Montréal, le 20 février 1999
Numéro 31
 
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     « Fear always spring from ignorance. »  
 
Emerson
  
 
 
 
 
BILLET
  
L'ARGENT, LE FRIC
ET LES BIDOUS
  
par Brigitte Pellerin
   
  
          Ah, lalilala, comme disait Ionesco, qu'on me piche la faix! J'en ai par-dessus la tête d'entendre parler d'argent tout le temps. Comme on en manque cruellement à gauche, comme on s'apprête à en pelleter à droite, comme personne ne se demande (ben oui, tiens) d'où elle vient, cette foutue oseille. À se demander si on s'empêche de poser les seules questions pour lesquelles la réponse 1) existe et 2) est mauditement facile à trouver.  
  
          J'en peux juste plus.  
  
          Le bouchon du presto frétille dangereusement, la moutarde me monte au nez, j'ai la couette qui se défrise malgré le crachin hivernal et de l'urticaire qui menace mon coude gauche. 
 
 
Des engorgements bien à nous 
 
          Aladin avait un petit génie; Cendrillon, un Prince Charmant. Nous autres, on n'a que de l'argent socialisé et une culture distincte. Sauf qu'il y a une différence entre les histoires à dormir debout et celles qui nous font brailler de rage. Oh, une toute petite nuance, rien de bien important si on compare avec le suspense des Oscars, mais tout de même...  
  
          C'est bête, vous allez me dire, mais de nos jours et dans nos histoires-à-nous, on a oublié de mettre un peu de magie dans la vinaigrette.  
  
          Que je m'explique.  
  
          La grosse affaire, ces temps-ci (comme à chaque année, à croire que la St-Valentin fout le bordel juste pour le fun), c'est l'engorgement des urgences. Engorgement, que dis-je, ça déborde de partout: les malades en jaquette traînent n'importe comment, on s'enfarge dedans dans les corridors – quand ce n'est pas le poteau-à-sérum qu'on envoie valser sur le patient voisin –, et il n'y a plus d'espoir de trouver un médecin encore sain d'esprit ou une infirmière avec un mascara qui tienne en place.  
  
          Bref, et pour reprendre une vieille expression que je n'ai pas utilisée depuis l'époque de mon premier décrochage scolaire: TOUT LE MONDE CAPOTE. Mme Marois débloque en vitesse des fonds d'urgence (hon, que c'est bien choisi) pour rétablir la situation, ou pour l'empêcher de virer carrément au zoo, c'est selon. Encore que...  
  
L'union, c'est la santé 
  
          Un autre sujet amusant, bien qu'il commence à s'user un peu, c'est celui de l'union sociale. Signe, signe pas, plus d'argent, moins d'argent. Plus personne ne sait de quoi il retourne, mais on doit tout de même noter deux constantes: 1) si on avait plus d'argent à dépenser (Hellooo, Paul Martin?), ça irait drôlement mieux et 2) peu importe ce que le reste du pays fait, le Québec, juste pour faire suer et passer plus souvent que les autres à la télé, fait différemment.  
  
          Pour faire une histoire courte, et pour vous prouver que je sais où je m'en vais avec tout ça, disons qu'un Martien qui débarquerait chez nous aurait très vraisemblablement un grand et immédiat élan de sympathie pour nous, tellement qu'il s'empresserait d'aller dévaliser une banque pour nous en offrir, illico, le moton sur un plateau d'argent.  
  
          Pourquoi?  
  
          Parce que, voyez-vous, il semblerait que ce soit là le noeud de l'affaire. Si on en avait plus, on aurait moins de problèmes. Si on n'avait pas coupé dans les budgets depuis deux ou trois ans, ça irait mieux. Si on n'avait pas « forcé » les gens à prendre une retraite, il y aurait plus de travailleurs.  
  
          Si on était moins malheureux, on serait plus content.  
  
          Avant que je ne m'enfonce trop avant dans les énormités et que je vous annonce que cet été, il fera plus chaud que le mois dernier, je reviens à mon sujet de préoccupation de la semaine: la grande sacoche publique. Ou comment on arrive à dépenser toujours plus sans jamais se demander si on dépense comme du monde.  
  
          Ou comment on ne semble jamais se poser la question suivante: « On a-tu vraiment besoin de tout ça? » 
  
Visa ou... next? 
  
          Vous êtes-vous déjà demandé ce qui jammait ainsi les corridors les plus propres en ville? Comment ça se fait qu'il y a toujours plus de monde « malade »? Pourquoi on se refuse obstinément à remettre en question ce système qui a plusieurs fois fait la preuve qu'il ne marche qu'en boîtant?  
  
          Premièrement parce qu'on a peur. Peur de se retrouver un jour malade ou accidenté et d'avoir à sortir sa Visa Gold pour recevoir les soins nécessaires. Peur de devoir attendre huit ans avant de se faire enlever les amygdales.  
  
          Et deuxièmement parce qu'on est trop paresseux pour prendre nos responsabilités. Pour votre information, une grande partie du problème se réglerait rapido-presto si on enlevait des lits d'hôpitaux les personnes âgées qui ne sont pas malades mais plutôt en attente d'une place en centre d'accueil, et qu'on les retournait dans leurs familles, là où elles devraient être.  
  
          L'autre gros morceau serait qu'on se prenne en mains et qu'on arrête de se garrocher à l'urgence pour la moindre montée de fièvre, ou parce qu'on s'ennuie à crever devant les reprises à la télé.  
  
          Ouais, je sais. C'est fatiguant tout ça. Ça s'appelle se donner du trouble. Et qui, de nos jours, a envie d'embarquer là-dedans? C'est tellement plus facile de s'en laver les mains et de laisser le système public s'en charger.  
  
          Tellement plus facile, mais un tantinet plus dispendieux... 
 
 
 
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