Montréal, le 6 mars 1999
Numéro 32
 
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COLLABORATION
  
TESTOSTÉRONE ET CONTRÔLE DES ARMES
  
par Claire Joly, Marie Latourelle,
Maryse Martin et Karen Selick
  
  
          Cet article a été publié dans Le Devoir le 19 février dernier en réponse à un autre de la députée bloquiste Pierrette Venne. Claire Joly est collaboratrice au QL, Marie Latourelle et Maryse Martin sont étudiantes en économie et Karen Selick est avocate et chroniqueure au magazine Canadian Lawyer  
   
          Deux jours plus tard, Mme Venne était interviewée sur les ondes de CKVL et répliquait avec l'arme des faibles à cours d'arguments: le character assassination. Les premières minutes de cette minable réplique sont retranscrites à la suite de l'article et valent la peine d'être lues.
 
 
          En tant que femmes et individus, nous proclamons haut et fort notre opposition au contrôle des armes et à la diatribe sexiste et méprisante de Pierrette Venne dans Le Devoir du 6 février. Tout d'abord, les objections aux lois prohibitionnistes en vigueur au Canada ne sont pas l'affaire de « quelques membres du “sexe fort” en excès de testostérone ». Ensuite, comme elle le soutient également, si l'objectif fondamental de C-68 est la protection du public, cette loi rate complètement la cible.  
 
          Contrairement à ce que Mme Venne avance, la libéralisation du port d'armes n'engendrerait pas une société où régnerait une mentalité de cow-boys. Au contraire, dans les 31 États américains où le port d'armes est maintenant légal, seuls 2% à 5% des citoyens éligibles choisissent de demander un permis. Ce petit nombre de citoyens armés, pas plus irresponsables ou incapables que les politiciennes qu'ils élisent, suffit à exercer une dissuasion importante sur les criminels violents.  
  
          Par exemple, au Vermont, tout citoyen adulte qui n'a pas été reconnu coupable d'un crime a le droit de porter une arme dissimulée sans autorisation administrative. Plusieurs Canadiens auront remarqué que les gens ne s'entre-tuent pas dans les rues de cet État plutôt paisible. Plus généralement, les taux de crimes violents sont 81% plus élevés dans les États américains où le port d'arme est réglementé plus sévèrement.  
 
1 500 meurtres et 4 000 viols de moins 

          Comme d'autres avant lui, l'économiste John Lott montre dans une étude économétrique majeure (More Guns, Less Crime, Chicago, University of Chicago Press, 1998) que la disponibilité des armes à feu entraîne beaucoup moins d'accidents qu'il prévient de crimes. Il semble également que la disponibilité des armes n'a pas d'incidence sur les taux de suicide. Si les gens, les jeunes notamment, n'ont pas accès à une arme pour s'enlever la vie, ils utiliseront un autre moyen pour se suicider – la pendaison par exemple. Pour illustrer ce fait, nul besoin de se référer à quelque étude américaine, puisque des fonctionnaires du Conseil permanent de la jeunesse l'ont brillamment illustré, sans le vouloir ni s'en rendre compte, dans un rapport de recherche intitulé Le point sur la délinquance et le suicide chez les jeunes (Québec, 1995).  
  
          L'étude de Lott nous apprend également que, si le port d'arme avait été libéralisé partout aux États-Unis en 1992, quelque 1 500 meurtres et 4 000 viols auraient été évités cette année-là. Voilà qui est intéressant. En général, les règlements restreignant le port d'armes desservent principalement les personnes les plus vulnérables à la violence et les moins en mesure de se défendre en combat corps à corps, notamment les femmes et les personnes âgées.  
  
          Paradoxalement, pour notre sécurité nous dit-on, les élus s'acharnent à dépouiller les honnêtes citoyens de leur droit de légitime défense. (Précisons que la légitime défense ne signifie pas le droit de se faire justice à soi-même après le fait.) Les lois canadiennes ont atteint un tel degré de ridicule en ce domaine qu'il est interdit à quiconque de posséder une bonbonne de poivre de Cayenne pour se protéger contre un agresseur humain, sous prétexte que ce petit appareil pourrait être utilisé pour commettre des actes criminels. Ce moyen de défense relativement inoffensif constitue une « arme prohibée » au sens de la loi au Canada depuis plus de vingt ans. Par contre, la GRC l'utilise allègrement pour disperser des manifestants.  
  
Le droit à la légitime défense 
  
          Que faire quand on est une femme et que l'on craint pour sa sécurité ou pour celle de ses enfants? Va-t-on assigner un garde du corps à chaque femme qui en fait la demande? Bien sûr que non. Que faire lorsque notre travail nous oblige à circuler tard la nuit? En sécurité dans un Parlement bien gardé, les députés comme Mme Venne s'attendent-ils à ce que les femmes s'arment de rouleaux à pâte? Devrait-on se résigner à se laisser violer avec le sourire?  
  
          Même si la loi le permettait, ce ne sont pas toutes les femmes qui choisiraient de porter un revolver dans leur sac à main ou d'en garder un dans leur table de chevet. À chacune de décider si elle se sent menacée au point de prendre une telle mesure pour assurer sa sécurité. Une chose est certaine toutefois: malgré toutes les lois et tous les contrôles, une femme ne pourra jamais compter sur l'État et sa police pour se protéger d'un prédateur sexuel qui l'attaque dans un parking souterrain ou d'un ex-conjoint violent qui entre chez elle armé d'un couteau de cuisine.  
  
          Les femmes sont tout à fait compétentes pour assurer leur légitime défense, pourvu que la loi ne les transforme pas en criminelles si elles emploient des moyens efficaces à cette fin. Au Canada, c'est depuis les contrôles des armes de 1977 et de 1991 que nous avons perdu ce droit. Pourtant, contrairement aux mythes en vogue, des études criminologiques démontrent que l'autodéfense avec une arme à feu est efficace (voir par exemple Carol Ruth Silver and Don B. Kates, « Self-defense, Handgun Ownership, and the Independence of Women in a Violent, Sexist Society » in Don B. Kates, Restricting Handguns. The Liberal Skeptics Speak Out, North River Press, 1979).  
  
          Il est inacceptable que des bien-pensants qui se sont donné le monopole de la vérité dépouillent hommes et femmes de leur dignité en même temps que de leur droit de légitime défense – qu'ils l'exercent en pratiquant le kung-fu, en s'armant d'un revolver ou d'une bonbonne de poivre de Cayenne selon ce qu'ils jugent approprié pour assurer leur sécurité dans des circonstances qu'eux seuls connaissent et comprennent. 
  
  
 
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LA RÉPLIQUE DE LA DÉPUTÉE: 
 
 
(...)  
RICHARD DESMARAIS (animateur): La députée bloquiste Pierrette Venne est en ligne avec nous. Madame Venne bonjour. 
 
PIERRETTE VENNE: Bonjour. 
 
RICHARD DESMARAIS: Êtes-vous un peu surprise de ces réactions? 
 
PIERRETTE VENNE: C'est-à-dire qu'effectivement, lorsque j'ai lu l'article, et que j'ai regardé surtout le nom des auteures... que j'ai vu que c'était des femmes, j'ai été éffectivement surprise, parce qu'on sait que dans la population en général les femmes sont pour le contrôle des armes à feu. 
 
RICHARD DESMARAIS: C'est ça. Alors les femmes sont pour, ça semblait une idée politiquement facile à véhiculer, vous étiez pour vous aussi. Et puis là vous voyez qu'il y a une espèce de tendance un peu contraire? 
  
PIERRETTE VENNE: C'est pas parce que c'est une idée facile à véhiculer, c'est parce que je suis concernée par la chose, que j'ai moi-même des armes à feu et que je vais moi-même à la chasse. Ceci étant dit, j'ai regardé qui étaient ces personnes-là parce que ça m'a intriguée. Et il y en a une, entre autres, qui mentionne qu'elle a un site... un cybermagazine. Alors je suis allée voir dans ce cybermagazine et j'ai constaté que le directeur de ce magazine était un dénommé Martin Masse, qui est un réformiste qui s'est présenté aux dernières élections partielles en mars 96 ici au Québec, qui a travaillé pour le Parti réformiste... Alors on voit un peu, là... 
(NDLR: Martin Masse n'est plus impliqué au Parti réformiste depuis avril 1997. Voir sa Page du directeur) 
  
RICHARD DESMARAIS: La tendance. 
  
PIERRETTE VENNE: ...la tendance effectivement. Parce que quand je lisais l'article, je me suis dis: “c'est du National Riffle Association ça, tout cru”. Et effectivement, c'est ce qu'on constate en allant voir le site internet. Et puis aussi, dans ce... dans les collaborateurs de ce fameux cybermagazine, il y a un dénommé Lemieux qui, évidemment, tire à peu près sur tout ce qui bouge. Chaque fois qu'on parle d'armes à feu, il est toujours là. Il a même écrit un livre là-dessus.  
  
Alors, j'ai donc compris d'où venaient ces femmes-là. Et j'ai eu l'impression qu'on les utilisait, pour me répondre, plutôt que ces mâles-là me répondent directement. J'ai eu l'impression que les gars avaient peur de me répondre parce que ça paraissait moins bien. Alors, ils ont utilisé des femmes. Et je vous dis honnêtement, ça m'est déjà arrivé en politique de me faire utiliser par des hommes et je sais exactement le prix qu'on en a à payer. Alors, si c'est le cas, je serais un peu gênée. 
(...)
 
 
 
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