Montréal, le 31 juillet 1999
Numéro 42
 
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     Le QUÉBÉCOIS LIBRE est publié sur la Toile depuis le 21 février 1998.   
   
     Il  défend la liberté individuelle, l'économie de marché et la coopération volontaire comme fondement des relations sociales.   
      
     Il  s'oppose à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les individus.      
  
     Les articles publiés partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs.      
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
ÉDITORIAL
  
INFLATION VIRTUELLE,
TAXES RÉELLES
 
par Martin Masse
 
  
          Certains arguments économiques spécieux ont la vie dure et même les soi-disant experts y ont recours lorsque ça fait leur affaire. Parmi les justifications mises de l'avant ces jours-ci pour inviter les gouvernements à ne pas baisser les taxes, on retrouve ainsi celle qui veut que, dans une économie qui roule rondement comme celle de l'Amérique du Nord, cela pourrait causer une reprise de l'inflation.  
  
          La logique est censée être la suivante: lorsqu'on baisse les taxes, on augmente la quantité d'argent en circulation, on stimule la consommation et l'investissement, et on risque de relancer la spirale inflationniste. Il s'agit simplement d'une application au domaine fiscal de la critique traditionnelle – et correcte – de la création artificielle de monnaie ou d'une trop rapide baisse des taux d'intérêt par les banques centrales. En résumé, toutes choses restant par ailleurs égales, les prix dans l'ensemble de l'économie ont tendance à monter lorsqu'il y a plus d'argent en circulation sans hausse correspondante de la productivité ou, ce qui revient au même, lorsqu'il y a moins de biens à acheter pour une même masse monétaire (« more money chasing fewer goods »).  
  
          Le lecteur qui a des notions de base en économie et un sens critique le moindrement développé aura toutefois compris qu'il y a quelque chose qui cloche dans cette explication. J'y reviendrai plus loin, mais voyons d'abord ce qui s'écrit là-dessus. 
  
Viagra monétaire 
  
          On lit par exemple dans un article de The Economist (un magazine naguère libéral classique, mais qui devient malheureusement plus wishy washy à chaque mois qui passe et qui ne vaut décidément plus les 200$ que coûte un abonnement annuel) que la tentatives des Républicains de baisser les impôts aux États-Unis fait l'objet de critiques. Parmi celles-ci, le journaliste cite – et approuve tacitement – la suivante: « Does it make sense to cut taxes, and so stimulate the economy, when the Federal Reserve has just raised interest rates (if only slightly) in order to stop the economy from overheating? » Il faut donc comprendre, selon cette critique, qu'une baisse d'impôt, en augmentant les pressions inflationnistes, viendrait contrecarrer les efforts de la Fed de réduire celles-ci par une hausse des taux, hausse qui rend les prêts plus coûteux et réduit conséquemment le niveau des dépenses et investissements. 
 
 
          Dans le Financial Post, l'éditorialiste Terence Corcoran cite un autre journaliste du New York Times qui avance le même argument contre les effets « trop stimulants » d'une réduction du fardeau fiscal: « The worry among economists is that all the extra money in people's pockets may make an already strong economy too strong, finally stoking inflation after a long period of relatively stable prices. » Notez bien le terme: « extra money », de l'argent supplémentaire, nouveau.  
  
          Les membres démocrates du Congrès, qui souhaitent les plus petites réductions ou pas de réduction du tout, répètent le même mantra. Le sénateur Joe Lieberman a ainsi expliqué à ses augustes collègues que « he now believes a tax cut would cause the economy to overheat, forcing the Fed to raise interest rates again, which would drive up the costs of mortgages, car payments, credit cards and student loans, offsetting any benefits of tax relief. » (Wall Street Journal) 
  
          Continuons notre petit tour d'horizon de cette manipulation des esprits. Nul autre que le président très conservateur de la Fed lui-même, Alan Greenspan, répétait cette absurdité la semaine dernière lors d'une très attendue comparution devant un comité de la Chambre des représentants. Voici ce qu'en rapportait le Washington Times
          Federal Reserve Chairman Alan Greenspan Thursday cautioned against enacting large tax cuts in an economy in which growth is so strong that overheating is a danger and interest rates are rising. 
  
          Mr. Greenspan, in testimony to the House Banking and Financial Services Committee, suggested the central bank is contemplating another rate increase this year to slow the speeding economy. He went out of his way to dissuade lawmakers from counting on projected budget surpluses over the next decade to enact tax cuts even as the House approved a $792 billion bill.
De l'argent tombé du ciel 
  
          Quelle est donc l'analogie fallacieuse sous-entendue dans chacune de ces déclarations qui porte tous ces gens à prétendre qu'une baisse d'impôt aurait elle aussi des effets inflationnistes? Terence Corcoran la relève dans une petite phrase qui va droit au but: « But why would $800-billion spent by individuals be inflationary, while it would not be inflationary when spent by politicians and bureaucrats? » C'est aussi simple que cela: on tente de nous faire croire que des baisses d'impôt amèneraient de l'argent neuf, venu de nulle part, comme des dollars sortis d'une machine à imprimer qui inonderait le marché, alors que le même argent n'aurait pas cet impact s'il restait dans les coffres de l'État – c'est-à-dire, s'il était dépensé par des bureaucrates plutôt que par les contribuables!  
 
  
« L'argument de la surchauffe économique qu'on nous sert n'est qu'une façon détournée de justifier le banditisme de grand chemin que pratiquent nos gouvernements sur le plan fiscal. »
 
 
          Cet argument spécieux est en fait le corollaire de celui que nous servent les politiciens lorsqu'ils nous annoncent de grands projets d'« investissements » et de « création d'emplois » à coups de centaines de millions d'argent public. À les entendre, cet argent tombe du ciel et les taxes abusives qui ont permis de le récolter n'ont, elles, eu aucun effet négatif sur les investissements et la création d'emplois ailleurs dans l'économie.  
  
          Dans le cas qui nous occupe, l'argent « redonné » aux contribuables en baisses d'impôt n'est bien sûr aucunement de l'argent neuf – comme celui qu'une banque centrale crée en manipulant divers instruments monétaires –, c'est de l'argent qui se trouvait au départ dans les poches des contribuables et de l'argent qui sera de toute façon dépensé par l'État sans les réductions d'impôt. Cet argent ne peut donc logiquement avoir d'effet inflationniste, puisqu'il n'y a pas de hausse de la masse monétaire globale, mais simplement un transfert entre les poches des contribuables et le trésor public.  
  
          Pour être franc, on doit noter que la solution de M. Greenspan n'est pas, elle, tout à fait illogique; il propose en effet non pas de dépenser cet argent dans des services sociaux et autres programmes publics, mais de le consacrer à la réduction de la dette accumulée de 5.5 billions $ (en anglais, trillions, c'est-à-dire mille milliards) des États-Unis. Rembourser des dettes à des créanciers étrangers fait en sorte de diminuer la quantité de monnaie en circulation dans le pays, donc de réduire les pressions inflationnistes et de permettre à la Fed de garder ses taux d'intérêt plus bas. Mister Chairman paraît en fait bien plus préoccupé d'atténuer les effets néfastes de sa politique monétaire trop relâchée des dernières années (une politique qui, de l'avis d'économistes de l'École autrichienne, aurait engendré la bulle financière des derniers mois à Wall Street) que d'empêcher une réduction des impôts. Lors de sa comparution, il a même ajouté que l'allocation des surplus budgétaires à des programmes de dépenses s'avérerait la pire des solutions et qu'il appuierait des réduction d'impôt si les surplus devenaient un prétexte pour dépenser plus. « I have great sympathy for those who wish to cut taxes now to pre-empt that process, and indeed, if it turns out that they are right, then I would say moving on the tax front makes a good deal of sense to me. » (Wall Street Journal) 
  
          Là est toutefois le coeur du problème: il faudrait en effet être vraiment très naïf pour croire que les quelque 800 milliards $ en réductions d'impôt proposées par les Républicains iraient à réduire la dette s'ils restaient dans les coffres de l'État. Les politiciens ne peuvent tout simplement résister à la tentation de dépenser cet argent s'il est disponible et c'est pourquoi il faut leur enlever avant qu'ils puissent mettre la patte dessus. On l'a vu au cours des dernières décennies, toutes les présumées « surtaxes spéciales » et autres ajustements temporaires qui ont été instaurés sont devenus permanents et les gouvernements ne peuvent s'empêcher de s'emparer de tout surplus, comme Ottawa le fait en ce moment avec celui de la caisse d'assurance-chômage. C'est uniquement à la suite d'une intense pression du public et des marchés financiers que les gouvernements ont cessé de s'endetter et il ne faudrait surtout pas leur donner les moyens – sous forme de surplus de plus en plus alléchants – de recommencer de plus belle leurs folies dépensières dans les années qui viennent. 
  
Inflation verbale 
  
          Dans les faits, donc, il n'y a que deux alternatives: redonner les surplus aux citoyens, ou les garder dans les coffres de l'État et se fier bêtement aux politiciens pour qu'ils servent à rembourser la dette au lieu d'être dépensés. Sous ce nouvel éclairage, ce n'est pas la deuxième mais bien la première solution qui permettra de mieux lutter contre l'inflation. Les commentateurs et économistes patentés qui craignent les dangers d'une surchauffe devraient en effet parler des effets positifs plutôt que négatifs des baisses d'impôt à ce chapitre. 
  
          Toute réduction du fardeau fiscal a pour effet de rendre les divers facteurs économiques plus sensibles aux véritables incitatifs issus du marché et d'accroître ainsi la fluidité des échanges et la flexibilité de l'économie dans son ensemble. Concrètement, il en résulte des prix qui correspondent mieux à la réalité économique et moins à la propension du gouvernement à taxer; une allocation du capital fondée sur une information financière moins déformée; des investissements accrus dans des méthodes de production plus efficaces; une plus grande facilité à garder ses bons employés et à attirer la main-d'oeuvre spécialisée étrangère; moins d'incitatif à avoir recours au marché noir et à la fraude; etc. Tout cela concoure à augmenter la productivité globale de l'économie, à réduire, donc, les pénuries, les bouchons, les délais de production, le gaspillage typique de la gestion bureaucratique, et en fin de compte à réduire la pression à la hausse sur les prix.  
  
          L'argument de la surchauffe économique qu'on nous sert n'est donc qu'une façon détournée de justifier le banditisme de grand chemin que pratiquent nos gouvernements sur le plan fiscal. Au lieu de nous dire: « oui, c'est bon de garder les taxes et impôts élevés, l'État sait mieux que les citoyens ce qu'il faut faire de ces ressources, on ne peut pas se fier aux contribuables pour dépenser leur revenu à bon escient », on utilise maintenant une logique économique tordue, que le citoyen moyen qui n'a pas étudié en science économique n'osera probablement pas contester.  
  
          Or, dans ce dossier comme dans les autres, il ne faut pas se fier aux sophismes des experts et des gens de pouvoir pour comprendre ce qui va dans le sens de nos intérêts. L'économie n'est pas une science si compliquée, elle l'est devenue parce que c'est à l'avantage de ceux qui nous dirigent de parler dans un jargon incompréhensible et illogique. On pourrait d'ailleurs proposer une règle encore plus simple: chaque fois que Jean Chrétien et Bill Clinton réitèrent qu'ils ne voient pas la nécessité de réduire les taxes, nulle raison de douter, on peut en conclure logiquement qu'il doit y avoir des dizaines de raisons pour le faire! 
  
  
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L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
 
  
Le Québec libre des 
nationalo-étatistes 
 
          « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »  

Alexis de Tocqueville 
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840)

 
 
 
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