Montréal, le 6 février 1999
Numéro 30
 
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COLLABORATION
 
LE VIRAGE DES RÉGIONS
  
par Claire Joly
  
  
          Il y a presque un an, le gouvernement créait le ministère des Régions. Le ministre des Régions d'alors, Guy Chevrette, déclarait à cette occasion que « nous passons de la parole aux actes en respectant notre engagement de donner plus de pouvoirs aux communautés locales et régionales du Québec ». Qu'en est-il réellement? Le Québec se trouve-t-il véritablement sur la voie de la décentralisation? 
 
 
Partenariat structurant 
 
          Quelques minutes suffisent pour comprendre que nous n'avons pas affaire ici à une véritable décentralisation des pouvoirs. Pour le gouvernement en place, « décentralisation » ne signifie pas « désengagement de l'État » ou encore moins « abdication du centre ». Au contraire, seule une relation différente entre l'administration centrale et les régions est apparue. On parle maintenant de partenariat entre l'État et les collectivités intéressées à prendre en charge leur développement local et régional. L'argent provient toujours de Québec qui a son mot à dire dans l'allocation générale des ressources par le biais de grandes orientations et de politiques. Les dollars reçus après la signature d'Ententes-cadres de développement sont ensuite affectés à des projets précis par des instances plus près des establishments locaux et régionaux. L'État garde un oeil vigilant sur ses ouailles.  
  
          Le ministère des Régions est en fait une gigantesque hydre bureaucratique. Il est lui-même composé de la Direction générale de l'Administration, de la Direction générale des politiques et programmes ainsi que de dix-sept bureaux régionaux, chacun étant dirigé par un sous-ministre adjoint. Aussi, plusieurs dizaines de CLD (centre locaux de développement) ont été créés, un rôle plus important a été donné aux CRD (centre régionaux de développement), les intervenants ministériels en régions sont réunis au sein de la CAR (conférence administrative régionale). Ajoutons à cela une table régionale des députés et une Table Québec-régions. N'en jetez plus, la cour est pleine. Il ne fallait pas s'attendre à autre chose de politiciens qui considèrent la société comme un énorme jeu de mécanos qu'il s'agit d'assembler et de désassembler selon ce qu'ils jugent être approprié pour leurs petits sujets.  
   
Solidarité discordante 
  
          Le projet de loi 171 qui donnait naissance au ministère des Régions fit d'abord l'objet de consultations particulières devant la Commission de l'aménagement du territoire, dans la plus pure tradition de ce gouvernement, tradition qui se rapproche trop souvent du corporatisme.  
  
          Durant les consultations, une voix s'élève, discordante, en opposition à ce projet. Il s'agit de celle de Jacques Proulx, président de Solidarité rurale du Québec. C'est avec un à-propos étonnant qu'il déclarait lors de son passage en Commission parlementaire: « pour dire vrai et aller droit au but, Solidarité rurale du Québec considère que ce ministère vient tisser une nouvelle toile d'araignée sur le Québec dont le point central est toujours le Gouvernement du Québec. » À cette occasion, M. Proulx prétendait également que la décentralisation « n'est pas une panacée mais seulement l'opportunité d'affranchir les communautés en permettant à leurs membres de se comporter en adultes responsables de leur destin. Mais on nous préfère en adolescents, chialeurs et quémandeurs ».  
  
          Le hic est que le coloré Jacques Proulx, ancien président de l'Union des producteurs agricoles, préférerait traire la vache à lait étatique lui-même. Il souhaite une redistribution d'argent de Québec directement vers les communautés. Par contre, il ne semble pas trouver contre-productif, comme beaucoup d'autres, qu'une quantité gigantesque de ressources financières (dont une partie sert à défrayer le salaire de fonctionnaires et à engraisser leur fonds de pension) doivent nécessairement faire un détour par Québec ou Ottawa avant de revenir dans les régions.  
  
          On n'entend plus protester Solidarité rurale avec autant de véhémence sur la question de la décentralisation vers les régions, et pour cause!(1) On apprend dans le site web du ministère des Régions que, depuis le dépôt de son mémoire en commission parlementaire, Solidarité rurale du Québec est désormais un « partenaire » de ce ministère et a été mandatée par décret gouvernemental afin de « conseiller le gouvernement sur la problématique particulière des milieux ruraux et le développement des communautés en milieu rural ». À cette fin, « un budget de fonctionnement et d'études » de 1,2 M$ sur trois ans lui est versé. Les adolescents chialeurs et quémandeurs ont obtenu une part du gâteau...  
  
          Afin de se comporter en « adultes responsables de leur destin », un sevrage radical de tous ces individus encore au biberon est nécessaire. La solution ne consiste pas d'abord en une simplification de l'appareil gouvernemental, tel que nous le connaissons, ou en une amélioration de l'efficacité de ses services. Seules une réduction de la taille de l'État et une redéfinition radicale de ses domaines de compétence permettront une véritable décentralisation des pouvoirs et une réelle prise en charge, par les gens, de leur milieu; ceux-ci investiront alors leur propre énergie et leur propre argent dans des projets qui répondront à leurs besoins et qui leur tiendront à coeur. 
  
 
1. Depuis la rédaction de cet article, Solidarité rurale du Québec a remis un avis 
     au ministre responsable des régions, Jean-Pierre Jolivet, le dimanche 7 février 1999. 
     Dans cet avis, l'organisme est très critique envers la politique de développement régional 
     du gouvernement du Québec, dont Jacques Proulx qualifie les résultats de lamentables. 
     Il accuse également le gouvernement provincial d'être aussi centralisateur envers les régions 
     que l'est Ottawa envers Québec. Cependant, les autres critiques adressées à Solidarité rurale 
     dans cet article demeurent valides.  
 
 
  
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