Montréal, le 26 juin 1999
Numéro 40
 
  (page 4) 
 
 
  page précédente 
            Vos commentaires           
 
 
 
 
 
 
 
 
NOVLANGUE
  
     « Canadians have lived with 20 to 25 years of rising taxes. What we've got to do is give Canadians the confidence that they'll be living through 20 to 25 years of declining taxes. » 
  
Paul Martin
min. fédéral des Finances
 
(Source: National Post) 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
LIBRE EXPRESSION
  
CINÉMA, CINÉMA
 
 par Gilles Guénette
   
   
          Le président de la Motion Picture Association of America, Jack Valenti, était de passage à Montréal dernièrement dans le cadre d'une conférence sur la mondialisation de l'économie. Invité à débattre de culture, il a déclaré qu'aucune loi ni règlement de l'État ne produira jamais une industrie de la télévision et du cinéma prospère, et que la protection de la culture était avant tout l'obligation des citoyens de chaque pays et non celle des gouvernements.  

          Une position à mille lieux de celle de notre élite politique qui, pour l'occasion, était représentée par le ministre du Développement des ressources humaines Pierre Pettigrew qui remplaçait à pied levé la ministre Sheila Copps du Patrimoine canadien – sans doute, se remettait-elle encore de l'accord conclu avec les États-Unis dans le domaine des magazines. En gros, M. Pettigrew a défendu les mesures protectionnistes culturelles du Canada en déclarant que la diversité culturelle était menacée dans un contexte de mondialisation économique et qu'il fallait à tout prix se protéger contre les effets néfastes du « monoculturalisme » américain. 

          Nos politiciens nous répètent ad nauseam que nous sommes menacés par la culture américaine et qu'il est impératif de se doter de mécanismes de protection pour s'assurer un accès direct à des contenus canadiens de qualité. Statistiques en mains, ils nous rappellent constamment que l'américanisation nous guette et que nous les appuyons dans leurs démarches interventionnistes. Comment se fait-il alors que notre industrie du cinéma est si mal en point et que nous n'en consommons pas les produits? 

 
 
Histoires en quête de personnages 

          Essayez de vous rappeler du dernier film canadien anglais que vous avez vu. Hum... Ou bien vous n'avez pas de mémoire, ou bien vos souvenirs ne vous plaisent pas particulièrement. Si rien ne vous vient à l'esprit, ne vous en faites pas! Inutile de culpabiliser, vous faites partie de la majorité, aussi bien québécoise que canadienne. Les artisans qui oeuvrent dans ce domaine ont beau recevoir des tas de trophées et faire l'objet de toutes sortes de reconnaissances un peu partout dans le monde, rien n'y fait. Ce cinéma ne plaît qu'à quelques intellectuels, critiques de journaux branchés et membres de jurys d'obscures festivals internationaux. Mais pourquoi ne plaît-il pas... aux Canadiens? Tentons l'autopsie.  

          Ce qui saute aux yeux, en premier lieu, c'est le caractère plutôt austère des thèmes abordés dans le cinéma canadien. Comme dans le cas des films tournés pour la télé présentés à la CBC (voir: ANACHRONIQUE TÉLÉ PUBLIQUE, le QL no 38), les histoires qui y sont racontées sont souvent trop sombres ou tordues pour plaire à un large public. Rarement elles sont légères. Encore moins divertissantes. Et la plupart du temps, elles se terminent de façon tragique ou tout simplement en queue de poisson. 

          Elles mettent en scène des personnages victimes de leur environnement, qui réussissent rarement à obtenir ce qu'ils désirent et qui ne sortent presque jamais transformés par ce qu'ils vivent. Ces personnages sont bien souvent des marginaux et ont de la difficulté à fonctionner en société. Loin d'être « normaux », ils mènent des vies effacées dans lesquelles ils accomplissent peu d'actions positives pour eux ou leurs proches. Ils sont tantôt mentalement déséquilibrés, tantôt socialement mésadaptés, tantôt sexuellement perturbés, tantôt émotionnellement handicapés. Difficile pour Monsieur et Madame Tout-le-monde de s'y identifier.  
  
          Et s'ils vont au cinéma ces Messieurs et Mesdames Tout-le-monde, ce n'est certainement pas pour déprimer ou tenter de sonder les profondeurs de l'esprit d'un auteur. Ils vont au cinéma pour se changer les idées, pour passer le temps, pour s'évader du quotidien, pour vivre des émotions fortes, pour socialiser, pour meubler d'éventuelles conversations, pour assouvir leur côté voyeur... pour voir leurs acteurs favoris. Car s'ils vont au cinéma, c'est aussi pour les voir évoluer sur écran géant. 

L'importance de l'étoile  

          Le cinéma d'auteur, comme son nom l'indique, est un cinéma dont le succès repose sur la notoriété de son réalisateur et non sur celle de ses acteurs. S'il a connu de belles années, de façon générale, c'est de moins en moins vrai. Et ce, à travers le monde. Ce qui se fait maintenant, c'est du film « d'acteurs ». On ne va plus voir le dernier Polanski ou le dernier Scorsese. Avec les années, la popularité des réalisateurs a été remplacée par celle des acteurs. On va voir le dernier De Niro ou le dernier Depardieu. Cette nouvelle réalité repose sur un star system bien établi. 
 
 
 « Malgré toutes les centaines de millions de dollars qui nous sortent des poches, on n'est pas foutu de nous présenter des films qui vaillent la peine d'être vus. »
 
  
          Si le Québec possède son star system, on ne peut pas en dire autant du Canada anglais. Rien qu'à voir l'accueil qu'ont réservé les chroniqueurs anglophones à Julie Snyder et son émission Le poing J lorsque le réseau TVA est devenu national, on comprend mieux le manque. Leur message en substance: le Canada anglais a besoin d'un Poing J. Un talkshow où les vedettes viendraient ploguer leur dernier projet, l'un à la suite de l'autre. La formule peut sembler simpliste, mais combien révélatrice. Pour diffuser une telle émission, encore faut-il avoir des invités à présenter. 

          Bien sûr le Canada anglais a ses stars du cinéma. Mais, elles sont trop souvent du mauvais côté de la caméra. Les stars du Canada anglais sont les réalisateurs, les scénaristes, les artisans... les Atom Egoyan, David Cronenberg, Don McKellar, etc. Des gens que vous ou votre mère croiseriez dans la rue sans jamais les reconnaître. Il y a très peu de comédiens qui jouissent d'un semblant de notoriété en dehors du Québec. Comment se constituer un auditoire alors sans spectacle à présenter? 

          Les films du Canada anglais manquent donc d'histoires attrayantes et de comédiens reconnaissables. Un manque total d'attrait. Et contrairement à la ministre Copps qui nous les casse depuis quelques années avec ses histoires canadiennes, personne ne se lève le matin en se disant: « Chérie, on devrait aller voir un bon film canadien ce soir. »  Ou: « Tiens, ça fait longtemps que j'ai pas vu un film canadien moi! Je serais dû. » Le nationalisme ne fait pas nécessairement du bon cinéma. Les projets privilégiés par nos bureaucrates non plus.  
  
Mettre fin au cinéma « dépendant »  
  
          Si les produits culturels américains sont souvent moyens, ils ont l'avantage d'être financés par le secteur privé. S'ils n'attirent personne et ne font pas leurs frais, ça n'a de répercussions que sur une poignée d'investisseurs. Au Canada, tous les produits culturels sont financés par le secteur public. Et quand ils ne font pas leurs frais, c'est l'ensemble des contribuables qui écopent. Chaque année, des centaines de millions $ de nos taxes y passent – il faut bien que quelqu'un paye pour tous ces programmes d'aide au cinéma, à la télévision, aux magazines, aux éditeurs, aux entreprises, aux producteurs de cédéroms, aux musiciens...  

          Pourtant, on ne voit pas le centième de ce qui se fait en art au Canada. Et malgré toutes les centaines de millions de dollars qui nous sortent des poches, on n'est pas foutu de nous présenter des films qui vaillent la peine d'être vus. On nous prend tout cet argent pour financer un cinéma d'auteur destiné à un minuscule auditoire de quelques centaines de personnes bien « profondes » qui autrement ne pourraient pas se payer ce genre de cinéma trop « songé » pour la masse. 

          À part ces quelques centaines de personnes, tout le monde y perd. Vous et moi avec l'argent qu'on nous soutire, et les cinéastes avec les entraves que le système leur impose. Prenez le cas de Pierre Falardeau(*) au Québec. Depuis des années, il tente de tourner son film 15 février 1839 sur le patriote de Lorimier mort pendu. Le cinéaste est séparatiste. Le gros du financement vient d'Ottawa. Les politiciens ont beau dire que leurs organismes sont politiquement neutres, on n'encourage pas la réalisation d'un produit dont le seul but est de nous discréditer – c'est vrai pour Ottawa, c'est vrai pour le Québec. Alors des pressions sont exercées, des décisions sont adoptées, et les projets sont rejetés. 

          Souvenez-vous de la controverse entourant les films Bubbles Galore et The Girl who would be King, deux films canadiens subventionnés et mettant en vedette 1) une pornographe féministe qui tente de redorer l'image de la femme dans l'industrie du film porno et 2) une lesbienne du genre « drag king » à la recherche de ses propres parties génitales (c'est dans le synopsis). Comme à l'habitude, Sheila Copps est tombée des nues en apprenant à quoi avait servi l'argent des contribuables. Pressée de s'expliquer à la Chambre des communes, elle a déclaré: « This is certainly one of these very serious cases where I would very much like to shorten the arm's-length relationship that exists with the Canada Council and other agencies. »  Indépendants vous dites! 

          Dans un marché privé, ces réalisatrices n'auraient pas à justifier leurs choix artistiques ou à expliquer – en trois exemplaires SVP – les motivations profondes du personnage principal de leurs contes érotico-pornos. Elles trouveraient des gens qui croient en elles, en leur projet et qui ont à coeur ce genre de productions. Même chose pour M. Falardeau. Il n'aurait pas à attendre indéfiniment qu'une poignée de bureaucrates s'entendent sur l'atteinte du consensus avant de mener à terme son projet. Il trouverait du financement auprès d'entreprises ou d'individus avec qui il partage (ou pas) certains idéaux et qui sont prêts à investir quelques centaines de milliers de dollars dans un film moyennant un quelconque exposure. Et de leur côté, les contribuables n'auraient pas à faire de l'urticaire en apprenant que l'argent de leurs taxes sert à financer des produits douteux qu'ils ne voudraient pas que leurs enfants voient. 

Vers un culture connectée 

          Le cinéma canadien n'est pas populaire parce qu'il est subventionné. Les bureaucrates des nombreux organismes gouvernementaux attitrés à la culture qui privilégient tel projet plutôt que tel autre sont déconnectés des réalités du marché et ne recherchent pas nécessairement le profit ou la performance d'un produit culturel.  

          Les cinéastes gagneraient à se défaire de leur dépendance de l'État et à établir des liens avec le secteur privé. Leurs intérêts seraient mieux servis par des investisseurs qui croient en leurs films et qui espèrent de bonnes recettes au box office que par une bande de bureaucrates qui ne sont qu'affectés à des dossiers. L'homme d'affaires qui oeuvre dans le secteur privé est beaucoup plus près de la réalité du consommateur cinéphile que n'importe quel fonctionnaire à l'emploi assuré et à la convention collective de béton armé.  

          « Oui, mais le secteur privé n'a jamais encouragé la culture », répliquera-t-on. Pourtant, on ne peut attribuer la naissance du cinéma aux bons gros gouvernements interventionnistes. Bien avant que ne soient mis sur pied les divers départements de la culture et programmes d'aide à la création que l'on connaît aujourd'hui, il se faisait du cinéma dans le monde. Il suffirait que l'État se retire du secteur de la culture pour que le privé se découvre de nouvelles affinités avec celui-ci. Il suffirait que l'un se retire pour que l'autre y trouve son compte.                         

          Sortie du carcan du système de financement par l'État, la culture serait plus dynamique et plus près des réalités de ceux qui la consomment. Libérés du cercle restreignant de la demande de subvention, les créateurs pourraient mieux interagir et surtout réagir plus rapidement. Bien sûr, certains projets ne verraient pas le jour, mais ce que nous perdrions en quantité, nous le regagnerions en qualité. Après tout, une culture ne se mesure pas au nombre de produits qui la composent. Elle se mesure à l'appréciation qu'on lui porte. 
  
  
(*) Pierre Falardeau: (Montréal, 1946) Cinéaste québécois qui réalise des films dénonciateurs 
      dont les personnages sont toujours victimes de quelque chose (le méchant système capitaliste... 
      les méchants fédéralistes... les méchantes polices... les méchants riches... vous voyez le genre.)  >> 
 
  
Articles précédents de Gilles Guénette

  
  
 
sommaire
PRÉSENT NUMÉRO 
 page suivante