de la langue française ne me poursuive pour injure au français) publiait également sa page de propagande dans les quotidiens de ce week-end-là. Cette pub présentait, sur fond de photo du chef, un concentré de slogans tout aussi intellectuellement éclairants que ceux de l'autre parti. On y propose un « changement de cap » après la « Révolution tranquille » avec un grand « r » (flectamus genua); la recherche des « vraies priorités » (enfin!), déterminées dans d'autres officines politiques; un « Québec plus fort », expression d'une profondeur insondable. 
  
Un Québec plus fort 
  
          Qui est « le Québec »? Vous l'avez déjà rencontré(e)? « Plus fort » signifie-t-il que ses flics seront mieux armés? Ou que les femmes ne seront pas passibles de dix ans de prison si elles utilisent du poivre de Cayenne en légitime défense? « Le Québec » est-il un corps social futé, un grand escogriffe avec deux bras nationaux, deux jambes sociales et un zizi collectif? Si cet être existe, nous avons en effet besoin de la « politique zoologique » dont se moquait Émile Faguet(1). 
  
          Il est vrai que le PLQ propose de « réduire les taxes et les impôts », qu'il a lui-même contribué à amener à leur niveau actuel, soit plus de la moitié de ce que les gens produisent et gagnent. On me dira que, dans le système actuel, tout le monde a le droit de faire des erreurs avec la sueur des autres, et qu'on ne peut reprocher à un ancien voleur de se repentir. 
  
          Je vois deux réponses à cette défense du PLQ. Premièrement, nous avons connu plusieurs expériences de politiciens qui, un peu partout dans le monde, ont tenté de récupérer les désillusions et le mécontentement de la population avec des bouts d'idées libérales et des recettes trafiquées de marché libre. Or, ils ont généralement réussi non pas à stopper la croissance du Pouvoir mais plutôt à nous pousser plus vite sur la pente de l'État policier. 
  
          Deuxièmement, le système actuel souffre de problèmes de fond qu'on ne réglera pas avec des sparadraps. Par exemple, ce n'est qu'une diversion de privatiser les buanderies des hôpitaux alors qu'on continue de prohiber par la force les assurances privées qui feraient concurrence au régime public (article 11 de la loi sur l'assurance hospitalisation de 1961, article 15 de la loi sur l'assurance maladie de 1970). 
  
          Sauf erreur, ou sauf si quelque chose m'échappe dans les débats intellectuels des trente dernières années, M. Charest n'a rien d'un libertarien; il n'est même pas libéral au sens classique et français du terme. S'il a quelque opinion, il est plutôt conservateur: il souhaite conserver l'actuelle tyrannie douce, sans trop y ajouter mais sans en retrancher rien d'essentiel non plus. 
  
          Pour qui n'est pas myope comme un politicien, le concours de slogans cucul qui s'amorce avec la campagne électorale suggère des questions d'un tout autre ordre – questions que Auberon Herbert soulevait avec brio à la fin du siècle dernier. Combien de temps peut-on maintenir une apparence de paix dans un système politique où une majorité, forte de ses lois appliquées par des hommes armés, impose son bon plaisir aux minorités? À quel moment les jeunes réaliseront-ils qu'on les a trompés et qu'ils n'ont plus de moyens légaux de se défendre? Jusqu'à quand préviendra-t-on les événements de Cowansville que rapporte mon petit texte de politique fiction sur l'Histoire de la carte d'identité au Québec? 
  
          La publicité électorale du week-end témoigne de la similarité profonde des deux partis politiques qui se disputeront les faveurs d'un électorat endoctriné ou (comme disent les économistes) « rationnellement ignorant ». Ce n'est pas un hasard si l'on passe si facilement du Parti Conservateur au Bloc Québécois, au PQ ou au PLQ. 
  
          Au petit électeur fiché sur une liste permanente et muni du passeport intérieur que constituent son permis de conduire et sa carte d'assurance maladie, on demandera d'exprimer sa préférence, au moyen d'une voix symbolique sur trois millions, entre les Hells Angels et les Rock Machine, entre la tyrannie tranquille représentée par M. Charest et le fascisme soft proposé par M. Bouchard. Ou peut-être est-ce l'inverse. 
  
  
1 Émile Faguet, Le libéralisme, Paris, Société Française d'Imprimerie et de Librairie, 1902, p. 32 et passim.   
  
  
 ©Pierre Lemieux 1998 
 
 
 

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