Montréal, le 11 septembre 1999
Numéro 45
 
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     Notre collaborateur Jean-Luc Migué publiait il y a environ six mois Étatisme et déclin du Québec: Bilan de la révolution tranquille, aux Éditions Varia et sous l’égide de l’Institut économique de Montréal.  
  
     Le livre connaît un tel succès qu'il se trouvait encore sur la liste des meilleurs vendeurs des librairies Renaud-Bray il y a deux semaines. Ce petit texte paru dans La Presse le 9 mars dernier résume la position développée par M. Migué dans son essai.  
  
 
 
 
  
 
 
POLITIQUE
 
ÉTATISME ET DÉCLIN
DU QUÉBEC
 
 
par Jean-Luc Migué
  
            La révolution tranquille est le pivot autour duquel tourne l’interprétation conventionnelle de l’histoire du Québec. Avant ce grand soir collectiviste, c’était la grande noirceur; après, c’est la modernité libératrice et le progrès triomphant. L’observation des faits peint pourtant un tout autre tableau.  
  
          Depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à la fin des années 1950, le Québec vivait une croissance forte, parallèle à celle de l’Ontario. Cette poussée de richesses n’a jamais été reproduite depuis. Il est donc vrai que la révolution tranquille a marqué chez nous un tournant de l’évolution économique et sociale, mais un tournant pour le pire. Qu’on  mesure le dépérissement par la chute relative des investissements, par l’évolution de la population (baisse précipitée du taux de natalité et faible attraction des immigrants) et de l’emploi, ou par le revenu de ses habitants, le Québec recule relativement à ses partenaires d’Amérique du Nord.  
  
Pourquoi le Québec s’appauvrit 
  
          La théorie de la croissance enseigne que là où les droits de propriété et la liberté de choisir sont mal protégés, les marchés privés de leur liberté, le fardeau réglementaire et fiscal lourd et l’instabilité politique menacée, l’innovation ne fleurit pas et le progrès économique ne s’observe pas. Or, le Québec se fait comme un devoir méthodique depuis une génération de retenir les politiques contre-indiquées. On observe ces pratiques dans le gonflement de l’État d’abord, dans la multiplication des monopoles publics, dans la réglementation étouffante du marché du travail, dans le protectionnisme culturel et dans le poids de l’État-providence. Cette évolution déplorable découle en partie de la centralisation des pouvoirs et de la balkanisation consécutive du Canada. 
 
 
          Le postulat du débat intellectuel chez nous est que la démocratie représentative est le seul mécanisme capable d’exprimer les préférences populaires, que les décisions politiques réalisent automatiquement le bien commun. La proposition centrale de l’analyse économique de la politique est plutôt que le mécanisme politique donne lieu à des coalitions majoritaires successives de votants ayant pour objet exclusif, non pas d’augmenter la richesse et d’améliorer le bien-être général, mais d’opérer des prélèvements sur les uns pour octroyer des transferts au profit de sous-groupes particuliers, fussent-ils majoritaires. Cette grande sensibilité des politiciens aux préférences médianes entraîne l’uniformisation du service. Dans une société où le revenu de la majorité est inférieur au revenu moyen, c’est en étatisant de vastes pans de l’activité économique et en recourant au financement public qu’on rallie des majorités.  
  
          Mais, la masse des gens ne s’adonne que peu à l’activité politique, parce que la « logique de l’action collective » les convainc qu’ils ne peuvent individuellement rien changer aux décisions publiques. Les groupes organisés ou stratégiquement placés, eux, obtiendront l’oreille attentive des politiciens. Pour susciter l’appui électoral et réduire l’opposition au maximum, le politicien visera à concentrer les bénéfices de ses politiques dans le petit nombre rassemblé dans des groupes organisés et à en diluer le coût sur le plus grand nombre. L’instrument premier et le plus général à la disposition du politicien pour réussir ce coup est de monopoliser l’économie, par la réglementation du marché ou par la monopolisation publique pure et simple.  
  
Tentation redistributionniste 
  
          L’activité politique ne sert principalement qu’à redistribuer la richesse et devient ainsi un jeu à somme négative, puisqu’elle absorbe de gigantesques investissements politiques. La logique politique comporte de ce fait un biais systématique en faveur de la croissance excessive du secteur public et de la centralisation des fonctions, depuis les provinces en faveur d’Ottawa et depuis les administrations locales et régionales en faveur des provinces.  
  
  
  
« Le gouvernement est moins vertueux que ne le sont les gens qui l'élisent, parce qu'il repose sur le pouvoir des uns de s'approprier la richesse des autres. »
 
 
 
          La croissance économique engendre la démocratie, mais la démocratie s’avère plutôt défavorable à la croissance. Ce qui compte dans l’accélération de la croissance, ce n’est pas tant les libertés politiques que les libertés économiques. Le complément de cette réalité troublante est que la démocratie suscite la tentation redistributionniste qui a pour effet de retarder la croissance.  
  
          On n’a pas les gouvernements qu’on mérite. Le gouvernement est moins vertueux que ne le sont les gens qui l’élisent, parce qu’il repose sur le pouvoir des uns de s’approprier la richesse des autres. La politisation suscite donc les antagonismes et favorise les affrontements. En l’absence de droits de propriété nets, c'est-à-dire là où le pouvoir de monopole et de coercition est conféré aux uns par la puissance publique, l’appât du gain des uns transfère aux autres le fardeau de leur égoïsme.  
  
          Le marché au contraire, s’il ne saurait exprimer la vertu que seuls les individus possèdent, retire aux égoïstes et aux immoraux le pouvoir de refiler le poids de leurs faiblesses et de leurs dépravations à leurs voisins. Le capitalisme sert donc d’instrument pour minimiser les conséquences de ce que les hommes ne soient pas des saints. 
  
          La justice sociale consiste dans une société libre, stable et progressive, à sauvegarder les droits de chacun. La tragédie de la morale politique conventionnelle est d’avoir accrédité l’erreur que la justice sociale repose sur la violation des droits de propriété 
  
Le corps constitué de la société 
  
           Le postulat collectiviste de l’homme et de la société colporté par la pensée reçue depuis la révolution tranquille impute une âme distincte à la société, une volonté abstraite, au-dessus des individus qui la composent et capable de faire des « choix de société ». Le bien commun, incarné dans l’État, devient supérieur à la somme des biens des individus. En sciences sociales, on range cette approche dans la catégorie des pseudosciences au même titre que l’astrologie, la parapsychologie et les autres sciences occultes. Ainsi est apparue chez nous la notion de « droits collectifs » et de justice sociale, qui a remplacé la suprématie du droit comme principe d’organisation sociale et par laquelle l’individu se définit par son appartenance à un clan, à une classe, à un sexe, à une ethnie. 
  
          Même dans des conditions « idéales », où l’appareil politico-bureaucratique serait animé par des acteurs altruistes voués à la seule poursuite du bien commun, l’organisation centrale de la société resterait une chimère. Les décideurs publics seraient incapables d’appréhender et de traiter l’infinie variété d’informations et d’évaluations que la coordination sociale implique. Le XXe siècle a été le siècle des apprentis sorciers qui se sont emparés du pouvoir pour transformer la société d’en haut et qui ont tout gâché. Ce n’est que dans l’échange libre entre eux que les individus peuvent atteindre à leur propre épanouissement. L’illusion fatale domine pourtant la pensée chez nous, selon laquelle la poursuite aveugle de leurs intérêts par les individus mène à l’arbitraire et au désordre, à moins que les experts de l’État, guidés par les élus, n’introduisent la rationalité dans ce chaos. 
  
          Il n’existe pas de bons ou de mauvais gouvernements. Il n’existe que des gouvernements qui obéissent aux incitations qui s’exercent sur eux. Il faut viser à changer les règles du jeu qui les régissent plutôt que les gouvernements eux-mêmes.  
  
 

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