Montréal, le 28 août 1999
Numéro 44
 
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     Le QUÉBÉCOIS LIBRE est publié sur la Toile depuis le 21 février 1998.   
   
     Il  défend la liberté individuelle, l'économie de marché et la coopération volontaire comme fondement des relations sociales.   
      
     Il  s'oppose à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les individus.      
  
     Les articles publiés partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs.      
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
ÉDITORIAL
  
LA VAGUE DES BAISSES D'IMPÔT
 
par Martin Masse
 
  
          Il y a à peine un an, presque personne ne parlait de baisses d'impôt au Canada à l'extérieur de l'Ontario. Seul le gouvernement conservateur de Mike Harris avait réussi non seulement à imposer ce thème, mais à concrétiser sa promesse de réduire le fardeau fiscal des Ontariens de 30%. Ailleurs, et en particulier au Québec, tout le monde n'en avait encore que pour la lutte au déficit, une lutte qui a finalement porté fruit après trois décennies d'endettement continu.  
  
          Maintenant que nous sommes dans une ère de surplus, le débat s'est déplacé vers d'autres thèmes: « réinvestissement » dans les programmes sociaux, lutte à la dette accumulée, mais surtout, baisses d'impôt. Ces dernières semaines, on assiste à une véritable surenchère de suggestions et de promesses. Les chambres de commerce et regroupement de gens d'affaires, qui ont été longtemps les seuls lobbys à soulever le problème, ont maintenant de la compagnie. 
  
          Le ministre Stockwell Day de l'Alberta a d'abord annoncé il y a six mois son projet novateur d'impôt à taux fixe (voir L'IMPÔT À TAUX FIXE, le QL, no 33). Puis d'autres provinces ont suivi le mouvement. De nouveaux gouvernements conservateurs au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse ont promis des baisses au cours des prochaines années. Québec promet une réduction du fardeau fiscal de 400 millions $ dans le prochain budget. Les conservateurs réélus en Ontario y vont d'une réduction additionnelle de 20%.  
  
          En Saskatchewan et au Manitoba, où des élections ont lieu dans quelques semaines, les promesses pleuvent. Le chef du Saskatchewan Party, Elwin Hermanson, y va d'une réduction de 20% de l'impôt provincial couplée à une réduction de la taxe de vente. Le premier ministre conservateur manitobain s'engage quant à lui à mettre en oeuvre des baisses de 21% s'il est réélu. Même les socialistes qui s'y opposaient avec ardeur hier embarquent aujourd'hui dans le train. Le Bloc Québécois a lancé une consultation prébudgétaire sur ce thème et exige du gouvernement Chrétien des baisses d'impôt de six milliards $ dans son prochain budget. Le NPD fédéral propose quant à lui des réductions de deux milliards. Même le Congrès du travail du Canada, la plus grosse mafia syndicale dans le reste du pays, y voit du bon – dans la mesure où ce sont bien sûr les plus pauvres qui en profiteront. 
 
 
Allo, le bunker? 
  
          Les libertariens sont les seuls avec un point de vue cohérent qui n'ont jamais gobé les mythes keynésiens et qui ont toujours cru, au-delà des modes idéologiques et politiques du moment, que les ponctions de l'État étaient trop élevées. Maintenant que tout le monde semble nous donner raison, assiste-t-on au déferlement d'une vague libertarienne sur le Canada? Notre influence sur les décideurs est-elle si décisive, comme le croient certains de nos amis gauchistes qui s'imaginent que le QL a une ligne directe avec le bunker pour dicter au premier ministre Bouchard sa conduite politique? Ce serait trop beau.  
  
          Si les partis politiques et les gouvernements promettent – seule l'Ontario a vraiment agi jusqu'ici – de baisser les impôts, ce n'est pas parce que tous les politiciens se sont convertis subitement à notre philosophie, mais bien parce qu'ils se sont rendu compte que c'est rentable électoralement de le faire. Et si c'est maintenant possible de le faire, si les surplus sont là pour le permettre, c'est non seulement parce que nous sommes dans une période de croissance économique continue depuis la courte récession de 1990-91, mais aussi et surtout parce que les gouvernements n'ont pas cessé d'augmenter le fardeau fiscal depuis deux décennies! 
  
          Il ne faut pas se leurrer: ce qui reviendra dans nos poches au cours des prochaines années n'est qu'une petite partie des hausses de taxes et impôt qu'on nous a infligées récemment. Comme l'indiquait en mai dernier une étude du Conseil québécois de la famille et de l'enfance, le fardeau fiscal des familles québécoises a augmenté du tiers de 1981 à 1996 et le revenu réel disponible (après impôt et déduction de l'inflation) a décliné de 5%. Bref, l'impôt a grugé toutes les hausses de salaire que les contribuables ont réussi à obtenir durant cette période, et plus encore, ce qui a laissé moins d'argent dans leurs poches en bout de ligne. Si toutes ces promesses se réalisent, nous paieront en effet probablement moins d'impôt qu'aujourd'hui. Mais il faudra des réductions bien plus substantielles pour nous ramener simplement au niveau où nous étions il n'y a pas si longtemps, avant 1981.  
  
          Si l'on ajoute à l'impôt sur le revenu toutes les taxes de vente, les impôts corporatifs payés par les entreprises et que le consommateur doit éventuellement défrayer, les taxes indirectes cachées, les frais d'utilisateurs pour des « services » gouvernementaux, c'est plus de 50% de notre revenu qui est siphonné par l'État. En réduisant l'impôt sur le revenu – qui ne compte que pour une partie de ce qu'on nous soutire – de 20%, on est loin du gros lot. Le mieux que l'on peut espérer, c'est que l'État nous soutirera peut-être demain 45% de notre revenu, au lieu de plus de la moitié comme c'est le cas maintenant. Big deal!  
  
Petits cadeaux bien modestes 
  
          Bref, il faut prendre tout cela avec un grain de sel. D'autant plus que ces petits cadeaux seront non seulement modestes, mais probablement de courte durée. Ce n'est pas pour rien si la plupart des promesses faites par les gouvernements et les partis ci-haut mentionnés dans les provinces voisines stipulent que les baisses d'impôt prendront effet non pas immédiatement, ni même l'an prochain, mais dans la plupart des cas dans trois, quatre, cinq ans ou plus. Aux États-Unis, les républicains utilisent le même truc: leur proposition pour une soi-disant gigantesque baisse d'impôt de 792 milliards $ étalée pendant les dix prochaines années ne commencera à prendre effet réellement qu'en 2005. D'ici là, il peut se passer beaucoup de choses, comme d'autres changements de gouvernement, et fort probablement une récession. Lorsque les rentrées fiscales se feront moins généreuses, les gouvernements ne trouveront-ils pas de bonnes raisons impérieuses pour remettre à plus tard des baisses jugées « déraisonnables » dans pareille situation? On n'en doute pas.  
  
 
  
« L'euphorie actuelle entourant les baisses d'impôt n'est que passagère et artificielle, et une bonne partie du “débat” n'est que la poudre aux yeux habituelle que nous lancent les politiciens. »
 
 
 
          Qui plus est, en période de récession et de hausse des taux d'intérêt, le poids de la dette accumulée reviendra à l'avant-scène des préoccupations. Il est facile de l'oublier en ce moment, alors que les taux d'intérêt sont bas et que la croissance fait en sorte de réduire graduellement son importance relative, mais nous restons malgré tout l'un des pays les plus endettés du monde industrialisé en proportion du PIB. Les gouvernements fédéral et provinciaux du Canada sont loin de la situation de la Ville de Granby, où les taxes foncières baisseront de 40% l'an prochain maintenant que la dette municipale a été totalement éliminée (voir PRIX DU QUÉBÉCOIS LIBRE, p. 11).  
  
          Enfin, tant que les monopoles publics sur l'éducation et la santé seront maintenus, tant que des programmes de subventions, de transferts régionaux, de redistribution de la richesse et de pseudo-investissements dans tout ce qui bouge resteront en place, on peut prévoir que les dépenses de l'État n'iront pas vraiment en descendant. Il n'y a pas d'issu à la crise de la santé que nous vivons actuellement si on refuse de considérer la privatisation: ou bien le gouvernement laisse les soins se détériorer dramatiquement, ou bien il tente de limiter les dégâts en injectant des fonds supplémentaires. C'est très certainement la deuxième solution qui sera retenue. Le gouvernement fédéral a promis de « réinvestir » la moitié des surplus dans des programmes sociaux. Partout ailleurs où l'on fait des promesses de réduction d'impôt, celles-ci sont associées à des promesses d'augmenter les dépenses en santé et en éducation. Rien de fondamental dans la gestion interventionniste de l'État n'a encore été remis en question, et des niveaux d'imposition plus ou moins équivalents à ceux d'aujourd'hui devront être maintenus pour payer ces programmes aussi longtemps que ce sera le cas.  
  
          Les vrais changements sont donc à venir. L'euphorie actuelle entourant les baisses d'impôt n'est que passagère et artificielle et une bonne partie du « débat » n'est que la poudre aux yeux habituelle que nous lancent les politiciens. Il faudra pousser ce débat plus loin lorsque le bateau qu'on nous monte aura frappé un rocher, pour l'une ou l'autre des raisons évoquées plus haut. Nous aurons vraiment de quoi nous réjouir lorsque les gouvernements allégeront le fardeau fiscal non pas grâce aux surplus résultant de dix années de croissance et de hausses des taxes et impôts, mais parce qu'ils auront vraiment réduit la taille de l'État et coupé leurs dépenses.  
  
  
 
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L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
 
  
Le Québec libre des 
nationalo-étatistes 
 
          « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »  

Alexis de Tocqueville 
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840)

 
 
 
 
 
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