Montréal, le 11 septembre 1999
Numéro 45
 
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     « If we spoke a different language, we would perceive a somewhat different world. » 
  
Ludwig Wittgenstein
 
 
 
 
BILLET
  
D'AOÛT AMOURS
  
par Brigitte Pellerin
   
   
          Je ne vous l'ai pas encore dit; alors peut-être est-ce maintenant le temps (des cerises) de vous faire quelques confidences. Imaginez-vous donc que je suis tombée follement amoureuse!  
  
          Si, si.  
  
          Que je vous raconte. Je suis allée me promener dernièrement dans un pays adorable qui, bien souvent, sert de point de comparaison pour le Québec. À peu près la même population, le même climat grosso modo, un régime monarchique bien folklorique, qui coûte cher pour pas grand-chose, ainsi que des taxes et impôts à faire brailler les plus fervents néo-démocrates.  
  
          En fait, je suis un peu mal à l'aise de raconter mes petites histoires salaces aux lecteurs du Québécois Libre. Ça ne doit pas être bien vu, de s'amouracher d'une bande de socialos. Mais bon, que voulez-vous, mon petit coeur a tiré sur sa gauche et ces machins-là, on n'y peut malheureusement pas grand-chose. Le coeur a ses raisons que les convictions politiques ne connaissent pas, comme ils disent. 
 
 
Souvenirs heureux 
 
          Je suis débarquée l'autre semaine à Stockholm. On m'avait dit que c'était bien... « Si tu peux survivre dans un pays où les cigarettes coûtent la peau des fesses et où acheter une bouteille de vin ressemble plus à la quête du Graal qu'à une balade à l'épicerie, tout en acceptant de sourire gentiment aux chauffeurs d'autobus, t'es correct! »  
  
          Quel ne fut pas mon éblouissement de constater que non seulement les Marlboro y coûtent un tantinet moins cher qu'en Angleterre (ben oui, je me suis tirée dans les dépenses cet été), mais qu'en plus, la ville est belle, mais belle! Continuité architecturale – concept absolument étranger aux Montréalais, qui doivent habituer leurs petits yeux aux spectacles désolants qui s'étirent sans gêne le long des rues du centre-ville –, propreté à faire rougir de honte la plus zélée des ménagères, une lumière pure qui réfléchit sur les maisons aux couleurs chatoyantes, des cafés-terrasses qui rappellent la France (avec un gentil service en plus), des routes larges et dégagées sur lesquelles roulent des voitures aux dimensions « normales » – et des conducteurs qui, en plus de respecter les piétons, conduisent sur le sens du monde – et des tas de blondinets charmants qui déambulent négligemment sous le soleil parfaitement confortable du mois d'août.  
  
          Bref, le rêve. J'ai littéralement adoré l'endroit, surtout parce qu'il y est facile, pour peu qu'on se donne la peine, de s'installer peinard dans les joies et délices qui remplissent les journées de ces gens aimables, courtois et totalement relax.  
  
          Avec tout de même quelques côtés négatifs (ahhh, enfin). Les taxes de vente sont archi-épeurantes, les prix en général ont de quoi faire grincer des dents n'importe quel prince arabe et, of course, une atmosphère générale qui rappelle la ville de Québec (la soi-disant capitale nationale): tranquille, pépère, un tantinet fonctionnaire. Tout le monde m'avait mise en garde contre cet endroit décidément go-gauche où les mots « modèle » et « spécificité » prennent toute leur signification.  
  
Autre lieu, autres moeurs 
  
          On m'avait aussi prévenue que je ne comprendrais absolument rien à cette langue scandinave. Que j'allais être encore plus malheureuse là-bas qu'un Américain peut l'être en visitant le Saguenay; perdu dans un environnement où commander un Coke avec l'accent du coin lui fait subrepticement couler une sueur froide le long de l'épine dorsale... et où il se fait regarder de travers parce qu'incapable de prononcer « tarrrrte aux frrraises, svp. »  
  
 
  
« Je suis un peu mal à l'aise de raconter
mes petites histoires salaces aux lecteurs du
Québécois Libre. Ça ne doit pas être bien vu,
de s'amouracher d'une bande de socialos. »
 
 
 
          Vous comprendrez que j'étions un tantinet nerveuse.  

          Pfeu, pantoute. Me suis énervée pour rien, une fois de plus. Y a absolument rien là, se débrouiller en Suède; tout le monde il parle angliche! Et quand je dis tout le monde, je ne parle pas seulement des Song  douaniers et des gens qui bossent à l'ambassade américaine. Je veux dire tout le monde, des mecs dans les centres d'achats jusqu'au serveur d'un resto de quartier situé très en-dehors du circuit touristique. Les jeunes comme les vieux, les hommes comme les femmes.  
  
          Tout le monde, c'est-y assez clair?  
  
          Et sans vouloir vous emmerder trop longuement, sachez que la plupart des Suédois parlent également allemand et/ou français. Et rien ne paraît lorsqu'ils switchent de l'une à l'autre. Ils ne semblent jamais offusqués d'avoir à utiliser une autre langue pour accomoder un touriste; au contraire, c'est comme si c'était pour eux une façon de nous souhaiter la bienvenue en nous rendant la vie plus facile.  
  
          Et vlan, dans les dents.  
  
          Polyglottes, les potes. Et pas n'importe comment, à part ça. Je suis très mal placée pour juger de la qualité de leur langue maternelle mais, à les écouter parler un anglais parfait et un français charmant, je me dis que leur suédois ne risque pas de se faire massacrer. En un mot; si je me trouvais plutôt débrouillarde parce que je placote en français, en anglais et en québécois (oui, oui, le québécois est radicalement différent du français), je me suis sentie carrément dépassée par les habiletés linguistiques de mes simili-vikings au teint de pêche.  
  
          Bon, peut-être que mes histoires ne vous font pas un pli sur la différence. Mais sachez que le choc fut brutal en débarquant à Dorval. Ouh, la la. C'est que les petits Québécois ont l'air parfaitement satisfaits de ne torturer qu'un seul patois, tout en s'épanchant jusqu'à ce que mort s'ensuive sur la nécessité d'avoir cent-douze mille mesures protectrices ainsi que leur propre pays, rapport à la préservation du français.  
  
          Là-bas, ils n'en discutent pas pendant des décennies, ils ne demandent rien à personne, et ils ne braillent pas comme des veaux devant les beautiful people des Nations Unies; ils aiment, chérissent et utilisent largement le suédois entre eux, tout en se démerdant pour apprendre les autres langues qu'il importe de maîtriser à l'aube du 21e siècle.  
  
          Eh oui. C'est ça, la différence entre ceux qui l'ont et ceux qui ne l'ont pas.  
 
 
 
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