Montréal, le 7 novembre 1998
Numéro 24
 
(page 7) 
 
 
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            Vos réactions         
 
 
 
 
 
 
     « En politique comme en cyclisme, le surplace n’est pas une position  
idéale d’équilibre. »   
    
Gérard Bergeron
  
  
 
 
 BILLET
  
AIMONS-NOUS
LES UNS, LES AUTRES
  
par Brigitte Pellerin
   
  
          Vous allez peut-être me trouver gnagna, mais j'aime bien, à l'occasion, les histoires qui finissent bien. C'est réconfortant, apaisant et ça remet, si vous me passez l'expression, sul' piton.  
  
          Je ne dois pas être la seule, remarquez. Vous avez vu le nombre incroyable de livre-bouillon-de-poulet? Ça se vend comme des petits pains chauds, ces machins-là. Et il y en a pour tous les goûts: des amoureux éconduits aux admirateurs de la loutre marine, en passant par les adolescents aux mille et un bourgeons. Peu importe votre problème, il y a une solution.  
  
          Ouais. Vous y croyez, vous?  
 
Par dessus les eaux troubles 
 
          Je suis tombée l'autre jour sur le petit bouquin écrit par Éric Bédard, Le Pont entre les générations*. Le groupe de recherche du même nom, officieusement basé à l'Université de Montréal, rassemble toutes sortes de monde: « des gens de toutes générations et de toutes sensibilités politiques et sociales », m'apprend l'endos du livre. Un véritable petit melting-pot local, quoi. 
  
          Leur démarche est assez rafraîchissante et surtout bien documentée. C'est écrit dans un français respectable et le format – 150 pages – est plutôt agréable. Jusqu'ici, ça baigne. 
  
          Leur principale préoccupation: la désastreuse cassure entre les générations et la tendance haïssable des décideurs à favoriser le présent contre l'avenir. En d'autres termes, ils s'inquiètent de ce que 1) les plus jeunes soient sous-représentés dans les milieux de travail ainsi que là où les décisions se prennent; et 2) qu'on ignore sans considération les aînés, en les envoyant trop tôt à la retraite, gaspillant ainsi bêtement ce réservoir d'expériences et de connaissances. 
  
          L'idée est bonne, excellente même. J'embarque. C'est vrai qu'on devrait pouvoir se parler et collaborer entre groupes d'âge, au lieu de s'isoler chacun de notre côté en maugréant contre les baby-boomers à-qui-on-reproche-toujours-tout. Le disque, il commence à être usé; et rien ne permet de penser qu'accuser systématiquement la même gang puisse donner des résultats satisfaisants. 
  
          Alors, on fait quoi? Qu'avez-vous à nous proposer? 
  
          C'est ici qu'ils me perdent. Ce qu'ils trouvent à dénoncer, ce sont « certaines pratiques sournoises qui conduisent à l'injustice, telles que la retraite anticipée, le gel de l'embauche et les clauses orphelin ». 
  
          Pensez-y deux minutes, et dites-moi ce qu'il y a de commun entre ces « pratiques ». 
  
          Ben oui! On parle du plus gros employeur – encore et toujours lui – l'État. On n'en sort pas; le monde tourne autour de lui. Et tandis qu'on y est, on remâche un peu la même vieille gomme du déficit zéro et de l'assainissement des finances publiques qui, bien que nécessaires, nous cassent un peu les pieds. 
  
Une solution un peu vague 
  
          On joue au passage une petite toune sur les clauses orphelin ainsi que sur la mauvaise vision des employeurs qui leur fait prendre les « acquis sociaux » pour des atteintes à la productivité et à la compétitivité. 
  
          Whôôaa, c'est que ça se dégonfle vite, l'enthousiasme. Le mien est définitivement parti se coucher, soudainement fatigué par le prêchi-prêcha qui rappelle par moments, en plus poli et en mieux écrit, les sorties de Léo-Paul Vous-savez-qui. 
  
          À partir d'ici, on ne parle plus que de « choix d'avenir; des choix justes et généreux où tous, jeunes et plus vieux, ont leur rôle à jouer. » On ne cesse de réclamer plus de solidarité et de justice sociale. Je veux bien, mais c'est un peu vague, leur affaire. 
  
          « En repérant des terrains concrets d'injustice où la jeune génération fait les frais de la courte vue des décideurs, nous espérons enclencher une nouvelle dynamique. Nous voulons croire que, en dénonçant l'iniquité dont sont victimes les jeunes et en proposant aux aînés des voies d'avenir, nous sommes en mesure de définir des pistes d'action. » (p. 148) 
  
          Faire appel à notre bonne volonté, c'est bien. Mais il faut se donner la peine de mettre un peu de viande autour de l'os. Comme c'est là, il n'y a rien de bien solide comme argument, et on a la désagréable impression de pédaler dans le vide. 
  
          C'est peut-être ce qui arrive quand on est trop nombreux et surtout trop différents. À force de discuter pour trouver un « consensus », on en arrive à ne plus rien dire. À trop vouloir se mettre d'accord, on n'a d'autre choix que de descendre jusqu'au plus bas commun dénominateur. 
  
          Ça donne ce que ça donne: beaucoup de voeux pieux. Personne n'est contre la générosité et le partage. Tout le monde préfère que ça aille bien plutôt que mal. Sauf qu'on n'avait pas besoin de payer 15$ pour le lire, si vous voyez ce que je veux dire. 
  
          Et paix sur terre aux hommes qui s'aiment.
  
  
(*) Bédard, Éric, Le Pont entre les générations, Les Intouchables, 1998   
 
 
 
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